Manutentions, chutes, accidents de la route… les accidents du travail sont très fréquents dans le secteur de l’aide à domicile. L’analyse des situations de travail, l’organisation du travail, le déploiement d’aides techniques et la formation aux risques professionnels sont autant de leviers pour améliorer les conditions de travail des salariés.
Près de 100 accidents du travail pour 1 000 salariés : la sinistralité du secteur de l’aide à domicile est très forte, près de trois fois plus élevée que la moyenne nationale tous secteurs confondus. Un chiffre qui n’a cessé de croître ces dix dernières années. La majorité des accidents sont liés aux manutentions manuelles, aux chutes de plain-pied et de hauteur. La prévention des risques professionnels demeure un sujet délicat dans ce secteur très varié à la fois en termes de structures et d’activités.
« Plus de 8 000 établissements proposent des services d’aide à domicile en France destinés aux personnes âgées ou handicapées », présente Laure Le Douce, ingénieur-conseil à la Cnam. À ces établissements s’ajoutent des structures publiques, des structures de services à la personne (jardinage, ménage, garde d’enfant…), et également de l’emploi direct par des particuliers employeurs. Au total, cela représente 1,4 million de travailleurs, la grande majorité de l’activité étant consacrée à l’aide à la personne.
Principale particularité du secteur de l’aide à domicile : l’activité professionnelle est exercée dans des lieux de vie qui n’ont pas été conçus pour le travail. Les situations rencontrées sont très diverses et spécifiques à chaque domicile : habitat exigu, logement encombré, présence d’animaux, étages, absence de douche, etc.
Les besoins des bénéficiaires sont eux aussi multiples : aide au lever, à la toilette, aux courses, entretien du domicile, préparation des repas, accompagnement social… Leur identification est une étape essentielle dans l’organisation des interventions et chaque situation doit donner lieu à un repérage des risques professionnels. Cette analyse est un prérequis indispensable à la mise en place de mesures de prévention adaptées.
Aides techniques et formation
Il peut s’agir autant de la nécessité de l’achat d’outils, d’aides, que de l’aménagement des interventions, la mise en place de formations, ou encore l’organisation des journées des intervenants… Les adaptations possibles sont diverses. Cela peut aller du simple aménagement des lieux – enlever un tapis qui présente un risque de chute, déplacer le mobilier qui gêne lors de l’intervention et oblige le professionnel à des postures contraignantes, etc. – à la mise en place d’équipements plus lourds comme, dans le cas de soins à la personne, des aides à la mobilisation (lit médicalisé, lève-personne, etc.) afin de faciliter les transferts et déplacements des bénéficiaires en perte d’autonomie.
DES ACTIONS CONJOINTES POUR LES AIDANTS ET LES AIDES
Ce qui est bénéfique pour l’aidant l’est aussi pour l’aidé. Les chutes à domicile représentent la première cause d’accidents chez les plus de 80 ans et également un risque professionnel important pour les intervenants à domicile. Repérer les sources potentielles d’accidents du travail pour les professionnels agissant dans le cadre de l'adie à domicile et proposer des moyens de les éviter sont donc profitables au maintien de l’autonomie des personnes âgées. C'est dans cet esprit qu'a été lancé le programme national dédié au secteur et piloté par l’Assurance maladie-risques professionnels. L'objectif est double : agir conjointement pour réduire les risques professionnels et favoriser en conséquence le maintien de l’autonomie. « Ce programme est déployé depuis 2019 par l’ensemble des Caisses (Carsat, CGSS et Cramif), précise Laure Le Douce, ingénieur-conseil à la Cnam et référente nationale du programme. Il permet un accompagnement technique des structures d’aide et de soins à domicile volontaires, avec l’aide des conseils départementaux et de l’action sociale des Carsat. » Des aides financières sont également possibles, sous la forme de contrats de prévention, pour les entreprises de moins de 200 salariés.
« Chacun de ces outils répond à des besoins précis qui dépendent des capacités motrices et cognitives de la personne aidée et des lieux d’intervention, souligne Carole Gayet, pilote de la thématique aides à la personne à l’INRS. Une formation peut s’avérer nécessaire pour s’en servir en toute sécurité. » « Grâce à un travail conjoint de la Cnam, de l’INRS et des organisations professionnelles du secteur, les intervenants sont de plus en plus sensibilisés aux aides techniques », constate Hélène Lemasson-Godin, directrice des relations sociales et RH réseau à l’Una (Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles), Adedom et la FNAAFP/CSF sont trois organisations professionnelles du secteur de l’aide à domicile. Leurs adhérents sont principalement des associations).
« Les dispositifs de financement des projets relatifs à la prévention des risques professionnels et des risques pour les bénéficiaires, pour des aides techniques notamment, ont été simplifiés, dans le cadre des politiques publiques. Mais ils restent hétérogènes selon les territoires », estime pour sa part Lucie Desarbres, responsable Santé au travail de la fédération Adedom.
Si de plus en plus de professionnels de l’aide à domicile sont sensibilisés aux apports de ces solutions techniques, leur rejet par les bénéficiaires et leur famille reste parfois un frein à leur usage. Ces outils d’aides à la mobilisation médicalisent l’environnement de vie ou renvoient à la notion de handicap : ils peuvent être difficiles à accepter. « Ce sont pourtant des équipements bénéfiques pour tout le monde, souligne Carole Gayet. Pour l’aidant professionnel ou familial, en simplifiant les interventions et en évitant les risques associés aux manutentions, notamment les troubles musculosquelettiques (TMS). Mais aussi pour la personne aidée puisqu’ils ont pour objectif de maintenir son autonomie, voire de lui en redonner. »
Ce message est souvent mieux accepté quand il est porté par un professionnel de santé. Si dans les services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad), de tels professionnels peuvent relayer cette parole auprès des bénéficiaires qu’ils suivent, les services d’aide et d’accompagnement à domicile n’ont pas cette possibilité. Dans les situations les plus délicates, il peut s’avérer nécessaire d’avoir recours à un ergothérapeute. Son rôle est justement d’évaluer les besoins en aides techniques et les réaménagements de l’habitat nécessaires au maintien de l’autonomie du bénéficiaire.
Manque de temps et stress
Les relations humaines occupent aussi une place essentielle dans le quotidien des professionnels du secteur. « La charge émotionnelle liée aux relations avec les bénéficiaires et leur entourage est importante », explique Carole Gayet. Certains contextes familiaux et sociaux sont parfois difficiles. Les aides à domicile travaillent souvent seuls et sont parfois confrontés à des situations délicates. Créer un collectif avec des temps d’échanges permet de trouver ensemble des solutions à mettre en œuvre pour faciliter le travail et contribue à prévenir les risques psychosociaux.
FORMATIONS
Différentes formations existent pour développer les compétences en prévention des risques professionnels des salariés du secteur :
- prévention des risques liés à l’activité physique dans le secteur sanitaire et médico-social (Prap 2S) ;
- acteur prévention secours – Aide et soin à domicile (APS-ASD) ;
- repérer les risques et intégrer les aides techniques.
En savoir plus : Formation à la prévention des risques professionnels des acteurs du secteur de l'aide et du soin à domicile. ED 7404, INRS.
L’organisation du travail est également un levier important pour réduire les risques professionnels et améliorer la qualité de vie au travail des intervenants. « Les accidents sont favorisés par le manque de temps ou le stress », souligne Florence Millorit, experte d’assistance conseil à l’INRS.
« Pour répondre au besoin, notamment l’accompagnement des personnes handicapées, il y a eu un développement d’interventions en horaires atypiques (tôt le matin, en soirée et le week-end), constate Vololona Andriant, responsable du service qualité à la FNAAFP/CSF. Cette plus grande amplitude horaire d’intervention impacte les conditions de travail de certains intervenants. La planification et l’organisation du travail sont devenues des enjeux importants pour les services d’aides à domicile, qui doivent trouver un équilibre entre les besoins des bénéficiaires et la qualité de vie au travail des salariés. »
Les interventions, plus courtes, se multiplient dans la journée et les déplacements entre les domiciles prennent davantage de temps. Des innovations organisationnelles émergent dans le secteur. En particulier, le modèle Buurtzorg qui consiste à travailler en équipes très sectorisées et autonomes. « Il est nécessaire d’accompagner ces changements d’organisation, notamment à l’aide de formations, car ils entraînent de nouvelles attricutions pour les salariés », souligne Florence Millorit.
Engager une démarche de prévention des risques professionnels permet d’améliorer les conditions de travail des salariés de l’aide à domicile. C’est également un levier déterminant pour recruter et fidéliser des salariés. Car ce secteur fait face à un autre défi : avoir les moyens humains pour répondre à la demande croissante d’accompagnement des personnes vieillissantes, qui représente déjà les deux tiers de l’activité du secteur. Et la demande s’accroît du fait du vieillissement de la population et du souhait de la plupart des Français de rester le plus longtemps possible chez eux, malgré leur perte d’autonome. ■
Katia Delaval