Le bois, un matériau naturel donc inoffensif ? Pas vraiment. À l’origine d’environ 70 cas de cancers professionnels des sinus déclarés par an, les poussières de bois sont la deuxième cause de cancers professionnels reconnus, après l’amiante. En outre, elles peuvent provoquer des pathologies respiratoires (rhinite, asthme, fibrose pulmonaire…), cutanées (eczéma) ou oculaires (conjonctivite). Sans compter les incendies et les explosions.
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Il est essentiel de mettre en place des mesures organisationnelles telles que le nettoyage régulier de l’atelier, et surtout pas avec le balai ou la soufflette. © Vincent NGuyen pour l’INRS |
Trois à quatre cent mille personnes seraient exposées aux poussières de bois, en France, explique Raymond Vincent, chargé de mission à l’INRS. Globalement, les niveaux d’exposition diminuent (d’après la base de données Colchic de l’INRS) ainsi que le nombre de pathologies diagnostiquées. Hormis les cancers. Pour ces derniers, cela est probablement dû, d’une part, à une meilleure détection de ces maladies et, d’autre part, à une latence de plusieurs dizaines d’années entre l’exposition et la déclaration de la pathologie. On peut donc espérer qu’ils vont diminuer d’ici quelques années. » Et Raymond Vincent de poursuivre : « Le problème est que le risque est souvent méconnu. »
Avec, au total, selon la Direction des risques professionnels de la CnamTS, une vingtaine de cancers et une douzaine d’autres maladies professionnelles reconnus en 2008, l’ameublement et le BTP sont les secteurs les plus concernés par les maladies professionnelles liées aux poussières de bois – elles sont répertoriées dans le tableau 47 des maladies professionnelles. Dans le bâtiment, par exemple, « il y a trois secteurs dont le cœur de métier est lié au bois, précise Gilles Marmoret, du service des Affaires techniques et professionnelles de la Capeb : les menuisiers, les charpentiers et les agenceurs. Mais d’autres corps de métiers, qui ont moins la culture du bois et ont donc moins conscience des risques, y sont aussi confrontés, comme les maçons-coffreurs ou les peintres. Ce sont souvent ces derniers qui refont les parquets. Ils doivent alors les poncer et sont très exposés ».
TROIS QUESTIONS À…
Olivier Batut, contrôleur de sécurité à la Carsat Midi-Pyrénées.
Entre 2008 et 2012, la Carsat Midi-Pyrénées a mené une action à destination des 350 menuiseries de la région dont 80 % ont moins de 6 salariés. Olivier Batut revient sur cette action.
Quel a été votre diagnostic, concernant la perception de la problématique des poussières de bois dans les menuiseries de votre région ?
Il apparaît que le risque lié aux poussières de bois n’est pas assez pris en compte par les entreprises. Ça n’est pas mieux avec le risque Atex, puisque moins de 20 % des entreprises le connaissent. Celles qui en ont le moins conscience sont celles qui ont moins de 50 salariés.
Quelles pistes d’amélioration avez-vous constatées ?
Si 80 % des entreprises sont équipées d’un système d’aspiration centralisée, les vérifications périodiques des installations n’avaient été réalisées que par 20 % des entreprises, ces obligations étant perçues comme une contrainte réglementaire et non comme un bénéfice. Elles n’en connaissaient donc pas l’état de dégradation, ne changeaient pas les filtres et le dispositif perdait en efficacité. Cela est assez facile à améliorer. De plus, le gros point noir était le nettoyage des postes de travail généralement réalisé à l’aide d’une soufflette ou d’un balai.
Quelle a été l’action de la Carsat Midi-Pyrénées ?
Nous avons mis en place une aide financière simplifiée pour l’achat d’aspirateurs dédiés au nettoyage, avec filtres à haute efficacité, qui puissent être adaptés aux outils électroportatifs. Lorsqu’un contrat était signé entre une entreprise et la Carsat, nous formions systématiquement une personne de l’entreprise à l’évaluation du risque chimique et Atex. Cette action est maintenant terminée mais nous poursuivons la réflexion avec les entreprises du secteur sur ces deux risques.
Une étude réalisée en 2008 montrait que seulement un tiers des entreprises évaluaient le risque cancérogène au sein de leur document unique. Pourtant, il existe une valeur limite d’exposition professionnelle aux poussières de bois fixée à 1 mg/m3 d’air (moyenne pondérée sur 8 h de travail, article R. 4412-149 du Code du travail). Mais cette limite est difficile à respecter, d’après les organisations professionnelles, qui contestent les méthodes de mesures exigées par le législateur pour évaluer l’exposition des travailleurs. « Pour respecter cette limite, les moyens de prévention sont le captage à la source et un ensemble de bonnes pratiques : un nettoyage régulier de l’atelier, sans utiliser le balai qui remet les poussières en suspension, l'organisation des postes de travail de façon qu’il y ait le moins de personnes exposées, etc. En dernier lieu, les salariés peuvent utiliser des protections respiratoires », indique Bruno Courtois, expert en risque chimique à l’INRS. « Mais attention, ajouter un système d’aspiration à une machine existante n’est pas toujours efficace, met en garde Richard Clouard, membre de l’association professionnelle Le Commerce du bois. Le système doit être pensé dans sa globalité et le plus en amont possible, idéalement, dès sa conception. »
Ne pas déplacer le risque
« Avant, des incendies survenaient dans les menuiseries du fait des tas de poussières dans les ateliers. Avec la mise en place d’aspirations, on a déplacé le risque : il y a moins d’incendies puisqu’il y a moins de poussière dans l’atelier, mais le système de dépoussiérage crée des atmosphères explosives (Atex), c’est-à-dire des zones qui présentent les caractéristiques telles qu’une explosion se produirait si une source d’inflammation survenait : les poussières sont concentrées dans le réseau où elles sont en suspension dans un flux d’air », indique Benoît Sallé, expert incendie-explosion à l’INRS.
INTERVIEW
Olivier Calvez, ingénieur en charge de la prévention des risques chimiques à la Direction générale du travail.
« Pour aider les entreprises à avancer pour respecter cette nouvelle VLEP (valeur limite d’exposition professionnelle), une convention a été signée en mars 2012 par le ministère chargé du Travail et celui de l’Agriculture, l'INRS, la CNAMTS, l'OPPBTP, le FCBA (Forêt Cellulose Bois-construction Ameublement) ainsi qu’une dizaine de fédérations professionnelles. Elle s’appuie sur quatre axes. Le premier vise à sensibiliser les employeurs. Le deuxième à les former. Le troisième à montrer que respecter la VLEP est possible en mettant en avant la réalisation de certaines entreprises. La dernière consiste à aider techniquement les entreprises, via les Carsat, notamment sur les machines portatives. Dans ce secteur, il y a beaucoup de TPE-PME qui ne sont pas toujours faciles à mobiliser. »
« Pour éviter les explosions, une solution est de supprimer les sources d’inflammation. Dans un atelier où on usine du bois, ces sources sont notamment des morceaux de bois incandescents et des étincelles ou des surfaces chaudes dues à l’usinage de pièces contenant des éléments métalliques. Mais elles peuvent aussi être générées par des opérations par points chauds (soudage, meulage, tronçonnage…) », indique Florian Marc, expert incendie-explosion à l’INRS. On peut aussi laisser tourner la ventilation à la fin de la journée après le nettoyage de l’atelier pour dépoussiérer le réseau et éviter la remise en suspension de poussières à l’intérieur lorsqu’il sera redémarré. Enfin, il est essentiel de mettre en place des mesures organisationnelles telles le permis feu ou le nettoyage régulier de l’atelier, mais surtout avec un aspirateur. Il est essentiel d'éviter de remettre en suspension les poussières qui vont ensuite se déposer dans des endroits encore moins accessibles et peuvent être source d’incendie, d’explosion ou d'exposition secondaire lors de la remise en suspension.
Quant au dispositif d’aspiration de poussières, il doit, en cas d’explosion, être adapté pour la contenir et ne pas la propager, ni à l’extérieur, ni à l’intérieur du réseau. C’est pourquoi il est important de prendre en compte les multiples facettes de la problématique des poussières de bois dans leur globalité, et ce, le plus en amont possible. ■
EN SAVOIR PLUS
● Principes généraux de ventilation. ED 695, INRS.
● Poussières de bois : Prévenir les risques. ED 974, INRS.
● Poussières de bois : Guide de bonnes pratiques dans le secteur des scieries. ED 6029, INRS.
● Poussières de bois : Guide de bonnes pratiques en deuxième transformation. ED 978, INRS.
● Incendie et explosion dans l’industrie du bois. ED 6021, INRS. À consulter et à télécharger sur www.inrs.fr.
● Poussières de bois, l’ennemi invisible. Carsat Pays-de-la-Loire. À consulter sur www.carsat-pl.fr.
● Aspiration des poussières de bois sur machines fixes. Carsat Bretagne. À consulter sur www.carsat-bretagne.fr.
● Machines portatives et poussières de bois. OPPBTP. À consulter sur www.preventionbtp.fr.
Leslie Courbon