DOSSIER

© Guillaume J.Plisson pour l’INRS/2021

Qu’il s’agisse du simple aménagement d’un poste de travail ou de la mise en place d’une démarche de prévention globale, la lutte contre les risques professionnels et, plus largement, pour l’amélioration des conditions de travail est le plus souvent le fruit d’un travail de réflexion commun au sein de l’entreprise. Un travail qui n’est pas nécessairement impulsé par la direction et peut venir aussi du terrain, de ceux qui, connaissant au plus près leur activité, sont parfois les mieux placés pour signaler des anomalies, proposer des améliorations ou tester de nouveaux matériels. Dans un sens comme dans l’autre, la santé et la sécurité au travail se nourrissent des échanges entre les différents acteurs de l’entreprise.

Sur le chantier d’extension de l’usine General Electric de Saint-Nazaire, des réunions quotidiennes, qui permettent de capter les remontées d’informations du terrain et d’associer les compagnons, contribuent à réajuster les modes opératoires.

Sur le chantier d’extension de l’usine General Electric de Saint-Nazaire, des réunions quotidiennes, qui permettent de capter les remontées d’informations du terrain et d’associer les compagnons, contribuent à réajuster les modes opératoires.

« CE SONT CEUX qui connaissent le métier qui ont les solutions. » Cette phrase est fréquemment prononcée en entreprise quand il s’agit d’évoquer la santé et la sécurité au travail. Les personnels de première ligne sont en effet souvent bien placés pour trouver des réponses adaptées aux risques auxquels ils sont directement confrontés. Sur un chantier de construction d’une digue en cours, à La Turballe, en Loire-Atlantique, par exemple, les mécaniciens de maintenance ont eu l’idée d’installer des caméras sur les engins de chantier qui déplacent les gros blocs de béton. Les conducteurs de ces véhicules n’ont plus besoin d’être guidés par un collègue présent à proximité : le risque de collision engin-piéton a, par cette action, été réduit.

Si les employeurs ont au quotidien l’obligation d’assurer la sécurité de leurs employés, ils sont nombreux à pouvoir compter sur leurs les salariés pour chercher à améliorer les conditions de travail à leur poste. « Les gens sont sans arrêt confrontés à des situations non définies, non prévues. Il y a inévitablement un écart entre le travail prescrit et le travail réel du fait de nouveaux matériels ou procédés, et de nouvelles personnes, considère Éric Drais, responsable d’études à l’INRS. Les salariés apportent de la valeur ajoutée en s’interrogeant sur les questions de santé et sécurité qui les concernent directement. »

La palette d’actions est infinie : cela va du « bricoleur géo-trouve-tout » qui adapte son établi pour son propre usage, à des réflexions collectives à grande échelle, structurées, formalisées sous forme, par exemple, de challenges intra ou inter-entreprises, voire par branches professionnelles, en passant par des tests de matériels in situ pour valider ou non certaines futures acquisitions. À l’image de cet Ehpad bordelais qui déclare associer systématiquement avant tout achat ses aides-soignantes aux essais de matériels qu’elles seront amenées à utiliser.

Partage et capitalisation

Impliquer les salariés dans les réflexions basées sur le travail réel contribue à faire progresser l’efficacité d’une démarche de prévention, à renforcer le collectif de travail, à faciliter l’adhésion aux solutions retenues et à consolider une culture de prévention. C’est également une façon de reconnaître et de valoriser leurs compétences. « Encourager les remontées du terrain est important pour le dialogue dans les entreprises, souligne Jean-Louis Grosmann, ingénieur-conseil à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. Ça contribue à alimenter et à faire vivre la culture de prévention d’une entreprise. » Au-delà des salariés, pour une plus grande richesse dans les échanges, il est également pertinent d’associer les intérimaires et les sous-traitants à ces réflexions ou aux essais de matériels.

Les salariés apportent de la valeur ajoutée en s’interrogeant sur les questions de santé et sécurité qui les concernent directement

Mais avoir de bonnes idées ne suffit pas. Il peut être compliqué de les structurer, et plus encore d’organiser le dialogue autour d’elle. La question est « comment l’entreprise se saisit-elle de cette mine d’informations pour en faire quelque chose de durable ? », interroge Stéphane Ligocki, contrôleur de sécurité à la Carsat Pays-de-la-Loire. Quels bons outils, quelles bonnes organisations sont nécessaires pour réguler cela ? « Il existe des espaces de débats ou d’échanges plus ou moins formalisés, via des analyses de pratiques, des retours d’expérience par exemple », estime Éric Drais. Le degré de pratique d’une entreprise et sa culture de prévention influent inévitablement sur sa manière de procéder.

« Une entreprise est quelque chose de vivant, qui a sa propre expérience, basée sur des apprentissages et des savoirs, poursuit-il. Sa culture de prévention dépend des échanges autour de ces savoirs. C’est pourquoi les causeries ou tout espace de discussion y compris une visite de chantier ou l’évaluation des risques dans le cadre du document unique d’évaluation des risques sont très importants, pour avoir un débat contradictoire et une confrontation de points de vue. »

De l’ingéniosité

Ceci ne peut se mettre en place qu’avec l’engagement et l’appui des directions. Mais même pour une direction demandeuse de remontées de terrain, il est sans cesse nécessaire de stimuler le dialogue. « Si on ne sollicite pas les équipes, elles ne nous feront pas spontanément part de leurs idées ou observations, déclare Benoît Dargaud, fondateur et gérant de l’entreprise Tenbo, située à Corbas, dans le Rhône. On insiste régulièrement pour avoir des retours et qu’ils deviennent plus spontanés. »

ZOOM

BIEN S’OUTILLER POUR BIEN DIALOGUER
Des outils d’évaluation peuvent inciter au travail collectif et au dialogue en entreprise.

  • La GPSST (grille de positionnement en santé et sécurité au travail) permet d’évaluer l’organisation de la prévention des risques de manière détaillée suivant un travail collectif (réunions d’échanges, entretiens individuels…). Elle favorise une évaluation partagée dans le cadre d’un dialogue et d’une participation des salariés ou de leurs représentants : www.inrs.fr/publications/outils/GPSST/outil.html
  • L’Autodiagnostic qualité de vie au travail offre la possibilité de croiser les visions des directions et des représentants du personnel : www.aractidf.org/qualite-de-vie-au-travail/ressources/autodiagnostic-qualite-de-vie-au-travail-qvt
  • Le guide PerfÉco’Santé publié par l’Aract Rhône-Alpes et l’institut universitaire romand de santé au travail présente des expérimenté des méthodes pour « créer un déclic » chez les dirigeants, les inciter à mieux prendre en compte la santé au travail et à l’intégrer dans la réflexion stratégique : www.anact.fr/file/5490/download?token=ZMtmYgli

De telles pratiques se rencontrent dans tous les secteurs d’activité. « Dans l’aide à domicile, il y a par nature beaucoup de travail informel, remarque Éric Drais. De nombreuses encadrantes prennent des initiatives, font appel à leur ingéniosité pour organiser les secteurs, s’appuyer sur les compétences entre les personnes intervenant à un même domicile, planifier des tournées en offrant des temps de répit aux auxiliaires de vie. Mais, souvent, aucune règle n’est écrite. » L’encadrement a donc aussi un rôle majeur à jouer.

« Nous sommes confrontés à de la violence physique et verbale de la part des enfants que nous accueillons, explique Alain Martinez, directeur général de la Fondation Lucy-Lebon, structure d’accueil et d’accompagnement d’enfants et d’adolescents porteurs de handicap et/ou en difficulté sociale, dans la Haute-Marne. Or, dans nos métiers qui ne reposent que sur l’humain, il n’existe pas de solution toute faite. Nous devons créer les outils nous-mêmes, trouver des solutions à partir de nos expériences, les tester et les adapter. »

À travers ces mots, on comprend que des actions de prévention se bâtissent à partir d’apprentissages découlant des risques identifiés ou rencontrés. Et qu’elles sont vouées à se transformer en permanence en fonction des évolutions du travail, des personnes et des organisations. Le principe même de ces initiatives, parfois peu visibles, demande en parallèle un important travail de valorisation. « Il est nécessaire d’en parler, de faire connaître cette capacité du terrain à faire émerger des bonnes pratiques, car il existe une vraie lacune autour de ce travail d’ajustement, qui n’est pas reconnu en tant que tel », conclut Éric Drais.   ■

Céline Ravallec

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