DOSSIER

Et si l’avenir était de ne plus porter ? L’intégration des aides techniques de façon globale dans l’activité de l’aide et du soin à la personne amène la profession à se réinterroger sur ses pratiques. Mais cette approche, qui doit s’inscrire dans la durée, nécessite de faire bouger certaines lignes. En formation initiale comme en formation continue.

La conception des aides techniques doit intégrer les risques professionnels et notamment les troubles musculosquelettiques auxquels sont exposés les soignants.

La conception des aides techniques doit intégrer les risques professionnels et notamment les troubles musculosquelettiques auxquels sont exposés les soignants.

La manutention de charges ou de personnes pour accompagner les déplacements ou les transferts est depuis toujours au cœur de l’activité des métiers de l’aide et du soin à la personne, qu’ils s’exercent en établissement ou à domicile. Plusieurs fois par jour, il s’agit d’aider des personnes fragiles, vieillissantes, malades ou handicapées à s’asseoir, se mettre debout, marcher ou se rehausser dans leur lit. Ces questions viennent s’ajouter à la multitude de risques auxquels les professionnels du secteur sont confrontés quotidiennement : chutes, glissades, risques infectieux, ou encore risques psychosociaux, puisqu’ils font notamment face à la maladie ou à la fin de vie, etc.

« La sinistralité dans l’aide et le soin à la personne est préoccupante. Le nombre d’accidents du travail y est de 60 points supérieur à la moyenne nationale et a augmenté de 50 % en dix ans. Plus des deux tiers sont dus aux manutentions manuelles. Par ailleurs, l’essentiel des maladies professionnelles rencontrées relève du tableau 57 du régime général (affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail) », souligne Carole Gayet, responsable des activités Aide à la personne à l’INRS. La mise à disposition d’aides techniques pour supprimer les manutentions – ou a minima réduire les efforts et postures contraignantes – a d’ailleurs constitué un axe majeur des politiques de prévention menées ces dernières années.

Utiliser ou ne pas utiliser…

« En la matière, trois étapes sont déterminantes pour l’efficacité de la prévention : la conception, l’intégration et l’utilisation », explique Laurent Kerangueven, expert d’assistance-conseil à l’INRS. La conception doit être entendue au sens large. Il s’agit en premier lieu des locaux, qui doivent avoir été conçus et aménagés en conséquence. Que ce soit en termes d’espace pour l’implantation des aides techniques, de revêtements de sols, de zones de circulation ou de stocks. Les situations rencontrées au domicile, dans un environnement rarement adapté au travail, sont souvent plus complexes. La conception des aides techniques elles-mêmes, ensuite, doit intégrer les risques professionnels et notamment les troubles musculosquelettiques (TMS) auxquels sont exposés les soignants. C’est encore trop rare.

REPÈRES

En France, plus de 3,5 millions de professionnels travaillent dans l’aide et le soin à la personne. Ce secteur, qui emploie majoritairement du personnel féminin, est toujours en pleine croissance et marqué par une grande diversité d’acteurs. Certains exercent en établissement, d’autres au domicile d’un bénéficiaire avec, d’un lieu à l’autre, des conditions d’intervention et des moyens extrêmement variables.

Par le passé, l’INRS a travaillé en ce sens avec un fabricant, lors de la conception d’une aide technique au transfert du lit vers les toilettes et la douche, mettant en avant l’analyse des besoins, le contexte d’utilisation et les exigences liées au travail réel.

Cette démarche a fait émerger des points de vigilance, en particulier sur le type de roues, la définition d’une charge maximale et les risques induits. « L’aide technique peut modifier le mode de manutention, explique Florence Millorit, expert d’assistance-conseil à l’INRS. Elle est manœuvrée dans des espaces restreints, nécessite parfois des amorçages répétés du mouvement, des efforts de tirer-pousser... À l’avenir, il faudra se pencher sur l’aide au démarrage des dispositifs roulants. »

Une fois conçue – idéalement en tenant compte des risques professionnels – l’aide technique doit être intégrée. C’est-à-dire être disponible et en état de fonctionnement. En établissement, cela suppose des investissements. Au domicile, des oppositions à une médicalisation de la sphère privée peuvent être rencontrées, de la part du bénéficiaire ou de sa famille. Se pose ensuite une autre question : le professionnel va-t-il utiliser l’aide technique et, si c’est le cas, le fera-t-il dans de bonnes conditions ? Trop souvent, elle est la solution de dernier recours. Pour remédier à cela, la formation est essentielle. Celle du personnel comme celle de l’encadrement.

Une relation de soin renforcée

L’ergothérapeute est le professionnel de santé de référence pour les aides techniques, en établissement comme au domicile. « On le consulte pour faire le lien entre les besoins des professionnels et le matériel à disposition ou à commander, indique Laurent Dazin, représentant du Syndicat des instituts de formation en ergothérapie de France et formateur de formateur Prap 2S (Prévention des risques liés à l’activité physique, secteur sanitaire et social). Sa mission est d’aider les personnes atteintes dans leur intégrité physique et mentale à accéder à un maximum d’autonomie et, par là même, de soutenir le personnel qui les accompagne. »

UNE FORMATION PRAP SPECIFIQUE A LA PROFESSION

La formation Prap 2S est conçue pour permettre aux salariés du secteur sanitaire et social de devenir acteurs de prévention des risques liés à l’activité physique dans leur entreprise ou leur établissement. Elle est dispensée par un formateur Prap 2S certifié par l’INRS. Elle permet d’aborder la question de la mobilisation des personnes en prenant parfaitement en compte la situation et l’environnement. L’évaluation préalable systématique des capacités du bénéficiaire et l’utilisation accrue des aides techniques dans l’activité sont actuellement en cours d’intégration dans les dispositifs de formation continue de l’INRS, en particulier Prap 2S. L’INRS prévoit également de travailler avec les responsables de la formation initiale pour faire évoluer aussi le contenu des enseignements pour les futurs salariés (infirmiers, aides-soignants, etc.).

Depuis la mise en place il y a trois ans du dispositif de formation de formateur Prap 2S dans sa formation initiale, l’ergothérapeute est devenu un acteur clé du déploiement de la culture de prévention des risques auprès des professionnels de la santé et du soin. « Aujourd’hui, il y a un réel enjeu à faire comprendre que l’aide technique est à la fois bénéfique pour le personnel et pour la personne aidée. Dans des établissements gériatriques où des rails plafonniers ont été installés, par exemple, on a vu la relation de soin se renforcer », souligne Sébastien Le Métayer, ingénieur-conseil à la Carsat Languedoc-Roussillon. L’idée, désormais, est de dire que l’on peut prendre soin mais ne plus porter. Une philosophie qui se heurte à des idées véhiculées dès la formation initiale.

« Nous devons lutter contre l’idée reçue, selon laquelle pour faire une manutention, il faut un effort physique, insiste Philippe Biélec, ingénieur-conseil à la Cnam. La manutention, comme la mobilisation, qui consiste à manipuler une personne en s’appuyant sur ses capacités même très limitées de mobilité, doit être envisagée comme partie intégrante du soin, pas comme une opération annexe. » Pour Carole Gayet, cela tient en un mot : intégrer l’aide technique « naturellement » dans le soin. En l’utilisant pour accompagner la personne en sécurité, en préservant son autonomie et en libérant le soignant de contraintes physiques qui présentent des risques et nuisent à la qualité de soin. Marion Dessert, infirmière au Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, à Paris, a suivi, lors de son arrivée dans l’établissement, une formation à ce type d’approche. « J’évalue, au moment de l’intervention, les capacités de la personne pour voir comment elle peut prendre part au déplacement, avant de choisir l’aide technique lorsqu’elle est nécessaire, précise-t-elle. On fait ensuite les choses ensemble, ce qui permet de se recentrer sur la dimension relationnelle, l’essence même du métier. »

VERS UNE DÉMARCHE DURABLE

« Depuis un an, les structures d’aide à domicile et les établissements sont de plus en plus nombreux à nous missionner sur la prévention des TMS et l’utilisation des aides techniques. Ayant compris que l’approche par les gestes et postures était insuffisant, beaucoup se sont dit qu’il fallait interroger l’ergonomie des lieux », explique Valérie Brasseur, ergothérapeute et responsable de formation chez DDC (Développement durable des compétences). La formation de formateurs Prap 2S, puis son déploiement avec la formation d’acteurs, ont contribué à consolider un dispositif où chacun a un rôle à jouer. L’ergothérapeute apporte sa connaissance sur les aides techniques, l’infirmier ou l’aide-soignant, celle du terrain et de l’activité réelle. « On ne travaille jamais seul pour prévenir les risques liés à l’activité physique. Le formateur Prap 2S est le liant mais tout le monde doit être mobilisé, insiste Valérie Brasseur. Aujourd’hui, la principale difficulté rencontrée dans la mise en place d’une démarche pérenne est souvent liée aux changements de direction. La direction d’établissement doit en effet porter la démarche de prévention, motiver la culture Prap 2S et le déploiement du dispositif. »

Grégory Brasseur

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