Des solutions opérationnelles de substitution du formaldéhyde, traditionnellement utilisé en thanatopraxie pour ses propriétés biocides, arrivent sur le marché. Si leur emploi ne fait pas encore pleinement consensus, il laisse entrevoir des perspectives d’amélioration significative en matière de prévention des risques chimiques.
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La thanatopraxie reste une profession particulièrement attachée à l’utilisation du formaldéhyde pour son efficacité et son moindre coût. © Gaël Kerbaol/INRS |
Les soins de thanatopraxie sont des actes invasifs qui nécessitent l’utilisation de produits dangereux voire cancérogènes. Le formaldéhyde est traditionnellement injecté au cours de ces soins afin de ralentir le processus de décomposition des corps, donnant la possibilité de retarder l’inhumation. Si les tentatives de substitution de ce produit ont été nombreuses, aucune n’a jusqu’ici donné pleinement satisfaction : lourdeur de la mise en œuvre, moindre efficacité du produit de substitution, incompatibilité avec les évolutions de la réglementation concernant les produits biocides…
Mais dans cette activité où la substitution reste techniquement complexe, un nouveau pas vient d’être franchi. Jean-Antoine Gourinal, directeur des crématoriums et de l’environnement de la société OGF, leader français des services funéraires, explique que, dès 2007, l’entreprise s’est tournée vers les fournisseurs de produits pour évoquer la substitution du formaldéhyde : « Devant l’absence de réponse, nous avons regardé ce qu’il était possible de faire par nous-mêmes. Le groupe OGF et la faculté de médecine de Lyon ont travaillé pendant plus de six ans sur le sujet. Nos recherches ont porté sur des produits biocides dont nous souhaitions que la mise en œuvre soit la plus proche possible de ce qui existe déjà, afin de faciliter la transition et de ne pas faire perdre leurs repères aux professionnels. » En février 2011, un dossier de demande d’agrément provisoire est déposé à l’Anses. L’agrément est obtenu le 6 septembre 2013 sur trois produits à base de bronopol, destinés à l’injection dans le système artériel et dans les cavités ou utilisés pour limiter les escarres.
« De l’expérience à acquérir »
Depuis le 1er avril 2014, la société Hygéco, qui commercialise des produits et services dans les domaines funéraire et médical, réalise tous les soins de thanatopraxie pour la société OGF avec ces produits de substitution. « Le premier trimestre 2014 a été consacré à la formation des thanatopracteurs de la société. Il existe en effet quelques subtilités de mise en œuvre, notamment en ce qui concerne les vitesses d’injection du produit », explique Jean-Antoine Gourinal.
SUBSTITUTION
Les produits à base de bronopol, utilisés depuis avril 2014 par la société Hygéco pour les soins de thanatopraxie, sont :
● un produit concentré à diluer plus ou moins pour l’injection artérielle ;
● un produit concentré injecté sans dilution préalable au niveau des cavités abdominales, thoraciques et pelviennes ;
● un gel pour les lésions extérieures.
« Un certain confort de travail est apprécié avec ce produit. Presque inodore, il ne procure quasiment aucune gêne, estime René Deguisne, thanatopracteur chez Hygéco. Je ne suis pas tout jeune dans le métier. J’ai longtemps travaillé sans masque, dans des conditions d’intervention qui se sont depuis bien améliorées. J’ai ressenti certains effets du formaldéhyde : irritation des muqueuses, assèchement des voies respiratoires… »
Aujourd’hui, OGF assure que l’effet biocide du bronopol ne passe pas par un mécanisme de libération du formaldéhyde. « Le défunt conserve un aspect naturel, la décoloration des tissus est faible, ce qui est satisfaisant vis-à-vis du délai légal de conservation de six jours pour une sépulture », avance Jean-Antoine Gourinal. « Nous avons aujourd’hui un taux de réussite quasiment identique à celui des produits formolés, indique René Deguisne. Nous avons certes juste une année de recul, mais nous avons déjà réalisé pas loin de 40 000 soins avec des produits à base de bronopol. Par ailleurs, la simplicité de mise en œuvre devrait faciliter l’adhésion. »
En outre, des ajustements sont promis. « Ce produit a comme solvant le méthanol (NDLR : le méthanol est toxique par inhalation, contact cutané et ingestion et présente des risques d’effets graves pour les organes, en particulier, risque de cécité), explique Jean-Antoine Gourinal. Nous travaillons à la modification de la formule pour le remplacer par l’éthanol, dont la toxicité est moindre. »
Lever les doutes
Si chez Hygéco, on a relevé le défi de travailler différemment avec un nouveau produit, celui-ci n’a pas encore emporté l’adhésion de la profession. « Les solutions à base de formaldéhyde sont extrêmement performantes du point de vue de leur efficacité. Bien évidemment, les changements d’habitudes et de réseau de distribution peuvent créer des tensions, explique le Dr Patrick Levy, médecin-conseil de l’UIC (Union des industries chimiques) . Il y a de l’expérience à acquérir par rapport à leur utilisation. » Le coût des nouveaux produits pourrait être un autre frein puisque ceux-ci sont sensiblement plus chers.
PROSCRIRE LES SOINS Á DOMICILE
280 000 actes de thanatopraxie sont réalisés chaque année en France par 1 000 thanatopracteurs. Dans un tiers des cas, ils ont lieu au domicile du défunt, une situation que dénonce notamment le Syndicat professionnel des thanatopracteurs indépendants et salariés (SPTIS), qui milite depuis 2012 pour la suppression des soins de thanatopraxie à domicile. Idéalement, les actes doivent être réalisés dans des salles dédiées, pensées en termes d’ergonomie comme de prévention des risques chimiques et biologiques.
« Après plusieurs tentatives infructueuses de substitution du formaldéhyde dans l’activité, les suspicions sont naturelles, reprend René Deguisne. Des produits qui avaient reçu une autorisation de mise sur le marché ont été retirés pour cause d’inefficacité. D’autres, dont la mise en œuvre était trop lourde, n’ont jamais été commercialisés en France. » Pour Cyrille Laguens, infirmière en santé au travail à l’AIST 84 (Association interentreprise pour la santé au travail du Vaucluse) qui suit de nombreux professionnels du secteur, « certains thanatopracteurs freinent par rapport aux incertitudes qui peuvent exister concernant les effets sur la santé des nouveaux produits mais, surtout, ils ne veulent pas prendre le risque de perdre en efficacité du soin. Leur priorité est de rendre le corps dans un bel état et d’aider les familles à faire leur deuil. Leur propre santé passe souvent au second plan ».
Elle rappelle que les expositions professionnelles varient en fonction de l’état du corps et des lieux dans lesquels les soins sont effectués (chambre funéraire ou mortuaire, domicile, maison de retraite, caravane…). Les risques sont beaucoup plus élevés lorsque les actes ne sont pas réalisés dans une salle dévolue à cet acte. « Cet aspect doit rester une priorité pour la prévention de l’ensemble des risques professionnels », affirme l’infirmière. Une position partagée et largement appliquée chez Hygéco.
DES STOCKS ORGANISÉS
Si les efforts doivent se poursuivre pour améliorer les conditions d’intervention pour des actes de thanatopraxie, il faut également penser au stockage des fluides de conservation dans un local séparé et dédié. Ce local doit être frais, sec et ventilé. Les produits chimiques doivent y être entreposés en tenant compte de leur éventuelle incompatibilité (rayonnages et rétentions séparés).
TÉMOIGNAGE
René Deguisne, thanatopracteur
« Le bronopol a principalement une action biocide. Son pouvoir fixatif étant très faible, les tissus du défunt gardent toute leur souplesse, d’où un aspect naturel. En revanche, l’opérateur doit s’adapter, être certain de la bonne diffusion du fluide et tenir compte de facteurs extérieurs (pH de l’eau de dilution, pathologie, état hydropique…). Sa performance et sa technicité, en un mot ses compétences, sont mises en valeur. »
Grégory Brasseur