Caractérisée par un service à table, la restauration traditionnelle est un secteur qui connaît de nombreux accidents du travail. Le réseau Assurance maladie-risques professionnels et les organisations professionnelles de l’hôtellerie-restauration ont développé plusieurs outils pour que les restaurateurs intègrent la prévention des risques professionnels dans leurs établissements.
La France est reconnue pour sa gastronomie. Les possibilités pour se restaurer sont multiples dans un pays où faire bonne chère est culturellement bien ancré. Les établissements de restauration traditionnelle, caractérisée par un service à table, étaient plus de 87 000 dans l’Hexagone, en 2019, selon la Cnam. Ils emploient près de 440 000 salariés en salle ou en cuisine, auxquels il faut ajouter les salariés travaillant dans les 10 000 hôtels-restaurants.
« Ce secteur, qui emploie beaucoup de salariés, connaît une forte sinistralité », indique François Fougerouze, ingénieur-conseil national à la Cnam. On y dénombrait, en 2019, plus de 13 000 accidents du travail – dont 9 mortels. Les risques les plus fréquents sont liés à la manutention manuelle (38 %), à l’outillage à main (21 %), aux chutes de plain-pied (18 %) et de hauteur (12 %). La pression temporelle, particulièrement prononcée lors des repas, déjeuners et dîners, contribue à la survenue d’accidents. Les troubles musculosquelettiques (TMS) représentent quant à eux la plupart des 700 maladies professionnelles reconnues en 2019 dans le secteur.
Jusqu’à il y a peu, le secteur de la restauration traditionnelle n’était pas caractérisé par sa culture de prévention des risques professionnels. Depuis plusieurs années, la Cnam et les organisations professionnelles – le Groupement national des indépendants (GNI) et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) – cherchent à la faire progresser, à l’aide d’outils mis au point avec l’INRS (https://www.inrs.fr/metiers/commerce-service/restaurants/restauration-traditionnelle-solutions.html). 90 % des établissements sont des entreprises de moins de 50 salariés. « Le programme TPE, lancé en 2013 dans la restauration traditionnelle, a amorcé un changement culturel en matière de prévention », constate Jacques Perême, ingénieur-conseil à la Carsat Nord-Est. Avec pour conséquence une baisse régulière de la fréquence des accidents de travail depuis 2014.
« Dans le cadre de ce programme, ont été développés des outils simples et accessibles aux chefs d’entreprise, qui disposent aujourd’hui d’une boîte à outils complète », poursuit-il. « L’objectif est de permettre aux restaurateurs de disposer de moyens d’évaluation et de prévention en adéquation avec la situation traversée par leur entreprise : élaboration d’un document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) avec OiRA, conception des espaces de travail lors de la rénovation ou de l’installation d’un nouveau restaurant avec Mavimplant, accueil d’un nouvel embauché avec Tutoprèv… », souligne François Fougerouze. Deux recommandations rédigées par la Cnam, destinées au secteur hôtellerie-restauration, ont également vu le jour ces dernières années (recommandation R 493 « Cafés, hôtels, restaurants et autres activités : socle de prévention en restauration » et recommandation R 505 « Livraison, chargement, déchargement des marchandises/matériels en points de livraison en hôtellerie/restauration et tout autre point de vente)
Les conventions nationales d’objectifs (CNO) successives, signées entre la Cnam et les organisations professionnelles du secteur, ont permis de faire bénéficier de subventions les entreprises de moins de 200 salariés, à travers des contrats de prévention ciblant les risques professionnels majeurs. La dernière CNO, entrée en vigueur en janvier 2020 pour une durée de quatre ans, fixe trois objectifs qui font écho aux recommandations de la Cnam : la prévention des TMS, d’une part, celle des risques liés à l’approvisionnement des marchandises, au stockage des déchets et à la collecte des emballages, d’autre part, et enfin, la prévention des risques associés à la circulation dans l’établissement (sol, escaliers…) et la sécurisation de l’accès aux caves.
ZOOM
Des accompagnements pour les TPE de la restauration traditionnelle
Le programme TPE, dispositif mis en place par le réseau prévention à destination
des petites entreprises, a été initialement lancé dans quatre secteurs, dont dans la restauration traditionnelle. Dans ce cadre, plusieurs outils pour mettre en place
des mesures de prévention des risques professionnels ont été développés :
- L’outil OiRA est un logiciel interactif, accessible librement en ligne depuis 2014, qui guide le restaurateur dans l’évaluation de ses risques, afin d’élaborer son DUERP. Il lui propose également des solutions de prévention adaptées à son activité.
- Huit fiches de solutions de prévention, correspondant aux mesures de prévention indispensables, sont mises à la disposition des restaurateurs depuis 2015. « Elles apportent des réponses éprouvées aux situations à risque les plus fréquentes », souligne Jacques Perême. Ces fiches ont été reprises en 2016 sous la forme de la recommandation R 493, adoptée par le CTN D dont fait partie la restauration traditionnelle.
- Mavimplant restauration, en ligne depuis 2017, est un logiciel d’aide à la conception d’un restaurant. Il permet au restaurateur de réaliser une maquette 3D de son futur établissement et d’établir un cahier des charges de ses exigences « métier » intégrant aussi la prise en compte des futures conditions de travail, d’hygiène et d’accessibilité.
Destinées aux établissements de moins de 50 salariés, des subventions Prévention TPE spécifiques à la restauration ont été déployées au niveau national. « Stop essuyage », par exemple, vise à réduire les risques de TMS et d’accidents par coupure lors de l’essuyage manuel des verres. Elle se traduit généralement par l’acquisition d’un osmoseur. « Cuisine plus sûre » cible les risques associés aux déplacements, aux manutentions et aux efforts importants dans les cuisines. « Ces aides, qui ont été très demandées, semblent avoir bien rencontré les besoins des restaurateurs », remarque François Fougerouze.
Des défis à relever
À cela s’ajoutent d’autres subventions Prévention TPE non sectorielles auxquelles les restaurateurs ont aussi accès, telles que « TMS Pros Action », « TMS Pros Diagnostic », « Prévention Covid »… « Avant la crise sanitaire, une bonne dynamique de prévention était enclenchée, portée notamment par les nombreuses aides de la Cnam. Des entreprises ont ainsi pu faire l’acquisition d’équipements permettant de travailler plus en sécurité », témoigne Grégory Hulin, directeur emploi, formation et conditions de travail du GNI.
C’est connu, la restauration traditionnelle souffre d’un déficit chronique de personnel. « Environ 110 000 postes ne sont pas pourvus en France, précise Jean-Marc Banquet d’Orx, président général de l’UMIH Ile-de-France et expert auprès de l’Union européenne. Le manque de personnel qualifié s’observe partout en Europe. » En cause notamment, le travail en soirée et les week-ends, difficilement compatible avec une vie de famille et qui amène de nombreux professionnels à changer de métier relativement jeunes.
EN SAVOIR PLUS
- Santé au travail : passez à l’action. Restauration traditionnelle, ED 6410, INRS
- Tutoprèv’ Accueil. Hôtellerie-restauration, ED 4467, INRS
- Fiche métiers et secteurs d’activité « Restauration traditionnelle. Prévenir les risques professionnels »
Une situation délicate que la crise sanitaire liée à la Covid n’a fait qu’aggraver : 130 000 salariés ont ainsi quitté le secteur. « Les postes d’encadrement en salle sont les plus touchés par ces reconversions professionnelles », note Grégory Hulin. « Et, du fait des fermetures d’établissement pendant de nombreux mois, l’apprentissage sur le terrain n’a pas été possible. Résultat : le personnel recruté est moins formé et les encadrants qui pourraient s’en charger, moins nombreux pour les initier aux risques du métier », constate Jean-Marc Banquet d’Orx. Le tout dans un contexte de reprise d’activité intense : les clients reviennent massivement profiter des plaisirs gastronomiques dont ils ont été privés pendant de nombreux mois et, pour l’instant, peu d’établissements ont été concernés par des fermetures administratives.
Plus que jamais, le travail dans la restauration est sous tension. « Demander aux salariés d’en faire plus augmente le risque d’accident », insiste Grégory Hulin. Et se montrer attractif, en améliorant entre autres les conditions de travail, devient un impératif pour les entreprises afin de recruter ou de fidéliser des salariés. ■
Katia Delaval