DOSSIER

Les chantiers du Grand Paris Express sont aussi l’occasion d’innovations, à grande et à plus petite échelle, pour améliorer les conditions de travail. Illustration avec la première utilisation d’un tunnelier vertical en France, et avec un outil de percement aménagé pour réduire l’exposition des compagnons aux vibrations et aux poussières.

Ce tunnelier vertical est utilisé pour la première fois en France. Le creusement se fait sous l'eau, supprimant les émissions de poussières. Et il n'y a plus de personnes exposées au fond.

Ce tunnelier vertical est utilisé pour la première fois en France. Le creusement se fait sous l'eau, supprimant les émissions de poussières. Et il n'y a plus de personnes exposées au fond.

C’est une première en France. Un tunnelier vertical, nommé VSM (pour Vertical Shaft Sinking Machine) est utilisé sur des lots du Grand Paris Express. Cet engin sert à creuser des puits d’une quarantaine de mètres de profondeur et d’un diamètre variant de 8,80 m à 11,90 m. Il s’agit d’ouvrages annexes qui abriteront des éléments techniques comme des gaines de ventilation et serviront d’accès aux secours. Sur le tronçon T3C de la future ligne 15 sud, qui s’étend sur 8 km entre la gare souterraine de Fort d’Issy-Vanves-Clamart et la future gare de Villejuif-Louis Aragon, cinq gares sont prévues ainsi que huit ouvrages annexes, espacés d’environ 800 m.

« Nous avons proposé cette solution technique après l’obtention du marché, explique François Colletta, directeur de travaux chez Vinci Construction France. Comme il s’agit d’une première, nous avons choisi de l’utiliser sur quatre des huit puits à construire. Le fabricant de l’outil, Herrenknecht, est très présent en appui. » La méthode traditionnelle consiste à creuser ce type de puits à l’aide d’outils d’excavation (brise-roche hydraulique, bennes preneuses) avec recours à la technique des parois moulées. Pour l’équipe de sept personnes, c’est donc la découverte d’une nouvelle technique, et l’occasion de nombreux apprentissages.

Sur le site, puits et machine composent un ensemble : le VSM repose sur les parois du puits grâce à trois bras fixes. Au bout d’une tête mobile tourne une fraise qui excave le terrain de façon radiale. Cette opération se fait sous l’eau, pour faciliter l’aspiration des déblais. « Creuser en maintenant les terres inondées réduit considérablement les émissions de poussières et ainsi les risques associés », observe Jean-Philippe Bernard, contrôleur de sécurité à l’antenne 92 de la Cramif. Une fois l’épaisseur de terrain excavée suffisante, les voussoirs en béton qui constituent la paroi glissent vers le fond sous leur propre poids.

Aux dires des responsables, ce chantier s’apparente plus à du travail de fondation profonde qu’au creusement d’un tunnel. « Cette méthode est plus rapide que la méthode traditionnelle, commente Bastien Giraudet, foreur chez Botte Fondations. Avec le VSM, on peut creuser jusqu’à un mètre par jour. » La technique ne nécessitant plus de présence humaine au fond du puits, il n’y a donc plus d’exposition de personnes aux risques. Et plus besoin non plus de ferraillage, ce qui supprime les manutentions d’aciers et l’exposition aux fumées de soudage.

FORER EN SÉCURITÉ

Présentes en nombre sur les chantiers du GPE, les foreuses sont des machines potentiellement dangereuses. Leurs éléments mobiles en rotation exposent notamment à un risque de happement des personnes à proximité. Des accidents graves, parfois mortels, surviennent encore, en particulier avec d’anciennes machines. Certaines entreprises intervenant sur le GPE ont reçu une injonction pour des utilisations non sécurisées. « Pendant 10 ans, on va avoir des activités de forage, la vigilance doit donc être permanente », décrit Denis Ader, ingénieur-conseil à la Cramif. Les entreprises doivent ainsi évaluer la dangerosité de leurs machines et les mettre en sécurité sur la base de la norme EN 16228 en tenant compte des évolutions possibles de la technique : installation de cages de protection, présence d’un mode « lent » incluant un temps d’arrêt d'un demi-tour de l'élément mobile... Des aides financières peuvent accompagner les entreprises les plus modestes sur ces questions.

Au terme du creusement du deuxième puits, qui a duré deux mois et trois semaines en lisière du cimetière de Bagneux, l’appropriation de la technologie se passe plutôt bien. « La plupart des risques se situent sur la machine, identifie Christophe Rosset, conducteur de travaux chez Dodin Campenon Bernard. On a rencontré plusieurs pannes dues à l’eau. Nous avons conscience que les interventions sur la machine en panne restent à améliorer. » « C’est l’occasion de réfléchir à de nouveaux systèmes, abonde Johan Wahl, chargé de prévention dans cette même entreprise. Sur les chantiers classiques, l’environnement de travail change quotidiennement. Ce n’est pas le cas ici, on est plus sur un fonctionnement en mode industriel, on ne fait donc pas la prévention de la même façon. »

Innovations techniques et aménagements plus modestes

La même machine étant prévue pour servir sur les quatre puits, des améliorations voient le jour en mutualisant les observations. La pose des garde-corps autour du puits a été renforcée. Des enrouleurs pneumatiques pour flexibles ont ainsi été installés afin de supprimer les risques de chute de plain-pied. Ou encore des inserts ont été pré-intégrés aux voussoirs pour éviter les opérations de scellement après la pose, qui exposaient au risque de chute de hauteur.

Parallèlement à de telles innovations techniques, des aménagements plus modestes ont aussi leur place sur les chantiers du GPE. Sur la commune d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, les voies d’accès au futur centre de maintenance et de remisage de la ligne 16 font actuellement l’objet du creusement d’une tranchée de 500 m de long, dont 250 m couverts et 250 m à ciel ouvert, et de 6 à 15 m de profondeur. Pour couler la dalle du radier, il faut au préalable fixer des aciers sur les voiles en béton déjà en place. Pour ce faire, il est nécessaire de forer des trous à la base de ces voiles. Au total, 5 000 trous sont nécessaires ici.

CHIFFRES

100 milliards
d’euros, c’est le montant estimé des travaux de construction du GPE par la Fédération française du bâtiment, soit 35 fois le budget d’investissement pour les Jeux olympiques de 2024.

48 millions
de tonnes de déblais vont être extraites des sous-sols franciliens d’ici à 2030. Pour gérer ces volumes, un schéma de gestion et d’évacuation des déblais a été défini par la Société du Grand Paris.

600 000 m2
de projets immobiliers connexes aux gares du Grand Paris Express sont programmés, dont 200 000 m2 dédiés aux activités économiques, et à terme entre 250 000 et 400 000 logements à construire.

L’opération s’avère physiquement sollicitante pour les opérateurs. Un ingénieux dispositif a été développé entre le fabricant, Hilti, et Eiffage Génie Civil. Installé sur un rail ajustable en hauteur, manipulé par un bras de levier, l’outil de percement a été aménagé pour réduire la pénibilité de cette opération. Et à la manœuvre, deux ouvriers, spécialement formés, enchaînent avec facilité les percements. L’un fore les trous tandis que le second emploie un ferro-scan, un outil spécial pour localiser les aciers présents dans le béton afin de ne pas casser les mèches en creusant. Il matérialise des marques orange et jaunes à la surface. Les points orange indiquent les points de percement idéaux et les points jaunes ceux où seront réellement percés les trous, en fonction des fers présents dans le béton.

Le binôme fore jusqu’à 250 trous par jour, d’un diamètre de 25 mm et de 27 cm de profondeur. Ce dispositif améliore ainsi les conditions de travail par rapport à une méthode traditionnelle. « On gagne en rapidité, en qualité, en confort, tout est plus facile, décrit Mohamed Jmoure, foreur. Et on n’a plus mal au dos le soir. » Cet aménagement limite aussi les vibrations des bras et supprime les émissions de poussières. Un aspirateur branché directement sur l’outil permet de capter les émissions à la source. « C’est un investissement non négligeable, de l’ordre de 20 000 € + 7 000 € pour le ferroscan, souligne Christophe Gigot, maître compagnon chez Eiffage Génie Civil. Mais il nous servira à l’avenir. Il reste un dernier point d’amélioration au niveau de la jonction entre l’outil et l’aspirateur, qui est scotché pour le moment. Un coude en aluminium est en attente pour assurer la bonne étanchéité de l’ensemble. » Le projet GPE est donc aussi un terrain de choix pour innover, inventer, créer de nouvelles techniques ou optimiser les outils existants pour améliorer les conditions de travail, à petite ou à grande échelle. 

Céline Ravallec

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