DOSSIER

Les lombalgies touchent une forte proportion de salariés de tous les secteurs d’activité. Comment le travail nous casse-t-il le dos ? De quelle manière prévenir l’apparition de ces douleurs ? Plutôt qu’un tour de reins, faisons celui de la question.

L’aménagement du poste de travail et la mise à disposition d’équipements adaptés font partie des pistes à explorer pour lutter contre le risque de lombalgie.

L’aménagement du poste de travail et la mise à disposition d’équipements adaptés font partie des pistes à explorer pour lutter contre le risque de lombalgie.

« J’en ai plein le dos de ce boulot ! » Cette expression, souvent utilisée pour signifier un ras-le-bol professionnel, prend un sens douloureusement concret et pertinent lorsqu’elle sort de la bouche d’une personne souffrant de lombalgie. Et dans le monde du travail, c’est loin d’être exceptionnel. En effet, selon la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), plus de deux salariés sur trois sont concernés au cours de leur carrière, pour des raisons professionnelles ou non, par ce type de pathologie.

Positionnées dans le bas du dos, au niveau des vertèbres lombaires donc, les douleurs peuvent être éprouvées de différentes manières. Lourdeur, raideur ou blocage (lumbago) chez certains, elles peuvent aussi prendre la forme de douleur aiguë, de sensation de brûlure ou de fourmillements. Il arrive qu’elles s’étendent jusque sur les fesses, l’arrière des cuisses et des genoux. Enfin, il faut distinguer parmi les lombalgies, qui sont le symptôme d’une pathologie sous-jacente, les pathologies dites « communes » qui représentent 90 % des cas et pour lesquelles les examens ne montrent généralement pas d’anomalie.

L’importance du phénomène dans le milieu professionnel est mise en lumière par les chiffres de sinistralité de la Cnam. Les lombalgies représentent 20 % des accidents du travail (AT), 7 % des maladies professionnelles (MP) et sont la troisième cause d’admission en invalidité.. Parmi les troubles musculosquelettiques (TMS) reconnus en MP, certaines lombalgies, affections du rachis lombaire, peuvent être reconnues au titre des tableaux 97 et 98 du régime général – Ainsi, chaque année, environ 12 millions de journées de travail sont perdues et les lombalgies représentent pour la branche AT-MP de l’Assurance maladieplus d’un milliard d’euros par an de budget.

Cette prévalence s’explique par la multiplicité des facteurs de risque qui couvrent tous les métiers. Les chutes, heurts et trébuchements sont à l’origine de près d’un quart des lombalgies reconnues en AT du fait du traumatisme direct lié à la chute ou à l’effort violent fait pour se rattraper. « L’activité physique, notamment les manutentions manuelles et en particulier le port de charges lourdes, peut provoquer des lésions du dos ou les aggraver », décrit Emmanuelle Peris, expert d’assistance médicale à l’INRS.

Moins de manutentions, moins de tension

L’exposition aux vibrations du corps entier est un autre facteur de risque de lombalgie. Les fréquences dangereuses sont malheureusement habituellement celles émises par les engins roulants. Si les lombalgies sont ainsi susceptibles de concerner tous les salariés, quel que soit leur secteur d’activité, les plus touchés sont ceux du bâtiment, du transport et de la logistique, de la gestion des déchets, du commerce et, enfin, de l’aide et du soin à la personne.

La prévention des risques liés aux lombalgies se construit sur l’obligation qui incombe à l’employeur de préserver la santé des salariés. Celui-ci doit donc s’appuyer sur les neuf principes généraux de prévention pour mettre en place les mesures qui s’imposent. Première étape, identifier les postes et les activités susceptibles de provoquer des lombalgies. Et pour détecter les postes à risques, les gênes et douleurs rapportées spontanément par les salariés sont une source d’indices, tout comme l’absentéisme, le turn-over, les déclarations d’accident de travail ou de maladie professionnelle, ou encore les données communiquées par le service de santé au travail (alertes, rapport annuel).

Afin d’identifier les situations de travail posant question et de les analyser concrètement, les entreprises peuvent utiliser la démarche TMS Pros, consultable sur le site ameli.fr, dont la méthode d’analyse de la charge physique, qui est basée sur différents indicateurs (effort physique, dimensionnement du poste et de ses accès, cadence de travail…), est explicitée dans des brochures de l’INRS (1). Il s’agit ensuite de mettre en place des actions de prévention. Cela peut passer par l’élimination de la contrainte en modifiant l’activité (réorganisation, changements des modes de fabrication, automatisation, mécanisation), ou au moins sa réduction par l’allègement du poids unitaire des charges ainsi que des fréquences de manutention (alterner les tâches, instaurer des pauses…). Aménager ou réorganiser le poste de travail fait également partie des pistes à explorer afin de permettre la réalisation des manutentions manuelles dans les meilleures conditions de posture et d’espace (hauteur de travail, respect des zones d’atteintes…). Enfin, pour que ces actions portent leurs fruits, il convient également d’informer et de former les salariés sur les moyens de réduire ces risques dans leur travail quotidien (formation, à la prévention des risques liés à l’activité physique (Prap)).

De l’importance de rester actif

L’apparition d’une lombalgie pose également la question du maintien en poste. « La plupart du temps, les symptômes ne durent que de quelques jours à un mois », précise Emmanuelle Peris. Mais dans 2 % à 7 % des cas, la lombalgie devient chronique et présente alors une forme plus grave qui entraîne un risque de désinsertion professionnelle. « Il est primordial d’éviter cette évolution néfaste en maintenant une activité physique adaptée, garante d’une meilleure guérison », poursuit l’expert de l’INRS. Le retour rapide au travail doit donc être favorisé.

Pour y parvenir, il est important d’agir de façon précoce en associant prévention et soins. Les différents acteurs que sont l’entreprise, les services de santé au travail, les professionnels de santé (le médecin traitant, le kinésithérapeute…) et le salarié atteint de lombalgie lui-même doivent se coordonner. Le médecin traitant doit rapidement, après avoir écarté les rares pathologies sous-jacentes, rassurer le patient sur son état en lui expliquant notamment que l’intensité des douleurs n’est en rien liée à la gravité de l’atteinte et qu’il peut et doit bouger, même si c’est de manière prudente dans un premier temps. « En le tranquillisant, le corps médical pourra amener la personne atteinte de lombalgie à reprendre son activité même si, au début, les symptômes n’ont pas totalement disparu », enchaîne Emmanuelle Peris.

Le cas échéant, l’entreprise devra aménager le poste pour permettre ce retour rapide, que ce soit du point de vue de son ergonomie, du rythme (temps partiel thérapeutique) ou de l’intensité du travail (port de charges, vibrations…). Elle prendra également garde aux éventuels facteurs de risques psychosociaux (RPS), car ceux-ci, associés aux causes physiques de la lombalgie, favorisent le passage à la chronicité. La monotonie des tâches, la charge de travail élevée, les contraintes de temps, l’insatisfaction professionnelle, la faible autonomie de décision, les relations difficiles avec les collègues et l’encadrement ou le manque de reconnaissance peuvent alimenter le mal de dos. « Le stress altère en effet le contrôle des muscles qui se contractent trop et ne se relâchent pas assez », explique Emmanuelle Peris. Le « Cadre vert », outil d’aide aux entreprises pour la prise en charge d’un salarié lombalgique, est un document précieux téléchargeable sur le site de l’INRS .

Ainsi, pour un retour au travail réussi, il faut combiner deux démarches conjointes et indissociables : la délivrance d’un message et d’une prise en charge médicale adaptés à la situation du salarié lombalgique, ainsi qu’une démarche d’adaptation du travail et de son environnement pour favoriser le retour en poste. Au final, une politique de lutte contre la lombalgie efficace doit se composer d’un volet d’actions collectives pour réduire les risques pour tous et d’une approche individuelle pour protéger les salariés lombalgiques contre un passage à la chronicité. 

(1) Méthode d’analyse de la charge physique de travail, INRS, ED 6161 et ED 6291 (secteur sanitaire et social). À télécharger sur www.inrs.fr.

REPÈRES

La lombalgie est un trouble musculosquelettique (TMS) qui peut être très handicapant. La prévention de cette pathologie s’appuie sur les mêmes principes que celle des autres TMS, mais la localisation des traumatismes, dans le bas du dos, lui confère certaines spécificités.

ZOOM

CADRE VERT
Le retour à son poste d’un salarié atteint de lombalgie n’est pas quelque chose d’anodin. Ce moment doit avoir été préparé et il est nécessaire que des dispositions aient été prises pour aménager le poste du salarié. L’entreprise a un rôle majeur à jouer pour permettre au salarié lombalgique un retour au travail le plus tôt possible, éviter des arrêts de longue durée et une évolution vers un stade chronique. C’est dans cet objectif qu’a été créé le Cadre vert. L’idée est de permettre à l’entreprise et aux préventeurs de s’assurer que le salarié lombalgique sera accueilli à un poste de travail qui lui permette de bouger « comme dans la vie de tous les jours », sans excès en termes d’efforts et d’intensité. Il s’agit d’un outil qui, d’une part, fixe les limites des contraintes présentant des risques pour l’appareil locomoteur en général et pour le rachis, en particulier pour le salarié lombalgique. D’autre part, il permet d’organiser les conditions de l’accueil du salarié lombalgique afin que ce dernier se sente attendu. La période Cadre vert, c’est-à-dire la transition entre le retour au travail et la reprise de l’activité normale, s’étend généralement de huit jours à trois semaines mais elle est modulable hors de ces limites. Il n’y a pas de méthode unique pour entrer dans le Cadre vert. C’est à l’entreprise de construire sa méthode en fonction de son activité, ses moyens, son environnement économique, géographique… sur la base d’une démarche participative et progressive.

Pour en savoir plus : Le cadre vert pour prendre en charge un salarié lombalgique, INRS, ED 6333. À télécharger sur www.inrs.fr

Grégory Brasseur

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