La plasturgie se réinvente. Les contraintes écologiques et le durcissement réglementaire induit ont contribué à la poussée du recyclage et de l’écoconception. Aujourd’hui, nombre d’industriels gèrent en parallèle ressource vierge et ressource recyclée. De nouvelles technologies, comme la fabrication additive, s’invitent dans le jeu. La production et les organisations du travail évoluent.
PORTÉE DE LA CONSTRUCTION, l’alimentaire, l’automobile et les produits électriques et électroniques, la plasturgie affiche une santé plutôt bonne, même si la crise liée à la Covid-19 a entraîné une réduction de l’activité de certains secteurs utilisateurs. Cette industrie souffre toutefois d’une image qui se détériore. La pollution plastique est devenue un souci environnemental majeur. Dans le viseur, notamment, les plastiques à usage unique ou les pratiques de suremballage.
En 2019, la production mondiale de matières plastiques a atteint le niveau record de 368 millions de tonnes (source : PlasticsEurope), tirée par la Chine et l’Amérique du Nord. Si la part européenne recule, le vieux continent prend de l’avance sur l’économie circulaire des plastiques. « L’avenir est dans les matières durables, recyclées. L’engagement dans l’économie circulaire est un moteur pour notre industrie », porte avec conviction Stéphane Perrollier, président de Qualiform, fabricant de flacons pour la cosmétique à Oyonnax, dans l’Ain.
La plasturgie française, ce sont 3 500 entreprises (dont plus de la moitié ont moins de 10 salariés), 122 000 emplois et 30,2 milliards de chiffre d’affaires (source : Fédération de la plasturgie et des composites (https://polyvia.fr/fr), 2018). Un univers où la feuille de route de l’économie circulaire, publiée le 23 avril 2018, est dans tous les esprits. Elle fixe l’objectif de 100 % de plastique recyclé en 2025 et de la réduction des gaz à effet de serre par l'économie de 8 millions de tonnes de CO2 supplémentaire chaque année grâce au recyclage du plastique. Pour incorporer plus de matières plastiques recyclées (MPR) et changer les modèles de production et de consommation, une réorganisation de la profession s’est amorcée.
La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) du 10 février 2020 a, depuis, étendu la responsabilité élargie du producteur à de nouvelles filières et prévoit l’interdiction des plastiques à usage unique d’ici 2040 et la fin de certains produits consommables. Au risque d’envoyer des signaux contradictoires à une industrie engagée dans sa transformation. D’autant que les producteurs de matières plastiques recyclées (MPR) s’inquiètent : en 2020, la crise a fait chuter le prix du baril de brut, entraînant une chute du prix des résines vierges.
Nouveaux modes de production, nouveaux risques
D’après le Syndicat national des régénérateurs de matière plastique, en 2018, 436 000 tonnes de matières recyclées ont été produites en France. Et 389 000 tonnes utilisées, selon les déclarations des transformateurs (source : label More (https://www.polyvia.fr/fr/label-More-Polyvia)). « Nous accompagnons nos adhérents dans l’aide au choix des matériaux, explique Sébastien Moussard, responsable innovation chez Allizé-Plasturgie. Il y a, sous l’effet des réglementations et de la pression des clients, un intérêt évident pour les MPR. Aujourd’hui, 99 % d’entre elles sont produites par le recyclage mécanique, qui intègre des opérations de régénération (tri, lavage, décontamination, broyage, reformation de granulés), afin de récupérer les polymères présents dans les objets traités. Une autre voie, celle du recyclage chimique, permettant de revenir au polymère pur, se développe. Elle offre notamment des perspectives pour l’emballage alimentaire. »
Un questionnement sur les risques associés émerge, en particulier ceux liés aux émissions de composés volatils dangereux et de nanoparticules.
En termes de risques professionnels, l’introduction de MPR soulève deux problèmes. « Il faut s’assurer de leur qualité et de leur provenance, car elles pourraient être polluées par des additifs interdits dans la résine vierge, indique Cosmin Patrascu, ingénieur chimiste à l’INRS. Cela implique la mise en place de contrôles et l’accès aux données sur les formulations. L’autre point de vigilance concerne les produits avec lesquels le plastique a été en contact lors de sa première vie. » À l’instar de Polieco (lire l’article page suivante), qui fait des tubes annelés en polyéthylène haute densité (PEHD) 100 % recyclé, certaines entreprises ont noué un partenariat avec leur fournisseur pour développer des solutions durables. Et contribuer à lever les doutes sur la qualité d’un produit réalisé à partir de déchets.
« Les demandes se font nombreuses du côté des nouvelles technologies. Avec l’essor de la fabrication additive ou impression 3D, nous avons créé une plate-forme de conseil pour les entreprises », reprend Sébastien Moussard. En parallèle, un questionnement sur les risques associés émerge, en particulier ceux liés aux émissions de composés volatils dangereux et de nanoparticules. Des solutions de prévention se développent et les principes généraux de prévention s’appliquent.
Polyexpositions
Car si les plasturgistes ne se considèrent pas réellement comme des chimistes, la chimie est omniprésente dans la profession. Constituées de polymères et d’additifs, les matières plastiques se répartissent entre deux catégories. Les thermoplastiques, déformables et façonnables à chaud, peuvent être refondus et recyclés. Les procédés utilisés pour leur fabrication sont souvent automatisés et permettent de produire en série. Citons le polyéthylène (PE), le polypropylène (PP), le polychlorure de vinyle, le polystyrène, le polyéthylène téréphtalate (PET)… Deuxième catégorie, les thermodurcissables synthétisés par une réaction chimique qui donne un produit fini non déformable à chaud. Leur transformation nécessite un travail à façon pour fabriquer des produits en petites quantités ou à haute technicité. On peut citer le polyester pour la fabrication des piscines.
« Les matières premières thermoplastiques mises en œuvre en plasturgie ne sont la plupart du temps pas étiquetées comme des agents chimiques dangereux. Mais elles subissent une transformation au cours de laquelle il peut y avoir des émissions de produits de dégradation ou d’additifs à un niveau en général faible mais en nombre important, commente Cosmin Patrascu. Une approche par substance n’est pas suffisante, il faut regarder les situations sous l’angle des polyexpositions. » Dans la fabrication des thermodurcissables, qui peut faire appel à des procédés très manuels, l’exposition à des substances dangereuses, en particulier aux solvants, est importante à toutes les étapes.
De nombreux autres risques existent et doivent être évalués. Les machines peuvent générer du bruit. Les conditions sont également réunies (solvants inflammables et matières plastiques pouvant être de bons combustibles, températures élevées…) pour que le risque d’incendie-explosion soit présent. Des dispositions peuvent être prises : préférer les granulés à la poudre pour la matière première, limiter les températures de chauffe, capter les vapeurs, réduire l’empoussièrement, prévoir du matériel Atex dans les zones identifiées…
« Dans ces métiers, les gestes répétitifs et les manutentions de charges lourdes peuvent être nombreux au cours des phases d’approvisionnement en matières premières, évoque également Jean-Michel Odoit, contrôleur de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes. L’aménagement des postes de travail, en associant les salariés concernés, tout comme l’utilisation d’aides à la manutention, ne doit pas être négligé. » D’autant qu’un regard sur la sinistralité du secteur le confirme : la moitié des accidents sont liés aux manutentions manuelles et 90 % des maladies professionnelles sont des affections péri-articulaires. ■
Grégory Brasseur