Prévu pour durer une dizaine d'années, le projet du Grand Paris Express mobilise d'ores et déjà plus de 2 000 entreprises et plusieurs milliers de salariés pour le doublement du réseau de transports en commun franciliens. La nature des travaux, leur environnement, le gigantisme du projet et les délais parfois réduits, imposent une maîtrise stricte des risques professionnels dès la conception puis tout au long des travaux.
C’est le chantier du siècle. Un projet titanesque qui va mobiliser les acteurs du BTP pour les dix années à venir – au moins. En créant de nouvelles lignes de transports en commun de banlieue à banlieue, le Grand Paris Express (GPE) va transformer la physionomie et le quotidien des Franciliens. Le réseau actuel, d’environ 200 km, va être doublé. « On va construire plus de kilomètres de métro en 10 ans qu’on en a fait depuis 120 ans », souligne Alexandre Missoffe, directeur général de Paris Île-de-France Capitale économique. En parallèle sont prévus 140 km 2 de nouveaux quartiers – à raison de 70 000 logements par an – incluant 78 nouvelles gares et 7 centres techniques.
Déjà, de multiples emprises de chantiers jalonnent les villes de la petite couronne parisienne, dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. « Le projet équivaut globalement à la construction d’une ville d’un million d’habitants, illustre François Blanchard, ingénieur-conseil régional à la Cramif. Nous avons décidé d’un plan d’action régional 2018-2022 qui inclut, au-delà du GPE, l’aéroportuaire, l’hôtellerie-restauration, la collecte des déchets et les logements collectifs. »
Le projet mobilise un nombre impressionnant d’acteurs : maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, bureaux d’ingénierie, architectes, aménageurs, entreprises – des multinationales aux PME – coordonnateurs en sécurité et protection de la santé (CSPS), industriels, fabricants de matériels et d’équipements, entreprises d’exploitation des futures infrastructures… La fédération régionale des travaux publics a évalué les besoins à 12 000 emplois par an pour le génie civil et 6 000 emplois par an pour les infrastructures et le matériel roulant. Mi-2019, 6 000 personnes étaient mobilisées sur les chantiers, représentant 2 200 PME.
La nature même des travaux, les espaces urbains très contraints qui imposent des défis logistiques, la pression des délais, parfois réduits avec l’organisation des Jeux Olympiques de 2024, les difficultés de recrutement qui impliquent de faire appel à une part importante d’intérimaires… sont autant d’éléments qui contribuent à créer des situations de travail potentiellement dangereuses. La maîtrise des risques est dès lors une priorité des trois maîtres d’ouvrage : la société du Grand Paris (SGP), la RATP et la SNCF.
Suivi et mutualisation
Face au gigantisme du projet, au nombre d’intervenants, aux défis techniques que représentent certaines opérations, les acteurs en prévention se mobilisent pour organiser une prévention efficace et durable à cette échelle inédite. En tant que principal maître d’ouvrage (68 des 78 gares relèvent de sa responsabilité), la SGP (Société du Grand Paris) a rédigé une « Charte et référentiels sécurité des chantiers ». Ce document est annexé au cahier des clauses administratives particulières et positionné au-dessus des pièces techniques, signifiant l’importance du sujet.
Il est impératif d’avoir une cohérence, de voir le projet dans sa globalité.
La SGP s’est également organisée pour assurer un suivi en temps réel des événements indésirables (accidents, presqu’accidents, incidents) sur les chantiers. Toutes ces remontées de terrain sont classées, analysées et font l’objet de rapports, de retours d’expériences diffusés à grande échelle. Une telle mutualisation des informations contribue au suivi de l’évolution des pratiques en matière de sécurité. Depuis 2010, la Cramif s’est rapprochée de la SGP pour travailler de concert sur la prévention des risques professionnels.
« Ce projet est un vecteur stratégique de capitalisation en prévention, commente François Blanchard. Nous devons aller au-delà de notre périmètre direct et identifier des relais pour déployer la portée de nos actions : architectes, bureaux d’études, fournisseurs, CCI, fédérations professionnelles… » Pour ce faire, « nous nous sommes organisés en interne pour coordonner nos actions, homogénéiser nos discours auprès des entreprises et mutualiser les retours d’expériences, précise Geneviève Jarrige, ingénieur-conseil à la Cramif et copilote du projet GPE. Un groupe de travail réunissant des préventeurs des antennes départementales 92, 93 et 94 a vu le jour. Nous nous réunissons régulièrement pour échanger sur les dernières actualités ». Des échanges plus informels sont également fréquents pour assurer en permanence un même niveau d’information de tous.
Coordonner pour plus de cohérence
Deux documents de référence ont spécifiquement vu le jour dans le cadre du Grand Paris, respectivement en octobre 2016 et octobre2017 : un guide Travaux souterrains (DTE 266) et un guide Conception, exploitation et entretien d’une gare (DTE 278) (lire l’encadré ci-dessous). Ont pris part à la rédaction de ces documents la Cramif, la Direccte, l’OPPBTP et plusieurs syndicats professionnels. Cette ingénierie de prévention fournit aux donneurs d’ordres des préconisations à intégrer dès la conception sur des sujets aussi variés que les chutes de hauteur, les moyens de levage, l’accessibilité…
Plus récemment, la SGP a effectué un gros effort pour harmoniser les plans généraux de coordination (PGC). « Initialement, chaque coordonnateur SPS avait son propre PGC, relate Bertrand Masselin, responsable de la sécurité et de la sûreté des chantiers à la SGP. Sur la seule ligne 15 sud, la plus avancée, il y en avait jusqu'à une dizaine qui coexistaient. Or, compte tenu du nombre d’acteurs et de l’enchaînement des phases de chantier, il est impératif d’avoir une cohérence, de voir le projet dans sa globalité. Il y a pour nous un vrai défi à faire travailler les CSPS ensemble. » Aujourd’hui ne demeure qu’un seul PGC harmonisé, commun à tous. Il comprend toutes les dispositions générales qui reprennent la grande majorité de l’ensemble des éléments de chacun. Et, en parallèle, quelques dispositions particulières viennent compléter, sans contredire ni répéter ce qui existe déjà dans le PGC harmonisé.
La progression des travaux et des situations de travail va finalement imposer une évolution et des ajustements constants des actions de prévention. Une fois les phases de génie civil terminées, le défi sera la sécurisation des espaces souterrains. « Seront présents les aménageurs de tunnels ainsi que les aménageurs des gares et des ouvrages annexes. Si un incendie survient, tout le monde sera impacté par les fumées. La sécurité devra alors s’appréhender de façon volumique, et non plus contractuelle, insiste Bertrand Masselin. D’où l’impératif d’anticiper l’évolution des phases de travaux, dès l’étape de génie civil, en ayant une vision globale et systémique des chantiers. C’est un défi majeur à venir. » À l’image de l’avancement des chantiers, la prévention des risques sur le GPE va devoir s’adapter et suivre les évolutions imposées par les situations de travail qui vont se succéder. ■
ZOOM
Le document DTE 266 Travaux souterrains s’adresse aux maîtres d’ouvrage, aux coordonnateurs SPS, aux maîtres d’œuvre associés et aux entreprises. Il définit un socle d’exigences minimales en matière de prévention des risques en milieu souterrain et aborde : les cantonnements et les bureaux de chantier, les plates-formes de livraison et d’évacuation en surface, les accès aux postes de travail et les cheminements piétons, la ventilation et l’éclairage dans les ouvrages souterrains. Le second document, DTE 278, Conception, exploitation et entretien d’une gare, s’adresse aux maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre associés et CSPS. Il dresse des recommandations en matière de prévention des risques lors
de la conception, l’exploitation et l’entretien d’une gare. Parmi les thématiques traitées : les accès et les déplacements, les locaux, les toitures de gare, la maintenance et le nettoyage, la sûreté et l’affichage publicitaire.
Céline Ravallec