En Normandie, les verreries Brosse, devenues Zignago Vetro Brosse en 2002, sont spécialisées dans la production de flacons et carafes pour les secteurs de la parfumerie, de la cosmétique et des spiritueux de luxe. En automatisant progressivement son outil de travail, l’entreprise améliore sensiblement les conditions de travail de ses salariés.
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Grâce à la semi-automatisation, des tâches nécessitant des manutentions et des gestes contraignants ont disparu. © Grégoire Maisonneuve pour l’INRS |
L’AVENTURE de la verrerie Zignago Vetro Brosse a débuté en 1854 en Normandie. Les quatre chiffres qui sont gravés sur le petit clocher en pierre qui chapeaute l’un des bâtiments de la fabrique, située à Vieux-Rouen-sur-Bresle, sont là pour témoigner de la longue histoire de l’entreprise : 1892. « C’est l’année de mise en service du premier four, raconte Laurent Santarelli, le directeur de l’usine. À cette époque, les procédés de fabrication du verre n’étaient pas contrôlés aussi finement qu’aujourd’hui. Lorsque la matière en fusion atteignait la qualité et la viscosité à laquelle il devient possible de la travailler, on sonnait alors la cloche pour appeler les ouvriers qui habitaient tous alentour. »
En 1921, la verrerie se voit confier la conception des flacons de ce qui est devenu un incontournable de la parfumerie, le n° 5 de Chanel. Une production qui perdure de nos jours et qui a amené l’entreprise à travailler avec d’autres grands noms du luxe, aussi bien pour offrir des contenants à des fragrances que pour réaliser des flacons dignes de spiritueux d’exception. Les 350 salariés produisent jusqu’à 45 000 contenants par jour, soit 60 millions d’unité par an. Ces quantités sont rendues possibles par l’automatisation de plus en plus grande de l’outil de travail débutée même avant l'arrivéd de Zignago Vetro, le groupe italien qui a racheté la verrerie en 2002. Des investissements pour la productivité qui ont également des effets bénéfiques sur la prévention des risques professionnels.
Dans semi-automatique, il y a automatique
L’amélioration est perceptible dès le début du process. Le pesage ainsi que le mélange du sable, de la chaux, de la soude et du verre recyclé ne nécessitent plus de manutention. Les pelles et les brouettes ont cédé la place à des trémies programmables qui vident dans des mélangeurs les quantités de matières premières adaptées aux différentes recettes de verres. Un convoyeur aérien fermé guide ensuite les ingrédients jusqu’au four qui, à 1 500 °C, les transforme en verre liquide. Ce dernier arrive sur les différents postes de fabrication après avoir transité par des canalisations appelées feeders lui laissant le temps de refroidir jusqu’aux alentours de 1 200 °C, température à laquelle il a la consistance adéquate pour et être mis en forme.
Si les postes où sont réalisés les contenants qui nécessitent le plus de précision ne sont pas complètement automatisés, de nombreuses évolutions ont drastiquement réduit le nombre de gestes et les efforts à fournir. En effet, par le passé, ces postes semi-automatiques nécessitaient la présence de quatre salariés. Grâce aux changements lancés il y a une dizaine d’années, les tâches nécessitant des manutentions et des gestes contraignants ont disparu petit à petit et, aujourd’hui, un seul opérateur suffit.
Les paraisons tombent auto-matiquement dans le moule ébaucheur qui forme grossiè-rement la pièce de verre. Plus loin, la bouteille prend son aspect quasi définitif dans le moule finisseur au sortir duquel un rebrûlage fait disparaître les dernières imperfections que sont les traces de joints de moule. « Plus besoin de forcer sur les bras pour ouvrir et fermer les moules qui sont automatisés, souligne Carlos Lopez, un verrier. On ne manipule plus de “ferret”, un convoyeur emporte la production jusqu’à l’arche de refroidissement… En fait, nous n’avons plus qu’à transférer, à l’aide d’une pince, la bouteille d’une machine à l’autre. Le métier a bien changé. »
TIRAGE À FROID ET COURANT D’AIR
Pour conserver le four à la bonne température, l’apport en matière première est continu. Il est donc par moment snécessaire de sortir le trop-plein de verre en fusion, quand la production est ralentie, par exemple. Cette opération s’appelle le tirage à froid. Auparavant, sur la ligne semi-automatique, deux salariés s’en chargeaient, cueillant le verre et coupant les paraisons pour les faire tomber dans un conduit débouchant dans un réservoir d’eau. Ainsi refroidi, le verre était recyclé en étant réintroduit dans le process. La tâche était ardue en termes de port de charge pour le cueilleur, et d’exposition à la chaleur pour le coupeur. C’est maintenant de l’histoire ancienne puisqu’un robot s’occupe de tout. Autres dispositifs qui préviennent les coups de chaud, sur les postes semi-automatiques : des grilles au sol permettent à l’air frais en provenance de l’étage inférieur de circuler et des tuyaux positionnables qui conduisent un flux d’air là où l’opérateur le souhaite.
Certains salariés estimaient qu’en supprimant les mouvements ancestraux, le métier perdrait son essence, sa beauté… « Mais si cet art est dévastateur pour le corps, c’est mieux ainsi, affirme Laurent Batté, délégué syndical. Il était primordial d’en convaincre les équipes. En intégrant des opérateurs aux réflexions sur les aménagements, nous nous sommes assurés que les solutions seraient adaptées aux réalités du terrain et qu’elles seraient plus facilement acceptées. »
Moins de charges pour la maintenance
Dans un autre bâtiment, l’atelier tout automatique est specta-culaire. Telles des gouttes de feu, les paraisons tombent dans les quatre machines, par le biais de couloirs qui rougeoient à leur passage. Le rythme martelé par les ouvertures et les fermetures des moules semble donner le tempo de la chorégraphie des pilotes qui s’affairent autour de ces monstres mécaniques. « Avec l’évolution des matériaux qui constituent les moules, il n’est plus nécessaire de les graisser entre chaque flacon, note Rémy Lagorce, contrôleur de sécurité à la Carsat Normandie. Cela limite l’apparition de troubles musculosquelettiques (TMS) et facilite les opérations de changement puisque leur poids est moindre. »
Le port de charge a en effet été identifié comme le gros point noir pour les équipes de maintenance. Ainsi, des palans sont installés sur chaque face des machines ainsi qu’au-dessus de chaque établi de l’atelier de réparation. Pour soulager les salariés qui interviennent simultanément sur les deux côtés des machines, deux petits chariots maniables sont apportés à proximité des équipes. Auparavant, il fallait manutentionner les pièces jusqu’à l’unique chariot, trop impo-sant, que l’on garait à l’une des extrémités des machines. Les pièces standardisées et la tuyauterie en raccords rapides sont également venues faciliter les opérations de maintenance : plus besoin de dévisser et revisser les colliers à la chaîne, ce qui exposait aux TMS.« Il nous reste encore de nombreux points d’amélioration mais nous comptons bien les régler les uns après les autres. Nous sommes en train de créer une vraie culture de prévention et aujourd’hui, je n’ai plus besoin de pousser, comme c’était auparavant le cas, pour faire avancer des projets en la matière », se félicite Laurent Santarelli. ■
BOUT FROID
Par opposition au four et aux postes de fabrication, nommé bout chaud, le terme bout froid renvoie aux arches de recuisson à la sortie desquelles la production est ramenée à température ambiante. Les convoyeurs étant très larges, les équipes ont mis au point des outils pour rapprocher les flacons et ainsi éviter de trop se pencher. Les bouteilles sont ensuite rangées dans des barquettes qu’il fallait anciennement soulever et poser sur le convoyeur à destination de l’emballage positionné au-dessus du poste de préparation. Une table élévatrice conçue en interne a aujourd’hui supprimé ce port de charge. « On a juste à pousser les barquettes. Ça épargne les bras qui sont moins courbaturés le soir, s’enthousiasme Séverine Cellier, une trieuse. En plus, le nouvel éclairage individualisé qui nous permet de rejeter les pièces présentant un défaut est positionnable à notre guise. Avant, il était gênant pour récupérer la production. » Quant à la réalisation des palettes, un robot a remplacé les manutentions manuelles.
Damien Larroque