DOSSIER

La SNCF veut mettre un frein à la pénibilité des travaux de maintenance du matériel roulant ferroviaire. Développé avec la société Ergosanté Technologie pour répondre aux exigences de travail, un exosquelette modulaire, façon couteau suisse, arrive dans les technicentres. Objectif : préserver la santé physique de l'agent, sans chercher à en faire un surhomme.

Même en environnement contraint, lors des interventions en fosse, le dispositif permet à l'opérateur de conserver une souplesse dans ses déplacements.

Même en environnement contraint, lors des interventions en fosse, le dispositif permet à l'opérateur de conserver une souplesse dans ses déplacements.

En matière de nouvelles technologies d’assistance physique, la SNCF se défend d’avoir cédé à un quelconque effet de mode. Si un exosquelette, développé en partenariat avec la société Ergosanté Technologie, et visant à réduire la charge physique des agents de maintenance du matériel roulant ferroviaire, est sur le point d’être commercialisé, il est loin d’être sorti du chapeau. Avant de se lancer, d’autres solutions, plus classiques, ont été envisagées.

Au technicentre de maintenance de Chambéry, Sébastien Marmillod s’apprête à remplacer des semelles et garnitures de freins. Une opération particulièrement éprouvante physiquement. Équipé de la toute dernière version de l’exosquelette encore en phase de test, il descend en fosse. « Le dispositif est assez ergonomique. Même en environnement contraint, je conserve de la souplesse dans mes déplacements. Tout est fluide, y compris lorsqu’il faut donner des coups de marteau, souligne l’agent de maintenance. Une semelle de frein pèse 12 kg, qu’il faut porter à bout de bras. Avec l’exosquelette, on ne s’en rend plus compte. Et quelle évolution depuis le prototype que j’ai testé l’année dernière ! »

Le couteau suisse de l’agent de maintenance

C’est en 2014 que la SCNF a identifié les nouvelles technologies d’assistance physique que sont les exosquelettes et les robots collaboratifs comme axes de progrès potentiels. Yonnel Giovanelli, responsable du pôle ergonomie et facteurs organisationnels et humains à la Direction du matériel, prend en charge, dès 2015, un projet d’expérimentation. Il réalise de nombreuses études ergonomiques, effectue un tour d’horizon complet du marché et teste les exosquelettes disponibles qui, pour l’essentiel, sont encore encombrants, lourds et difficiles à régler seul. « Je n’ai pas trouvé d’exosquelette adapté à nos exigences de travail et à l’extrême diversité des situations rencontrées par nos agents, explique-t-il. C’est pourquoi nous avons eu l’idée de concevoir un exosquelette modulaire de type couteau suisse, que l’opérateur règle lui-même pour modifier l’assistance en fonction de la tâche à réaliser. »

L’exosquelette que porte Sébastien Marmillod réunit à lui seul cinq fonctions : assistance à l’extension des cervicales, au maintien des bras en l’air, à la flexion du tronc vers l’avant, à la manutention (jusqu’à 15 kg) et au port des outils lourds. En grande partie composé d’éléments imprimés en 3D, il reste relativement léger – autour de 6,5 kg et s’adapte aux différentes morphologies. « Je sais quels réglages faire et à quel moment. C’est assez intuitif. Et puis ça donne une dimension technologique intéressante à un travail parfois ingrat », évoque l’opérateur.

Toutes les nuits, les agents de maintenance contrôlent en binôme deux rames de 7 ou 8 voitures. « Le changement des semelles de frein est une opération très courante, que je ne suis plus en mesure de réaliser sans l’exosquelette, m’étant blessé à l’épaule lors d’un accident du travail », poursuit-il. Dans beaucoup d’entreprises, les activités de maintenance restent accidentogènes. Nombreux sont les opérateurs qui souffrent à leur poste de travail. Pour la SNCF, s’intéresser aux nouvelles techno­logies d’assistance physique n’a jamais été un prétexte pour répondre au fantasme de l’homme augmenté. Oubliez Iron man, ici, on parle d’homme préservé.

Intégrer des critères organisationnels et humains

Dès 2017, un groupe pluridisciplinaire (service des méthodes, ergonome, psychologue du travail, médecin du travail, utilisateurs…) a été formé pour suivre la conception technique et les tests des différents prototypes sur le terrain, avec plusieurs dizaines d’agents. Ces retours ont permis au partenaire Ergosanté Technologie de faire évoluer la solution. Jusqu’à la version testée aujourd’hui. « Il fallait avancer avec prudence car le port de l’exosquelette n’est pas neutre pour le corps et le fonctionnement des muscles. On n’en connaît pas les effets à moyen et long termes. Dans la démarche de conception, nous avons intégré, au-delà des données purement techniques, les critères organisationnels et humains », souligne Yonnel Giovanelli.

À la veille du déploiement dans les technicentres, l’ergonome est plus que jamais convaincu de la nécessité de continuer à œuvrer pour la mise en place d’une culture exo­squelette dans l’entreprise. Il faut démythifier l’objet. Très tôt, il a d’ailleurs veillé à associer les organisations syndicales au projet. Les tests ont été réalisés avec des opérateurs équipés de capteurs pour les mesures physiologiques et biomécaniques, mais également via des questionnaires visant à évaluer le ressenti des agents. « Il fallait aller dans les établissements. Au niveau national, on ne connaît pas la situation projetée. Un exosquelette n’est pas un EPI. Ce n’est pas une clé de 12. C’est une interface entre l’agent et le travail », insiste l’ergonome. Chaque organisation a des risques et des contraintes qui lui sont propres. En fonction des cas, l’exosquelette pourra être dédié à un agent, à une équipe, à une tâche… Rien n’est prédéterminé.

Pour cadrer sa démarche d’intégration, la SNCF demande aux établissements de rédiger une méthode de sécurité commune. Cela vaut pour l’exosquelette développé avec Ergosanté Technologie comme pour toutes les nouvelles technologies d’assistance physique qui seront proposées. Sont-elles adaptées à la situation ? Quels en sont les avantages et les inconvénients ?  De quelle façon nécessitent-elles de requestionner le travail ? Dans chaque cas, les réponses devront se construire avec le collectif. En s’assurant de rester, du point de vue de la sécurité, globalement au moins équivalent à la situation antérieure, sans générer d’autres risques. 

BESOIN ET SUIVI

L’analyse de l’existant a permis d’établir un cahier des charges fonctionnel avec cinq critères principaux retenus pour l’exosquelette : la légèreté, la facilité d’utilisation, l’adaptabilité aux différentes méthodologies, le caractère modulaire et le coût. Localement, le médecin du travail donnera son aval pour l’utilisation de l’exosquelette et assurera un suivi. La présence du préventeur d’établissement et un suivi national régulier permettront d’apprécier l’évolution dans le temps de la situation et d’identifier de nouveaux cas d’usage.

MAINTENANCE

La maintenance de l’exosquelette nécessite plusieurs niveaux d’intervention : au quotidien par l’utilisateur, des vérifications régulières de l’établissement, un check-up complet chez le fabricant avec une régularité à définir.

MAINTIEN DANS L’EMPLOI

© Guillaume J.Plisson pour l’INRSAu cours d’une intervention de maintenance, Sébastien Marmillod s’est gravement blessé à l’épaule. « J’ai été sorti du roulement de nuit car je ne suis plus en mesure de changer les semelles de frein. Du coup, j'ai perdu mes primes. C’est ma vie professionnelle et ma vie personnelle qui en pâtissent », explique-t-il. S’il fait partie des premiers testeurs de l’exosquelette, ce n’est pas un hasard. Il en va de son maintien dans l’emploi. « Avant d’avoir un problème, on se sent costaud, poursuit l'opérateur de maintenance. Surtout quand on est jeune. Il y a encore un vrai travail de prise de conscience à faire. L’exosquelette n’est pas un jouet. Pour tous, il peut permettre de se préserver. À mon niveau, c’est ce que j’essaie de transmettre. »

Grégory Braseur

Haut de page