Dans le spectacle vivant, travailler la nuit est une pratique fréquente. Le Théâtre national de Strasbourg réussit à limiter depuis cinq ans les démontages de spectacles de nuit, en avançant les heures de certaines représentations. Une réorganisation réussie grâce à l’implication de toutes les catégories de personnel.
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Les aménagements de rythmes de travail ne se sont pas faits en un jour, la réorganisation a été progressive. © Gaël Kerbaol / INRS |
Aujourd’hui débute le montage du spectacle Saïgon. Sur le plateau de la salle Koltès, au Théâtre national de Strasbourg (TNS), régisseurs, techniciens, éclairagistes s’activent pour donner vie au décor de restaurant qui va servir pour une quinzaine de représentations. Et dans une douzaine de jours, au terme de la dernière représentation de ce spectacle, viendra l’heure du démontage. Mais contrairement à une pratique courante dans le métier, cette opération sera terminée avant minuit.
En effet, depuis cinq ans, les dirigeants du TNS parviennent à supprimer le travail de nuit (à noter que dans la convention collective du TNS, le travail est considéré de nuit à partir de 1 h du matin).
« Ce spectacle dure 3 h 30 et il faut compter 5 h de démontage derrière, souligne Éric, régisseur plateau de la Comédie de Valence, où a été créé le spectacle. Commencer plus tôt le démontage et finir plus tôt est un avantage, car le travail de nuit, ça use à la longue. Il n’y a qu’ici que ça se passe comme ça. » Une telle organisation a pu voir le jour après plusieurs années de réflexion.
« Le passage aux 35 heures avait été l’occasion pour le monde du spectacle de redécouvrir le Code du travail, et de commencer à revoir les façons de travailler, explique Jean-Jacques Monier, directeur technique de l’établissement qui est aussi formateur en prévention des risques dans le spectacle vivant. Après mon arrivée ici en 2005, je me suis demandé pourquoi on faisait les démontages de nuit. Ça répondait à une tradition plus qu’à un réel besoin. J’ai alors commencé à réfléchir à une autre façon de faire. » Car le travail de nuit, contraignant, fatigant, n’apportait finalement pas d’avantage particulier.
STÉPHANE DESCOMBES, RÉGISSEUR GÉNÉRAL DU TNS ET MEMBRE DU CHSCT
« Depuis que je suis devenu permanent du TNS, il y a six ans, j’ai dû faire une seule nuit. C’est une bonne chose. On constate une évolution du métier, un changement des mentalités : les gens demandent plus de temps libre pour eux-mêmes qu’il y a 20 ou 30 ans. Les horaires avaient déjà été allégés lors du passage aux 35 heures. D’une façon générale, je pense qu’il y a moins de fatigue qu’avant, ce qui joue positivement sur l’humeur, l’ambiance de travail, ou encore sur les consommations d’alcool ou de tabac. »
« La nuit, tout est long, tout est compliqué, poursuit-il. Un panneau est beaucoup plus lourd à porter à 3 h du matin qu’à 3 h de l’après-midi. Finir à 5 h ou 6 h du matin ne fait pas économiser une nuit d’hôtel puisque les équipes ne prennent pas la route dans la foulée. La fatigue génère des erreurs et l’ambiance générale de travail la nuit peut vite devenir électrique. En journée, tout est fait plus rapidement et la qualité du travail est clairement meilleure. »
Une réorganisation en amont
Face à ce constat, une réflexion a été menée conjointement par la direction technique, la direction administrative et le secrétariat général du TNS. Le CHSCT, qui compte parmi ses membres un représentant des services techniques, un représentant des ateliers et un de l’école du théâtre, a également été étroitement associé. Tous étaient convaincus du bien-fondé de limiter le travail de nuit. Mais comment ? En organisant le démontage le lendemain matin ? En commençant plus tôt le soir ? Il a été décidé d’avancer l’heure de la dernière représentation à 16 h, qu’elle ait lieu le samedi ou le dimanche, pour que le démontage réalisé dans la foulée se termine avant minuit. Puis le chargement du camion se fait le lendemain matin.
UN THÉÂTRE NATIONAL HORS DE LA CAPITALE
Le Théâtre national de Strasbourg, qui a fêté ses50 ans en 2018, est le seul théâtre national en région, les cinq autres (Comédie-Française, Odéon,la Colline, Chaillot, Opéra-Comique) étant à Paris. Ayant le statut d’Épic (établissement public à caractère industriel et commercial), il emploie 98 équivalents temps-plein, dont la moitié de personnel technique.
Ces aménagements ne se sont pas faits en un jour, la réorganisation a été progressive. La pratique s’est installée peu à peu. Le public s’est habitué sans problème à ce nouvel horaire. Côté équipes techniques, cela a engendré une perte financière avec la disparition des primes de nuit, de l’ordre de 120 € brut par mois. « Au bout d’un moment, des techniciens ont commencé à me dire “Tiens, on ne fait plus de démontage de nuit ?”, et je leur répondais qu’on s’était organisé différemment pour en faire moins. Personne n’est venu se plaindre de ce changement. » Cela a néanmoins pu entraîner des discussions avec des compagnies en tournée qui avec cette organisation devaient défrayer un repas de plus. « Par conséquent, dans nos contrats, nous avons inscrit que, dorénavant, le cas échéant, les coûts liés au travail de nuit restaient à la charge de la compagnie demandeuse, note Jean-Jacques Monier. Et depuis cinq ans, on n’a eu aucune demande en ce sens. »
Parallèlement, les plannings sont préparés en mai-juin pour toute la saison suivante. Chacun sait ainsi pour chaque spectacle dans quelle équipe il travaillera. « Nous sommes attentifs aux alternances entre les équipes techniques, qui travaillent 36 heures par semaine, et les équipes de jeu, qui font 48 heures par semaine. Cela assure une équité financière et permet à tous des échanges avec les artistes », souligne le directeur technique. Lors des tournées, les effectifs sont prévus en amont en fonction des contraintes des programmations. Plusieurs équipes peuvent parfois être mobilisées. À l’étranger, où les cultures sont différentes, cela reste néanmoins plus difficile à faire passer. Ainsi, en tenant compte des critères artistiques, techniques, financiers, il a été possible d’aboutir à une organisation satisfaisant tous les acteurs. ■
LE CAS DE METZ-EN-SCÈNES
L’Etablissement public de coopération culturelle (EPCC) Metz-en-Scènes, qui emploie 62 salariés en CDI auxquels s’ajoutent une quarantaine de vacataires et une vingtaine d’intermittents réguliers, a aussi organisé des réaménagements. « Depuis neuf ans, nous avons mis en place des périodes de “repos régie” qui correspondent à des respirations dans le planning d’exploitation, décrit Joseph André, directeur technique. Toutes les six à huit semaines, nous déterminons à l’avance une semaine de relâche pour permettre aux salariés techniques de poser des journées de récupération. Ces temps sont consacrés à d’autres activités moins chronophages : travaux de maintenance, ateliers… Les autres services se sont progressivement organisés sur ces mêmes périodes pour travailler autrement. Le travail de nuit est mieux maîtrisé avec un repos mieux organisé : les journées sont dès que possible limitées à 10 h, au lieu des traditionnels trois services de 4 h. »
Céline Ravallec