Tradition, luxe, mais aussi recherche, innovation et savoir-faire façonnent l’image des cosmétiques français. Dans ce secteur, si de plus en plus de tâches sont automatisées, beaucoup restent manuelles, avec des cadences élevées. Et les salariés se trouvent encore souvent exposés aux risques de troubles musculosquelettiques, mais aussi au risque chimique.
La France, pays de la beauté, du luxe et de l’artisanat. Derrière cette image d’Épinal, se cache une réalité nettement moins glamour de secteurs très industrialisés, parmi lesquels les cosmétiques. Avec 150 000 personnes salariées, l’activité représente aujourd’hui en France un chiffre d’affaires de 25 milliards d’euros et 16 % de part de marché mondial, ce qui fait de l’Hexagone le premier pays exportateur de parfums cosmétiques, selon les chiffres publiés par BPIfrance et Ubifrance. Parmi les principaux groupes mondiaux du secteur, plusieurs sont français, dont L’Oréal, le leader du marché international.
Selon le Code de la Santé publique (art. L. 5131-1), un cosmétique est « une substance ou un mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, système pileux, ongles, etc.) ou les dents et les muqueuses buccales, en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ». Cette définition regroupe la parfumerie (parfums, eaux de toilette…), les produits de toilette (savons, dentifrices…), les produits capillaires (shampoings, colorations…), le maquillage, les crèmes solaires, les produits de soins pour bébés, les crèmes de soins…
Si les produits d’origine naturelle sont de plus en plus présents dans l’activité, c’est surtout la chimie qui caractérise le secteur avec des centaines de substances de synthèse utilisées, que ce soit sous forme liquide, de crème ou de poudre. Des substances, naturelles ou synthétiques, qui peuvent être irritantes et parfois allergisantes. En outre, l’innovation, au cœur du secteur, introduit continuellement de nouvelles substances dont des nanomatériaux : « Nous avons recensé une petite dizaine de nanomatériaux employés dans les cosmétiques, dans des crèmes solaires, des dentifrices, du maquillage…, indique Myriam Ricaud, experte en prévention des risques chimiques à l’INRS. Les données portant sur leur toxicité demeurent parcellaires. »
Les dispositions réglementaires européennes interdisent l’utilisation de substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) dans les cosmétiques, sauf cas exceptionnels, notamment l’absence de substance de substitution appropriée. Certains CMR subsistent donc, même si c’est en quantité limitée. « En revanche, si ces produits n’interviennent pas dans la formule finale, il n’en reste pas moins que, en laboratoire, les opérateurs peuvent être amenés à réaliser certains contrôles nécessitant l’utilisation de réactifs qui sont CMR », explique Véronique Rol, médecin du travail au Service interprofessionnel de santé au travail en Eure-et-Loir (Sistel).
« L’exposition à ces substances peut avoir lieu lors de la synthèse des principes actifs ou de leur extraction s’ils sont d’origine naturelle, puis de leur formulation, c’est-à-dire au cours du mélange de ces matières premières et, enfin, à l’occasion du nettoyage », complète Cosmin Patrascu, expert en prévention des risques chimiques à l’INRS.
Une sensibilisation nécessaire
Avec l’automatisation d’une grande partie de la production, souvent en enceinte fermée, les salariés sont généralement peu exposés aux produits chimiques. Mais, en cas d’intervention sur la ligne, une exposition peut toujours avoir lieu. De plus, certains postes, tels que la pesée, sont susceptibles d’induire des contacts directs avec ces matières. « Il y a tellement de substances qui se mélangent dans l’atmosphère de travail qu’on ne sait pas évaluer leur toxicité, indique Patrick Ortega, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est (http://www.carsat-sudest.fr/). La prévention consiste donc à les évacuer au maximum avec des extractions directement aux postes de travail. »
CHIFFRES
● 100 % des maladies professionnelles de l’activité production de produits savonniers étaient des affections périarticulaires en 2012. Les accidents du travail étaient pour 43 % dus à des objets en cours de manipulation et 21 % à des accidents de plain-pied.
(Source : CnamTS)
● 95 % des maladies professionnelles en parfumerie étaient, en 2012, des affections périarticulaires, 3 % des affections du rachis lombaire et 2 % des affections respiratoires de type allergique. 33 % des accidents du travail étaient dus à des objets en cours de manipulation et 29% à des accidents de plain-pied.
(Source : CnamTS)
● 57 % des employés du secteur sont des femmes, 43 % des hommes. 80 % des entreprises sont des TPE-PME, 14 % des grands groupes. En chiffre d’affaires, 32 % de la production sont représentés par les produits de beauté, 25 % les produits de toilette, 21 % les produits capillaires et 20% la parfumerie alcoolique et dérivés.
(Source : Fédération des entreprises de la beauté)
Enfin, la sensibilisation des salariés est indispensable car même si les produits finis sont destinés à être mis sur la peau quotidiennement avec des constituants très dilués et un risque nul pour le consommateur, les opérateurs sont amenés à manipuler des matières premières nettement plus concentrées. Et ils ne doivent pas minimiser le risque chimique.
Les troubles musculosquelettiques (TMS) quant à eux, sont très présents dans le secteur des cosmétiques. Ils sont causés par les nombreuses manutentions de charges (fûts de matières premières, transfert de produits dans les cuves, cartons ou fûts de produits finis…) et la répétitivité des gestes, essentiellement aux postes de conditionnement. De plus en plus, les lignes de conditionnement sont automatisées, ou semi-automatisées. « En fonctionnement normal, tout est fait pour limiter les TMS, les lignes de conditionnement sont relativement bien conçues, remarque Régine Denoncin, médecin du travail au Sistel. Mais lorsque la machine tombe en panne, ce sont les salariés qui réalisent les tâches du type retourner le flacon ou mettre un bouchon. Et comme ils ont une bonne conscience professionnelle, ils cherchent à avoir le même rendement que la machine. »
Petit à petit, les entreprises prennent conscience de cette problématique. « Elle est d’autant plus présente que, dans ce secteur, le turn-over est faible et la population vieillissante », indique Jean-Pierre Zana, expert en ergonomie à l’INRS. Pour limiter les TMS, les entreprises investissent dans du matériel de manutention (chariots, tables élévatrices, retourne-fûts…) et organisent une rotation régulière des postes. Une étude, réalisée en 2008 par l’INRS et le Sistel, dans quatre entreprises de la Cosmetic Valley (lire l’encadré ci-dessous), révèle aussi l’importance d’intégrer le plus en amont possible la prévention lors de l’implantation d’une nouvelle ligne de conditionnement.
La Cosmetic Valley s’est aussi saisie du sujet en incluant la problématique des TMS dans un groupe de travail intitulé Domaine d’excellence stratégique (Dest) sécurité et bien-être au travail. « Mais il y a un point qui reste compliqué à faire entrer, c’est la dimension de la charge mentale dans l’apparition des TMS, constate Régine Denoncin. Les entreprises ont bien compris qu’elles pouvaient jouer sur l’ergonomie, mais d’autres questions, comme la cadence, la chaleur, l’organisation de la ligne, le bruit, qui n’est pas à un seuil dangereux mais peut générer du stress, sources de risques psychosociaux, restent encore à prendre en compte. » ■
COSMETIC VALLEY ET BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL
La Cosmetic Valley est un pôle de compétitivité implanté en régions Centre, Ile-de-France et Normandie. Elle regroupe 800 entreprises qui produisent des cosmétiques et des emballages pour les cosmétiques et représente 70 000 emplois et 18 milliards d’euros de chiffres d’affaires. Au sein du pôle, a été créé un groupe de travail, le Domaine d’excellence stratégique (Dest) sécurité et bien-être au travail, auquel participent notamment des DRH, des infirmières du travail, des responsables HSE (hygiène, sécurité, environnement), issus des entreprises membres du réseau ainsi que des universitaires. « L’objectif est entre autres de réaliser un livre blanc, basé sur les expériences des uns et des autres, des grilles d’autoévaluation, et un projet de recherche autour de la vigilance », souligne Franckie Venet, directrice export et communication du réseau Cosmetic Valley, en charge du Dest sécurité et bien-être au travail.
Leslie Courbon