Sur le site LU de La Haye-Fouassière, près de Nantes, les lignes largement automatisées tournent à plein régime. L’usine a pourtant été identifiée par la Carsat Pays-de-la-Loire comme une entreprise à risques en termes de TMS. Toute l’entreprise, membres du CHSCT, infirmière du travail, managers et opérateurs, s’est mobilisée pour participer aux actions de prévention validées par la direction.
Qu’est-ce qui se mange et qui, grâce à ses quatre oreilles pour les quatre saisons, 52 dents pour les 52 semaines, 24 trous pour les 24 heures d’une journée, propose une allégorie du temps ? Le Petit LU bien sûr. Un biscuit dont la recette n’a pas changé depuis 172 ans, mais dont l’outil de production a, lui, évolué pour gagner en productivité tout en améliorant les conditions de travail.
La Haye-Fouassière, en Loire-Atlantique. Son rond-point (1) et, surtout, son usine LU, propriété du groupe Mondelez International. Le site affiche « zéro accident depuis 265 jours », pour 500 salariés. Là, 50 000 m2 sont dédiés aux biscuits apéritifs Belin, Paille d’or, Belvita, Petit Brun, Petit LU… Le déménagement de l’usine à La Haye-Foussière en 1986 s’est accompagné d’une modernisation de l’outil de production. « Certaines anciennes machines, peu ergonomiques, ont été malgré tout conservées », précise Régis Hamy, responsable des pièces détachées et membre du CHSCT.
« Pour toute nouvelle ligne de production, nous montons un groupe pluridisciplinaire constitué de représentants du service méthode, du CHSCT, d’opératrices et opérateurs, ainsi que de personnes en restrictions médicales pour s’interroger sur l’ergonomie », complète Jérôme Lechêne, responsable business développement. « On veut faire des biscuits de qualité et en sécurité, précise le directeur du site, Éric Houdet. Je veux que l’on arrive au travail avec ses dix doigts et que l’on en ressorte avec ses dix doigts. »
Dès le parking, le ton est donné : obligation de se garer en marche arrière pour des raisons de sécurité. Les flux à l’intérieur de l’usine ont aussi été revus : les zones noires sont réservées aux chariots, les gris clair aux zones de travail où l’on peut utiliser les transpalettes, enfin, les bleues sont piétonnes. La couleur des charlottes obligatoires à l’instar des blouses, chaussures de sécurité et éventuellement cache-barbes a aussi une signification : rouges pour les visiteurs, vertes pour les SST, jaunes pour les personnes en formation et blanches pour toute autre personne de l’entreprise.
Il y a trois ans, lZ site est identifié « TMS Pros » (2). Dominique Perrot, contrôleur de sécurité à la Carsat Pays-de-la-Loire, vient présenter la démarche. Marie-Christine Rame, infirmière santé au travail et pilote en ergonomie dans l’entreprise, était là. « Il a été très clair, explique-t-elle, et il nous a fait comprendre qu’il fallait réaliser concrètement des actions de prévention TMS et réfléchir à des aménagements sur les postes à manutention manuelle. » L’infirmière se charge de réaliser l’inventaire des postes où des maladies professionnelles étaient survenues, ainsi que ceux particulièrement contraignants.
La plupart des postes étaient déjà identifiés car, en 2010, le groupe avait travaillé sur l’évaluation des postes à facteurs de risque TMS sur chaque usine : « On a pu se servir de ce travail. TMS Pros a fait office d’accélérateur. » À partir de ces travaux, Marie-Christine Rame propose un plan d’actions qui sera complété en réunion de CHSCT, en présence du médecin du travail. Au final, le plan d’actions comprend 23 actions et constituera l’étape 2 de TMS Pros. Pour valider l’étape 3, un diagnostic des postes identifiés à fort risque de TMS est réalisé. La plupart des postes se situent au conditionnement, à l’atelier matières premières, et à la logistique.
Réduire la gestuelle
Une vaste action pour limiter la hauteur des palettes à 1 m 40 est engagée afin que les mouvements de préhension ne dépassent pas la hauteur des épaules. « Nous travaillons avec divers fournisseurs et ils n’ont pas tous les mêmes approches, remarque Jérémie Bouvet, responsable sécurité-environnement du site. Ça n’est pas évident d’agir en amont et en aval. » Deux ans après le début de l’opération, près de 90 % des palettes respectent la préconisation.
Pour les biscuits, il faut du beurre. Il arrive sous forme de pains de 25 kg. C’est l’un des postes que l’infirmière avait déjà identifiés comme à risques de TMS puisque les opérateurs effectuaient plus de 40 mouvements des membres supérieurs par minute. « Le beurre arrive dans des cartons, avec une double enveloppe de protection, explique Christian Vrignaud, coordinateur QASSE. Nous avons travaillé avec les fournisseurs pour enlever une des enveloppes et réduire le nombre de gestes nécessaires pour déballer les pains, mais ce test a échoué. »
Le contrôleur de la Carsat propose une autre piste : le préhenseur à ventouse. Installé fin juin 2017, il a finalement été rapidement adopté. Il réduit de 70 % les mouvements sur un cycle. « Il a fallu une période de formation et d’adaptation à ce matériel. Les jeunes se sentent capables de porter les pains et trouvent que le préhenseur leur fait perdre du temps… on a calculé, ils perdent un quart d’heure par poste de 8 heures. C’est peu », estime Christian Vrignaud. Pour Jean-Pierre Lécureuil, un opérateur, il n’est plus question de s’en passer. « J’ai trouvé la technique. Nous aussi, au début, on pouvait porter les pains. Mais c’est sur le long terme que les TMS apparaissent. »
Une fois débarrassé de ses enveloppes, le beurre est convoyé vers un gaveur (sorte de malaxeur), puis jusqu’au pétrin. Les différents ingrédients sont ajoutés, et les pâtes façonnées automatiquement. Des lève-bacs les font passer dans des laminoirs également appelés feuilleteurs qui les aplatissent. La pâte est alors découpée en biscuits, qui sont ensuite dorés. Les opérateurs effectuent en permanence, sur toute la ligne, un contrôle visuel. Les biscuits sont cuits dans cinq fours de plus de 100 m de long. En six minutes, à 250 °C.
« Le laboratoire de chimie de la Carsat est intervenu pour évaluer et permettre de réduire les fumées en sortie de four qui pouvaient être à l’origine de gêne respiratoire chez les opérateurs », explique Dominique Perrot. Des hottes d’extraction ont été installées au-dessus des tunnels de fours. Des brosses ont aussi été mises au point pour nettoyer les tapis lors de leur retour depuis les fours et éviter aux résidus de se consumer. Enfin, sur le côté, là où se positionnent les opérateurs, des apports d’air extérieur régulent la température. En toiture, au-dessus des fours, des extracteurs d’air rejettent à l’extérieur les calories.
Conception 3D et tests
Une fois cuits, les biscuits sont pesés et mis en sachets, puis en étuis, sur trois lignes par produit. Des centaines d’étuis crackers Belin sortent toutes les minutes. Les bobines de 54 kg des ensacheuses doivent être régulièrement changées. Pour ce faire, un appareil pour retirer la bobine et un chariot pour la transporter ont été acquis. Côté ambiance sonore, « dans ces îlots, sur les anciennes machines, nous sommes autour de 85 dB(A), remarque l’infirmière du travail. Les protections auditives sont obligatoires. Lors de l’acquisition de nouvelles machines, nous sommes vigilants. C’est un critère d’achat ».
Régulièrement, il y a des bourrages sur l’étuyeuse. Les opérateurs doivent intervenir plusieurs fois par jour : soulever un carter lourd et encombrant, qui a tendance à se rabattre de façon intempestive et à coincer des doigts. Pour y remédier, Yannick Le Gall, responsable technique crackers, a réfléchi à un nouveau carter, deux fois moins lourd que le précédent, facile à ouvrir et moins volumineux. Conçu en 3D, il a été soumis aux opérateurs et sera bientôt testé sur une ligne, puis déployé à tous les îlots s’il donne satisfaction.
Une fois dans les cartons, les biscuits continuent leur trajet vers un système de palettisation centralisé. Dans cet entrepôt de 10 000 m2, 15 000 palettes sont stockées. Au milieu, circule une navette filoguidée. 1 000 palettes entrent et sortent chaque jour de ce bâtiment. Les chariots qui circulent sont électriques, frontaux, conformément à la recommandation R 389 (« Utilisation des chariots automoteurs de manutention à conducteur porté ») (3). « Ils sont polyvalents, permettent d’aller dans les racks et de charger et vider les camions. Électriques, ils ne dégagent pas d’odeur et n’émettent pas de particules », explique Michel Visonneau, responsable du dépôt produits finis. La palettisation est réalisée par des robots encagés.
Des arrêts surviennent plusieurs fois par jour et, dans ce cas, les opérateurs prennent le relais. Jusqu’à présent, il fallait monter quelques marches pour saisir les cartons rejetés pour les palettiser à la main. Dans le cadre de TMS Pros, une étude en 3D a permis aux opérateurs de se projeter dans un nouvel environnement de travail avec un tapis allongé de trois mètres, la suppression des marches, la modification du transporteur pour être à hauteur d’homme et, enfin, le déplacement de l’écran de commande. « C’est nettement mieux, mais ça nous a pris du temps pour trouver toutes les solutions et faire aboutir ce projet », estime Gérard Brosseau, responsable ingénierie travaux neufs.
Les palettes prêtes à partir ont ce jour-là une hauteur d’1 m 20. Le robot en place deux l’une sur l’autre, puis les filme. En 8 heures de travail, Jean-Pierre Lodé, coordinateur, devra changer au moins deux fois la bobine de 17 kg. Un groupe de travail avait été créé en 2010 pour réfléchir à cette problématique. Faute de budget, son projet n’a pu aboutir. « Grâce à TMS Pros, la réflexion a repris pour aboutir à un préhenseur. Et je m’en sers ! », lance Jean-Pierre Lodé. « Mondelez International, s’est bien saisi de la question des TMS. La phase 4 de la démarche TMS Pros a été atteinte », conclut Dominique Perrot, pendant que les palettes défilent. Elles seront soit expédiées, soit stockées, les biscuits ayant une légère saisonnalité. Une chose est sûre, tous seront mangés. ■
(1). Identifié comme étant le 4e plus laid de France.
(2). Démarche de la Cnam en 4 étapes visant à identifier et réduire les TMS. Voir à ce sujet Travail & Sécurité n° 771 d’avril 2016.
(3). À télécharger sur www.ameli.fr.
RPS ET ABSENTÉISME
Nadia Dhakal, RRH. « Les RPS sont inscrits dans notre document unique et suivis en termes d’actions préventives. Néanmoins, pendant l’été 2017, nous avons dû faire face à une situation à risque avec comme point de départ des carences en compétences à la suite d’une quinzaine de départs d’intérimaires ayant mis fin à leur mission alors que nos salariés partaient en vacances, à des performances plus faibles et des tensions organisationnelles. Au final, nous n’avions plus assez de ressources ni de savoir-faire pour bien faire tourner certaines lignes. L’absentéisme est passé de 4 à 6 % pendant cette période. Nous avons réagi en analysant les dysfonctionnements organisationnels, à l’aide de groupes de travail, en nous interrogeant sur les racines de ces carences : le sous-effectif, les rôles et responsabilités, les compétences, les processus de communication, les processus de décision, la reconnaissance. Par exemple, nous nous sommes aperçus que les modes de fonctionnement n’étaient pas les mêmes entre les trois équipes nous fonctionnons en 3 x 8, ce qui générait des conflits dans certaines équipes, et que cette situation était due en partie à des rôles et responsabilités non clairement définis… Le tout donnait lieu à des problèmes de performance, ce qui signifie plus de déchets, donc plus de manutention, de fatigue et d’irritabilité. Sur recommandation des membres du CHSCT, nous avons priorisé nos actions sur deux pôles: Belvita et Paille d’Or. Sur le pôle Belvita, nous avons redéfini les rôles et responsabilités, mis en place des réunions de communication (mensuelles) avec les trois équipes de façon que chacun puisse s’exprimer, et gagner en réactivité en cas de dysfonctionnement. Enfin, pour limiter les conflits individuels, certaines équipes ont été réagencées. Pour ce qui est du pôle Paille d’or, les groupes de travail sont en cours. Pour commencer, le service marketing est venu expliquer la stratégie pour faire remonter les volumes grâce à des actions de promotion. Les lignes tournent désormais à pleine capacité, ce qui était l’une des inquiétudes majeures des équipes. Au niveau de l’usine, nous avons aussi déployé des enquêtes d’opinion internes sur la satisfaction au travail, dont les résultats devraient être bientôt partagés et les actions déployées. Depuis la mise en œuvre de ces actions, le taux d’absentéisme est revenu à 4 % avec une amélioration significative du climat social, qui se traduit par des remontées terrain des équipes et de nos partenaires sociaux plus positives et des performances de ligne qui atteignentdes niveaux record. Nous travaillons également à mieux définir les signaux faibles qui nous permettraient, à terme, de mieux prévenir ce type de risque. »
Delphine Vaudoux