Le Centre européen de rééducation du sportif (CERS) de Capbreton, dans les Landes, accompagne des sportifs à la suite d’une opération. Le programme de rééducation qui leur est proposé vise bien entendu à permettre la récupération rapide de leurs capacités, mais également à prévenir la survenue de nouvelles blessures. Il intègre dans certains cas une composante psychologique en complément des exercices physiques.
C’est face à l’océan Atlantique et ses déferlantes qui montent à l’assaut de la côte landaise que les pensionnaires du Centre européen de rééducation du sportif (CERS) de Capbreton retrouvent petit à petit leur faculté de pratiquer le sport. « Tous les ans, 2 300 patients bénéficient du savoir-faire de nos équipes soignantes, affirme Yves Barbreau, directeur du centre. Nous accueillons aussi bien des sportifs compétiteurs, que des professionnels exerçant des métiers du sport comme les moniteurs de ski, les entraîneurs ou les étudiants en Staps, par exemple. » Depuis mars 2016, et la signature d’une nouvelle convention avec la Sécurité sociale, le CERS prend également en charge des militaires et des pompiers, dont le corps est un outil de travail indispensable.
« Nos patients ont la volonté de reprendre rapidement l’entraînement et c’est également ce que souhaitent leurs employeurs lorsqu’il s’agit de professionnels, explique le Dr Éric Laboute. Si nos programmes de rééducation prennent en compte cette contrainte temporelle, ils visent aussi à prévenir de nouvelles blessures qui peuvent survenir si la rééducation est incomplète. » En effet, à la suite d’une lésion, les perceptions corporelles sont modifiées, ce qui entraîne des changements dans les mouvements du sportif. Il compense la faiblesse d’un genou récemment opéré, par exemple, en adoptant des postures inadaptées à une pratique en sécurité de sa discipline. Il s’agit donc, au-delà de la remise en fonction d’une articulation endommagée, d’appréhender globalement le corps afin qu’il retrouve sa gestuelle d’avant blessure.
Pour y parvenir, récupérer de bonnes capacités proprioceptives est important, car l’une des formes de la proprioception est la capacité à percevoir la position du corps et de ses différentes parties dans l’espace (kinesthésie). « Si l’on regarde les joueurs de football, on se rend compte que 75 % des ruptures de ligaments croisés arrivent sans contact avec d’autres joueurs. C’est sur des appuis en rotation mal contrôlés que les blessures du genou se produisent le plus souvent, affirme le Dr Laboute. Une bonne capacité proprioceptive permet d’adapter au mieux sa posture et donc de limiter le risque d’accident. »
Et justement, en cas de blessure, la proprioception est diminuée pour la jambe lésée, mais aussi sur celle considérée comme saine, comme l’a montré une étude du praticien (lire l’encadré ci-dessous). Cela confirme l’intérêt de ne pas concentrer la rééducation uniquement sur la partie atteinte, mais de travailler sur l’ensemble du corps pour en reprogrammer les automatismes perdus.
Un esprit sain dans un corps sain
« Après une intervention de reconstruction du ligament croisé du genou, les athlètes présentent un défaut de contrôle postural, avec un valgus dynamique, c’est-à-dire qu’ils déportent le genou vers l’intérieur en flexion sur certains appuis, explique Oscar San Juan, kinésithérapeute. Pour corriger cela, nous panachons les exercices centrés sur l’articulation et ceux visant à retrouver une gestuelle correcte. » Ainsi le patient alterne les flexions, son genou relié à un espalier par un élastique pour l’amener à corriger ce valgus fonctionnel, et des séances de course sur un tapis particulier, utilisé aussi par les chercheurs pour simuler l’apesanteur dans l’espace. Celui-ci permet, en enserrant l’athlète au niveau de la taille, de réduire de façon variable le poids appliqué sur les jambes.
« Si l’on demandait à nos patients de se remettre à courir sans passer par ces paliers, ils compenseraient et leurs postures inadaptées risqueraient de les amener à se blesser encore, explique Oscar San Juan. Nos exercices permettent de travailler la proprioception, mais pas uniquement. La coordination et la force musculaire doivent aussi entrer en ligne de compte pour une rééducation réussie. »
ÉTUDE SUR LA PROPRIOCEPTION
Le Dr Éric Laboute, du CERS, a mené une étude sur les changements qu’entraîne une blessure en matière de proprioception kinesthésique, facteur important de prévention des blessures. Deux groupes de sportifs, l’un constitué de sujets opérés du genou et l’autre de personnes saines, ont été soumis à un test consistant à détecter le mouvement passif de leur jambe dans l’espace, les yeux bandés. Les participants devaient indiquer à quel moment ils ressentaient le mouvement. Les sujets lésés ont montré un déficit de proprioception aussi bien au niveau de leur jambe blessée que de la saine.
Ces résultats indiquent que, chez les athlètes accidentés, la perception cérébrale du côté valide est elle aussi modifiée, même si c’est dans une moindre mesure que du côté meurtri. « Un programme de rééducation qui intègre cette réalité permet à la fois de récupérer plus vite mais aussi de réduire les risques de nouvelles blessures », conclut le Dr Éric Laboute.
Dans certains cas, les efforts fournis en salle de sport sont complétés par un travail sur le mental qui peut jouer un rôle dans la récupération des automatismes. Une préparation mentale spécifique peut alors être proposée aux sportifs en fonction de leurs besoins. Par exemple, des séances d’EMDR (eye-movement desensitization and reprocessing ou, en français, désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) permettent d’évacuer le traumatisme qui peut empêcher un sportif de faire certains mouvements correctement, car le cerveau a enregistré la douleur qui en résulte.
Cette technique utilise un phénomène naturel du fonctionnement du système nerveux central qui se déroule habituellement pendant le sommeil. Accompagné de rapides oscillations des yeux, le cerveau traite les mauvaises expériences pour les intégrer et ne plus les craindre. « Cela fonctionne pour des traumas physiques bénins, mais aussi pour des cas plus graves liés à des expériences de blessures en intervention pour les militaires ou les pompiers », précise Emmanuelle Broadbridge, psychologue du CERS.
En parallèle de cet appui aux thérapies physiques, la durée des séjours, trois semaines en moyenne, est l’occasion de faire de la prévention des addictions. En effet, les sportifs présentent un terrain favorable à l’adoption de comportements addictifs, qui peuvent s’expliquer par la recherche de sensations fortes perdues avec l’arrêt de la pratique de leur discipline. La psychologue sensibilise les patients à cette problématique et accompagne ceux, conscients d’une addiction déjà installée, qui décident de profiter de ce temps particulier pour entamer une période de sevrage.
L’anxiété et les tendances dépressives sont également évaluées afin de détecter les patients sur une mauvaise pente et d’empêcher la dépression qui peut survenir à la suite d’une blessure, notamment lorsque celle-ci sonne le glas d’une carrière. « Je suis arrivée au CERS il y a seize ans. Les patients ont rapidement perçu le bénéfice de l’expression et de la compréhension des émotions dans un travail dédié au corps, raconte Emmanuelle Broadbridge. Depuis, la prise en charge psychologique s’est développée. Elle fait aujourd’hui partie intégrante du processus de reconstruction et prend tout son sens tant en termes de soins qu’en termes de prévention. »
Le travail que mènent les équipes du CERS sur le corps et l’esprit de ses patients montre qu’une dimension de prévention peut être intégrée à des programmes de rééducation. Car au-delà d’une remise sur pieds, son objectif est bien aussi de maintenir les sportifs éloignés des blessures physiques comme des bleus à l’âme. ■
UNE APPROCHE GLOBALE DU CORPS
Les sportifs développent des automatismes liés à la répétition de mouvements spécifiques demandés par leur discipline. Après un accident, ces automatismes sont mis à mal. « Une blessure change la coordination des différentes parties du corps mobilisées dans la pratique d’un sport, explique Oscar San Juan, kinésithérapeute au CERS. Si l’on se contente de remettre en fonctionnement une articulation, un genou par exemple, sans reprogrammer l’ensemble de la gestuelle, on s’expose à de nouveaux soucis physiques. »
Damien Larroque