Trois stations de sports d’hiver des Alpes-du-Sud s’impliquent dans une démarche de prévention des risques professionnels liés à leurs multiples activités. Après plusieurs années d’efforts, les avancées prennent forme.
« Allo Brigitte. » « Oui Pierre, je t’écoute. » « Il faudrait que tu avances d’un mètre, dans le même sens. » « OK. Attention, je démarre. » « OK. » Une opération de maintenance a lieu aujourd’hui dans la station de ski d’Auron, dans les Alpes-Maritimes. La télécabine est à l’arrêt au-dessus des pistes. À la suite de la demande du technicien par radio, Brigitte Hublau, conductrice de téléphérique, actionne son déplacement. Sur son pupitre, une plaque ancienne au texte rouge sur fond blanc attire le regard : « ATTENTION, il est criminel de mettre en route l’installation, il y a du personnel en danger travaillant sur la ligne. »
Elle est en contact permanent avec l’équipe en cours d’intervention plusieurs centaines de mètres plus haut. L’opération consiste à remplacer les blochets, les pièces de garniture interne des poulies, sur lesquelles repose le câble tractant le téléphérique. Au total, près de 1 100 pièces sont à remplacer. Cette opération, réalisée une fois par an, va mobiliser pendant la journée une partie de l’équipe d’électriciens et de techniciens de maintenance des remontées mécaniques de la station. Elle représente l’une des multiples opérations qui rythment la vie d’une station de sports d’hiver.
L’exploitation des domaines skiables est en effet une activité plurielle : production de neige, damage, service des pistes, entretien des remontées mécaniques, garage, administration… Ces activités, encore jeunes, font appel pour une large part à du personnel saisonnier. Si de sérieux progrès ont été réalisés depuis trente ans du fait de la professionnalisation du secteur – avec, parallèlement, une augmentation des effectifs de près de 50 % ces vingt dernières années – elles demeurent accidentogènes, comme l’ont illustré de façon dramatique plusieurs accidents survenus durant la saison 2015-2016.
Réduire les risques de chutes de hauteur
Les accidents les plus fréquents sont les chutes de plain-pied et à l’occasion de déplacements à ski et à motoneiges. Les interventions sur les remontées mécaniques exposent, elles, à des chutes de hauteur et à des pièces en mouvement, et représentent aussi des activités à risque, avec des accidents pouvant être particulièrement graves. Dans ce contexte, trois stations de sports d’hiver des Alpes-Maritimes, Valberg, Auron et Isola 2000, mènent de concert depuis 2009 des actions de prévention avec le concours de la Carsat Sud-Est.
La démarche a en premier lieu visé à réduire les risques de chutes de hauteur sur les remontées mécaniques en cours d’exploitation et lors des opérations de maintenance. Celles-ci se déroulent souvent dans des conditions pénibles : travail au froid, au vent, en hauteur, avec des accès parfois problématiques et une stabilité précaire. Afin de faciliter l’accès aux pylônes des télésièges depuis la ligne, ces stations se sont progressivement équipées à partir de 2009 de plateaux de services ainsi que de dispositifs PTRM (protection travailleurs remontées mécaniques), obligatoires depuis le 1er janvier 2014. Ces plateaux de service sont ainsi désormais commandés par les techniciens embarqués à bord, qui peuvent intervenir directement en cas de danger imminent, alors qu’auparavant, ils étaient commandés à distance depuis la gare. Cette action a été couplée avec une action de remise en conformité des plateaux de service.
« Un des objectifs était d’apporter plus de confort aux mécaniciens et aux électriciens lors des interventions, explique Gérard Brun, chef d’exploitation des remontées mécaniques à Auron, en particulier lors des opérations sur les pylônes ou dans les gares de téléskis. Le tout en privilégiant les protections collectives. » Car les téléskis ont également fait l’objet de réflexions. « Les téléskis de la station datent de 1958, 1959 et 1976. À l’époque, il n’y avait pas de passerelles ni sur les gares de départ des téléskis, ni sur les pylônes, se remémore Éric Barale, directeur d’exploitation à Auron. À mes débuts dans le métier, on travaillait sur les pylônes à l’aide de bigues de bois pour les opérations de levage. Aujourd’hui, ça n’a plus rien à voir avec les conditions d’intervention d’il y a encore une vingtaine d’années. Les pylônes qui le nécessitent sont maintenant équipés de potences. »
Même constat à Isola 2000, où tous les équipements remontent aux années 1970 à 1975. « À l’époque, il n’y avait pas de réflexions sur les conditions de travail et les aménagements de postes pour les opérations de maintenance », souligne Michaël Tessard, directeur d’exploitation du domaine skiable. La sécurisation des téléskis (passerelles haute et basse en gare de départ, ajout de passerelles sur les pylônes de ligne…) se fait au cas par cas, en fonction des besoins définis par l’évaluation des risques sur le terrain.
« L’idée est de réfléchir au maximum aux solutions avec les salariés qui connaissent bien ces installations d’ancienne génération, et de profiter des grandes inspections programmées pour aménager le matériel, poursuit Michaël Tessard. C’est trop souvent quand un accident survient que l’on prend conscience du risque. Notre CHSCT joue un rôle de premier plan dans la remontée d’informations du terrain et le référencement des postes ou situations à risques. »
Un simulateur électronique de charges
Autre activité ayant fait l’objet d’améliorations : à chaque intersaison, les téléportés (télésièges et télécabines) doivent être lestés d’un poids équivalent au nombre de passagers maximum pour contrôler le fonctionnement des freins. Ce lestage se faisait encore récemment manuellement : jusqu’à 480 kg par siège de six places sur un télésiège devaient être portés par les équipes, de véritables travaux de force… Désormais, cette opération est réalisée à l’aide d’une fosse à lest et d’une potence de levage qui réduisent les ports de charge. Ce système est progressivement en cours de déploiement dans les trois stations.
Dans le courant de cet été, devrait être installé à Isola 2000 un simulateur électronique de charges sur deux des télésièges. Celui-ci contribuera à supprimer intégralement les manutentions manuelles lors des opérations de contrôle des freins. Toujours en matière de manutentions manuelles, les stations connaissent l’été un fort essor de l’activité VTT. Des systèmes d’accroche aux télésièges sont en cours d’installation, permettant aux usagers d’accrocher eux-mêmes les vélos, soulageant ainsi le travail des opérateurs.
Chaque station a par ailleurs défini un plan de déplacement en motoneige. Le personnel se déplaçant à bord de ces engins doit impérativement suivre un itinéraire. En cas de non-retour d’un pisteur, les secouristes suivront ce cheminement afin de retrouver la personne au plus vite. Une collision entre deux scooters l’année dernière sur le domaine de Valberg, sans dommage corporel, a été un signal d’alarme.
« Ça nous a fait prendre conscience des risques et repenser ces déplacements », explique Sébastien Vasseur, responsable sécurité de la station. « Même hors des heures d’exploitation, tout le monde doit avoir à l’esprit qu’on n’est jamais seul sur les pistes, remarque Bernard Ducati, directeur d’exploitation à Valberg. Il est impératif d’appliquer hors exploitation les mêmes consignes que pendant les heures d’ouverture. »
Des casques multi-activités
« On effectue un gros travail de sensibilisation sur le terrain, note Guillaume Perraud, responsable qualité à Valberg. Pour chaque accident, on réalise un rapport d’analyse afin de définir des actions correctives. Depuis l’année dernière se fait également une analyse des presqu’accidents. Les fiches d’incidents aident à comprendre ce qui s’est passé et à trouver des solutions. » Ainsi, des aménagements plus modestes, comme l’installation de tapis de caoutchouc antidérapants ou de tapis d’accompagnement, commencent à se développer sur de nombreuses remontées, générant moins d’aléas sur les équipements et un trafic beaucoup plus fluide. La pose de dalles de béton pour déneiger plus facilement certains postes de travail est également un plus. Des ajouts d’éléments de tôlerie sur l’ensemble des parcs, afin de capoter les pièces en mouvement, permettent d’éviter l’écrasement de doigts.
Des solutions individuelles ont par ailleurs été trouvées pour des situations très précises. Certains pisteurs sont désormais équipés d’airbags d’avalanche (ou ballon d’avalanche). En cas d’avalanche, ces airbags se portant comme un sac à dos s’ouvrent et maintiennent le pisteur à la surface de la coulée de neige. Des casques multi-activités, adaptés à la fois pour le travail en hauteur, la circulation à motoneige et les déplacements à ski, commencent également à être distribués dans les stations. Ils répondent à une véritable demande, car il est impossible pour une personne de gérer trois casques différents en fonction de son activité du moment.
Des aménagements propres à chaque station ont parallèlement vu le jour. « Ces trois stations animent un référentiel sécurité de qualité et sont dans une démarche permanente d’amélioration continue, remarque Laurent Cammal, contrôleur de sécurité à la Carsat Sud-Est. Elles agissent en fonction de leurs moyens, et des priorités établies à partir de l’évaluation des risques ou à la demande du personnel de terrain. » À Valberg, par exemple, des efforts ont porté entre autres sur l’atelier : un extracteur de fumées de soudage avec bras aspirant y a été posé, une presse hydraulique a été achetée. Par ailleurs, auparavant, il n’y avait pas de local chauffé pour le personnel. Désormais, un vestiaire chauffé et un réfectoire ont été installés.
« C’est important d’être bien dans son travail, explique Sébastien Vasseur. Ça réduit beaucoup de risques, on est plus concentré, on gagne en vigilance et en efficacité. » Les formations continues sont par ailleurs un axe important dans l’activité. Isola 2000 compte plusieurs formateurs en interne sur différents sujets : travail en hauteur, vérification des EPI, conduite de scooters des neiges et de quads, exercices d’évacuation à la verticale. « De quoi être réactif dès que l’on a du personnel qui arrive dans notre équipe », conclut le directeur d’exploitation. ■
Céline Ravallec