DOSSIER

© Gaël Kerbaol/INRS

La grande variété des risques professionnels auxquels sont exposés les salariés du spectacle vivant est le reflet de la diversité de ses métiers. Si certaines structures ont compris l’intérêt de mettre en place une démarche de prévention, d’autres, que ce soit par méconnaissance, méfiance, ou pour des raisons artistiques, ne se sont pas encore lancées.

Des troubles musculosquelettiques (TMS) peuvent apparaître chez les décorateurs mais également chez les costumiers, qui souvent effectuent des gestes répétitifs, chez les danseurs ou encore les préparateurs de salles, qui, à l’instar des musiciens, sont également particulièrement exposés au risque bruit.

Des troubles musculosquelettiques (TMS) peuvent apparaître chez les décorateurs mais également chez les costumiers, qui souvent effectuent des gestes répétitifs, chez les danseurs ou encore les préparateurs de salles, qui, à l’instar des musiciens, sont également particulièrement exposés au risque bruit.

Il est 20 heures dans une salle de théâtre, quelque part en France. Les lumières s’éteignent, le brouhaha des discussions s’amenuise avant de laisser place au silence. Une mélodie s’élève de la fosse d’orchestre… Et le rideau se lève ! Dans un décor recréant un intérieur cossu du XIXe siècle, des comédiens lancent leurs premières tirades. De savants éclairages mettent en valeur les costumes d’époque dans lesquels ils évoluent. Petit à petit, le public se laisse entraîner par la magie du spectacle.

Pour que le charme agisse, toute une flopée de professionnels a œuvré d’arrache-pied pendant des semaines, des mois. Si dans l’imaginaire collectif, les métiers du spectacle vivant sont synonymes de plaisir et de légèreté, la réalité est pourtant bien plus prosaïque quand la question des risques professionnels est abordée.

Pour donner vie à la vision d’un metteur en scène, les décorateurs et les accessoiristes sont notamment confrontés à des risques physiques lorsqu’ils travaillent les matériaux à l’aide de machines et d’outils. Ils peuvent avoir à se préoccuper des poussières de bois, des copeaux de métal ou des fumées de soudage. Il leur faut se protéger des solvants présents dans les colles, les peintures ou les vernis.

Les techniciens qui installent les décors, les lumières ou la régie sont particulièrement exposés aux risques liés aux manutentions. Des tâches qui peuvent aussi les amener à travailler à plusieurs mètres du sol. Ce sont les chutes de hauteur qu’il s’agit alors d’éviter.

Des troubles musculosquelettiques (TMS) peuvent apparaître chez les costumiers qui, lorsqu’ils cousent à la main, effectuent des gestes répétitifs. Les TMS touchent aussi les danseurs ou les musiciens. Ces derniers sont également particulièrement exposés au risque bruit, tout comme les salariés des salles de concert. Les métiers du spectacle vivant ne sont pas non plus épargnés par les risques psychosociaux (RPS), le travail en horaires décalés et les addictions (tabac, alcool, cannabis ou autres substances psychoactives).

Montrer le bon exemple

Qu’il s’agisse de l’utilisation de dispositifs de manutention pour préserver les corps, de l’aspiration d’une pollution à la source, de la substitution d’un produit dangereux par un autre plus respectueux de la santé, d’un travail sur l’ergonomie des postes ou la bonne posture pour jouer de son instrument ou encore de la révision de  l’organisation temporelle du travail, par exemple, des solutions de prévention existent. Mais encore faut-il que les structures qui emploient les salariés aient conscience des risques auxquels ils sont exposés.

DU SOUTIEN POUR SE LANCER

Le CMB, service interentreprise de santé au travail, accompagne les entreprises du spectacle sur la prévention des risques et assure le suivi médical des intermittents. Il sensibilise les acteurs du secteur par le biais de publications disponibles sur son site : « guide santé au travail » (musique, danse…), des fiches risques... Le CMB a en outre développé le logiciel Odalie 2. Disponible gratuitement en ligne, il apporte une aide à la réalisation du document unique. Pour sa part, le Syndicat national des prestataires de l’audiovisuel scénique et événementiel (Synpase) a édité, entre autres, un vade-mecum de la prévention des risques dans la prestation technique pour le spectacle, un mémento sur les matériels et ensembles démontables ou un répertoire des formations obligatoires
et recommandées pour les prestataires de service du spectacle vivant. De plus, le Synpase a signé en mai 2018 avec la Caisse nationale d’assurance maladie une convention nationale d’objectifs (CNO) e quatre ans qui permet aux entreprises du spectacle de bénéficier d’aides pour financer leurs actions de prévention.

Il y a en effet une grande disparité face aux questions de santé et sécurité au travail dans le milieu du spectacle vivant. « Alors que certaines structures ont mis en place de véritables démarches de prévention, d’autres ignorent encore tout du document unique d’évaluation des risques (DUER), souligne Audrey Serieys, chef de projet et conseillère en prévention des risques au CMB, service interentreprise de santé au travail. Selon une enquête que nous avons menée auprès de nos adhérents, principalement des TPE, en 2010 20 % d’entre eux avaient réalisé leur DUER. »

Ces degrés d’avancement variables en prévention sont fréquemment à mettre en relation avec la taille des entreprises. Même quand la question les préoccupe, les petites manquent de temps, de connaissances ou tout simplement d’un lieu à elles pour agir en ce domaine. En revanche, les grandes, ayant davantage de moyens humains, techniques et financiers, sont plus à même de développer des actions de prévention. Elles ont donc un rôle moteur à jouer dans la diffusion des bonnes pratiques dans le milieu du spectacle. Un milieu qui fonctionne énormément en réseau, parfois avec des relations s’apparentant à celles de donneurs d’ordres à sous-traitants. À l’instar  d’un théâtre qui héberge une compagnie ou d’un festival musical qui engage des artistes pour sa programmation.

Faire évoluer les mentalités

Non seulement l’entreprise extérieure n’a pas forcément la possibilité de refuser de mauvaises conditions de travail si elle ne veut pas être écartée, mais elle peut aussi se les imposer à elle-même. « Cela arrive régulièrement qu’une compagnie me demande les clés d’une salle de répétition pour répéter davantage, au mépris du droit du travail, et me dise qu’il n’y a pas de souci, que c’est normal. Eh bien non, ça ne l’est pas !, s’indigne Cyril Puig, administrateur des Nuits de Fourvière, un festival lyonnais mêlant théâtre, cirque, danse et musique. Nous voulons instaurer des conditions de travail sûres pour tous les participants à notre manifestation, qu’il s’agisse de nos salariés, des sociétés techniques, des compagnies artistiques ou des intermittents. Pour y parvenir, il faut faire évoluer les mentalités. »

L’événement accueillant une population importante de professionnels du spectacle, son équipe HSE en profite pour sensibiliser et essaimer ses bonnes pratiques dans le milieu. Des réunions d’information avec des experts en prévention sont organisées. Le festival propose, avec l’aide de services de santé au travail, des visites médicales sur place pour en faire bénéficier les professionnels qui, souvent sur la route, ont des difficultés à honorer leur rendez-vous de santé.

Autre initiative en faveur du développement d’une culture de prévention dans les métiers du spectacle, l’association Éclat, productrice du festival d’Aurillac, a créé le Parapluie. Ce centre international de création artistique situé à Naucelles met à la disposition de compagnies artistiques des locaux pour leur permettre de créer leurs spectacles en toute sécurité, de la construction des décors aux répétitions en passant par la conception des costumes. Les professionnels passant par ces ateliers conçus pour leur permettre de préparer leurs spectacles dans de bonnes conditions peuvent devenir des ambassadeurs convaincus de la prévention.

Show must go on !

Ces prosélytes s’avèrent précieux dans ce milieu de passionnés qui perçoivent bien souvent comme inhérent le danger dans leur activité. Dans certains cas, il est même considéré comme indissociable d’un travail bien fait. « La conception selon laquelle la souffrance est utile à leur art est bien ancrée chez les danseurs ou les acrobates par exemple, explique Stéphane Quoniam, président de l’association APSArts. “No pain, no gain”, comme on l’entend souvent. Mais au sein des nouvelles générations d’artistes, certains prennent conscience qu’il est possible de travailler autrement.

Cette évolution est alimentée par les témoignages de professionnels obligés de se reconvertir à la suite d’un accident ou d’une maladie. » L’association accompagne et développe cette prise de conscience par le biais de différentes actions à destination des artistes.

 

UNE ASSOCIATION POUR LA SANTÉ DES ARTISTES

L’Association de prévention santé des artistes (APSArts) a été créée en mai 2016. Elle promeut la santé au travail auprès des artistes par la mise en place d’actions de prévention des risques professionnels. Elle organise en partenariat avec des écoles, des salles de spectacle ou des associations artistiques des stages, des formations, des conférences… Pour soutenir les artistes touchés par des problèmes de santé, elle les oriente vers des professionnels de santé référencés pour leurs connaissances du milieu du spectacle. APSArts est également à l’origine de la semaine « santé des artistes » au cours de laquelle de nombreuses manifestations de sensibilisation (ateliers, conférences, tables rondes…) sont organisées à travers la France et au-delà des frontières de l’hexagone. 

L’acceptation du dépassement de ses limites trouve également sa source dans la vision quasi sacrée du lever de rideau. Celui-ci doit avoir lieu à tout prix. Premièrement car c’est un engagement vis-à-vis du public et deuxièmement, pour les petites structures, c’est souvent une question de survie. Des spectacles annulés peuvent les mettre en péril. « Un acteur m’a raconté qu’il avait tenu sa place sur une tournée de quinze jours alors qu’il souffrait d’une pneumonie », raconte Audrey Serieys.

L’intensification de l’activité à l’approche des représentations amène les techniciens, décorateurs et costumiers à effectuer, à force d’heures sup-plémentaires, des amplitudes horaires plus que conséquentes. Ce rythme de travail entraîne une augmentation des risques d’accidents et brouillant la frontière entre vie privée et professionnelle.

Il existe enfin une réticence de certains professionnels vis-à-vis de la prévention, car ils craignent que celle-ci ne se fasse aux dépens de leur art. Pourtant, une contrainte peut libérer la créativité. Être dans l’impossibilité de réaliser une chose pour des raisons de sécurité pousse à trouver des solutions inventives afin de contourner la difficulté. « Il n’y a de toute façon pas d’alternative à la prévention. Il est inadmissible de blesser des gens, même pour un spectacle », s’agace Patrick Fromentin, du Syndicat national des prestataires de l’audiovisuel scénique et événementiel (Synpase) et IPRP. Malheu-reu-sement, aujourd’hui, faire passer la sécurité en tête des priorités n’est pas encore un réflexe pour tous.

Les demandes des préventeurs se heurtent parfois aux desiderata de metteurs en scène. Dans ce cas, la notoriété de l’artiste peut jouer en sa faveur et la direction des lieux de spectacle préfère fermer les yeux sur des soucis de sécurité plutôt que de perdre une tête d’affiche. Il reste donc du chemin à parcourir et, pour faire avancer les choses dans le bon sens, une professionnalisation des responsables de la sécurité au travail est souhaitable.

« À l’heure actuelle, il existe peu de postes dédiés de responsable HSE dans les structures culturelles, note Patrick Fromentin. Ces prérogatives sont donc souvent redistribuées aux administrateurs, aux directeurs techniques ou artistiques… Une professionnalisation à grande échelle permettrait d’intégrer la prévention comme un axe à part entière de toute création artistique, qui aurait ainsi voix au chapitre dès le début du processus de création. »

En attendant, arrive une nouvelle génération de directeurs techniques qui, contrairement aux anciens souvent formés sur le terrain, ont appris leur métier dans des écoles et sont bien plus enclins à prendre en compte les risques professionnels et à faire de la prévention un incontournable de leur activité. Ainsi, malgré des obstacles à surmonter, les métiers du spectacle vivant sont à un tournant de leur histoire. Certains acteurs du secteur ont déjà fait leur révolution en intégrant la prévention dans leur fonctionnement et tentent activement de convaincre leurs pairs qui n’ont pas sauté le pas. De bonnes raisons de croire en la naissance d’une culture de la sécurité au travail commune à tous les métiers du spectacle.  

VU DU TERRAIN

Une journée prévention pour Les Nuits de Fourvière

« La prise en compte des risques professionnels par le biais de la construction de démarches de prévention est assez récente dans les métiers du spectacle vivant. Nous-mêmes, aux Nuits de Fourvière, nous nous sommes fortement engagés sur cette voie depuis 2014. Nous avons, par exemple, développé en interne un dispositif de levage qui s’apparente à un funiculaire pour monter la régie son dans les gradins du site antique de Fourvière, lieu emblématique de notre festival, explique Cyril Puig, administrateur de l’événement lyonnais. Dans le but de partager nos pratiques en matière de gestion des risques et d’en savoir plus sur celles de nos collègues, nous avons organisé une journée thématique le 18 juin 2018. Le nombre de structures ayant répondu présent illustre bien l’intérêt grandissant de ces professionnels pour la prévention. Nous reconduirons donc l’expérience en 2019 ! »

Damien Larroque

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