DOSSIER

L’entreprise Girardeau, basée à Beaurepaire en Vendée, est spécialisée dans la maçonnerie et le gros œuvre. Face à la réalité d’un métier physique qui met le dos des professionnels à rude épreuve, la direction a mis en place une démarche de prévention qui vise notamment à limiter le port de charges.

La limitation des ports de charges passe par l’alimentation des compagnons en matière première au plus près de leur poste.

La limitation des ports de charges passe par l’alimentation des compagnons en matière première au plus près de leur poste.

Dans la partie Ouest des Herbiers, petite commune vendéenne, un quartier pavillonnaire est en pleine expansion. Au-dessus des toits, plusieurs grues barrent le ciel bleu de leurs éléphantesques silhouettes. Tel un phare indiquant aux marins la route à suivre, l’une d’entre elles, estampillée Girardeau, nous guide jusque dans la rue des Vendangeurs. Ici, l’entreprise de maçonnerie et gros œuvre édifie une demeure de belle taille, affichant 212 m 2 de surface habitable.

Avec 85 chantiers par an, la construction de maisons individuelles est au cœur du travail de l’entrepreneur et de ses 35 salariés. Elle représente 60 % de son activité, les 40 % restants se répartissant entre la rénovation d’habitations et la réalisation de bâtiments industriels et agricoles. La profession est rude. Et la sinistralité constatée dans les effectifs, notamment pour des problèmes de lombalgie, n’est pas sans conséquences. « Les carrières de maçons n’attirent plus beaucoup les jeunes. La dureté du métier et les traces qu’il laisse dans les corps peuvent être rédhi­bitoires, constate Fabrice Girardeau, directeur de l’entreprise. Il est donc primordial d’améliorer les conditions de travail si l’on veut pouvoir recruter et donner envie de rester. »

De son propre aveu, le chef d’entreprise a d’ailleurs bien failli jeter l’éponge il y a quelques années. S’il a finalement persévéré, c’est en partie grâce à l’évolution des matériaux de construction. Il y a cinq ans, il troque les parpaings classiques contre des modèles plus légers. Avec leurs alvéoles plus grandes, ils contiennent moins de matière et demandent moins d’efforts lorsqu’on les soulève. En outre, ils sont conçus pour s’imbriquer les uns dans les autres et ne nécessitent ainsi pas de collage. Si du mortier reste nécessaire à la marge pour aplanir le sol sur lequel est posé le premier rang, la quantité à confectionner est drastiquement diminuée. Ce qui signifie moins de manipulations de sacs de sable et de pelletage pour les équipes. De quoi épargner quelques lombaires.

Autre avantage de ces parpaings nouvelle génération, chaque palette contient les éléments nécessaires au montage d’un mur. Auparavant, il fallait aller piocher dans cinq ou six palettes des éléments différents, ce qui imposait plus de manutentions. Et au final, les restes inutilisés des palettes entamées devaient encore être évacués. « C’est vrai qu’à la fin de la journée, on a porté moins de kilos qu’avec des parpaings classiques, convient Julien Daheron, maçon. On a peut-être tendance à accélérer un peu la cadence… Mais sans la préparation d’un liant, tout compte fait, notre dos est moins sollicité. »

Apporter le matériel au plus près des postes

« Bah… Les jeunes, ils ne veulent plus faire de mortier ! », taquine son collègue Jean Gueneau, maçon lui aussi, mais depuis plus longtemps. Le changement de pratiques a en effet eu plus de mal à passer auprès des anciens qui ont pu avoir l’impression qu’on leur retirait une partie de ce qui faisait l’essence du métier. « Aujourd’hui, à part deux ou trois derniers réfractaires, tout le monde est convaincu par cette nouvelle technique », affirme Fabrice Girardeau.

Si cette solution apporte un vrai mieux, elle n’est cependant pas suffisante. Les chiffres de sinistralité des troubles musculosquelettiques (TMS) restent élevés. En 2014, l’entreprise est ciblée par la Carsat Pays-de-la-Loire pour intégrer le programme d’accompagnement TMS Pros. Dans ce cadre, une étude ergonomique identifie les postes à risques. Ainsi, toujours dans le souci de limiter le port de charges, les palettes de parpaings sont désormais déposées au plus près des postes par la grue. Et lorsqu’il s’agit d’alimenter les compagnons qui s’affairent sur un échafaudage pour monter le second étage de la maison, un gerbeur permet de positionner les palettes à niveau.

« Afin d’éviter que des poussières ne viennent dégrader ses mécanismes, il est coiffé d’un capot conçu en interne, précise Dominique Pied, contrôleur de sécurité à la Carsat Pays-de-la-Loire. Et le soir, l’engin est bâché pour le préserver des intempéries. » Effet secondaire de l’arrivée de ce gerbeur, les équipes veillent à bien nettoyer le chantier, car les petites roues se bloquent facilement si le sol n’est pas impeccable.

Plus tôt dans la construction, lors des opérations de soubassement, la préoccupation est, là encore, de mettre à disposition les matières premières au plus près des compagnons. Si les parties des chantiers proches de la route sont accessibles au chariot qui apporte et préétale du remblai pour égaliser le sol, celles plus en retrait nécessitent d’utiliser la grue. Elle permet de déposer des bennes à côté des ouvriers, leur évitant de faire le travail à la pelle et à la brouette. En ce qui concerne l’opération de ferraillage des sols, l’option retenue pour lutter contre le mal de dos est celle de la diminution du poids du matériel. Les grilles utilisées aujourd’hui sont plus petites et elles sont déplacées et positionnées par trois compagnons alors que cela se faisait auparavant à deux.

« Cet exemple montre bien qu’Il suffit parfois simplement de bon sens, sans qu’il y ait besoin de faire de grands investis­sements », souligne Dominique Pied. Dans le même état d’esprit, l’hélicoptère, engin de lissage du béton pesant 75 kilos, est dorénavant stocké dans l’atelier sur une remorque pourvue d’une potence pour le décharger sur les chantiers qui ne sont pas équipés d’une grue. Avant, pour le charger, il fallait le transvaser depuis le sol sur un bac roulant, à la force des bras et du dos.

 « Nous n’avons pour l’instant pas répondu à plus de 30 % des problématiques soulevées par l’étude ergonomique menée dans le cadre de TMS Pros, affirme Fabrice Girardeau. Mais nous progressons. La démarche d’amélioration continue des conditions de travail dans laquelle nous nous sommes engagés porte déjà ses fruits puisque nous avons vu baisser le nombre d’arrêts de travail ces dernières années, notamment ceux liés aux lombalgies. » 

Il suffit parfois simplement de bon sens, sans besoin de faire de grands investissements.

ADAPTER LES OUTILS

Si le directeur de l’entreprise Girardeau confesse que, dans un premier temps, être ciblé TMS Pros ne l’a pas ravi, il convient qu’il y a vite trouvé son compte. « Le programme est en adéquation avec notre volonté de prévention continue, raconte-t-il. Et les aides financières de la Carsat nous ont permis d’avancer plus rapidement. » Une ligatureuse automatique pour les opérations de ferraillage est ainsi venue soulager les mains des salariés qui réalisent des nœuds en fil de fer. « En revanche, la canne sur laquelle est fixé l’engin, censée prévenir le mal de dos en permettant d’effectuer la tâche en position debout nécessitera quelques améliorations du fabricant pour être pleinement efficace, souligne Dominique Pied, contrôleur de sécurité à la Carsat Pays-de-la-Loire. Pour le moment, elle est mal équilibrée. » L’entreprise a également fait l’acquisition d’une cisaille à batterie qui remplace les grosses pinces traditionnelles qui sollicitaient fortement le dos.

DE L’INTÉRÊT DE LA POLYVALENCE

 « En matière de prévention, nous avons un programme bien rempli. Nous avons identifié de nombreux points d’amélioration possibles. Il est parfois compliqué techniquement et difficile économiquement de trouver des solutions dédiées à chacun d’entre eux, affirme Fabrice Girardeau, le directeur de l’entreprise. L’approche qui convient à notre activité, qui se décompose en de nombreuses tâches différentes, est l’utilisation de matériel polyvalent. Cela nous permet de répondre à plusieurs situations à risque sans multiplier les acquisitions. Le trio composé de la grue, du chariot élévateur et de la pelleteuse est représentatif de cette réalité. Chacun de ces engins nous est utile pour différentes opérations et ils sont
en outre complémentaires. »

Damien Larroque

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