À Froideconche, Soprofen Industrie fabrique des volets roulants. Une activité qui expose ses salariés à des risques liés aux ports de charge, aux postures contraignantes et aux gestes répétitifs. Consciente de ces difficultés, l’entreprise s’est engagée depuis plusieurs années dans une démarche pérenne d’amélioration des conditions de travail.
« Le but du jeu, c’est que les salariés puissent remplir leurs missions. Mais aussi qu’ils rentrent chez eux en pleine forme. » Voilà qui résume bien l’état d’esprit de Lionel Cardot, responsable maintenance et HSE de Soprofen Industrie, site de production de volets roulants appartenant à Soprofen Fermetures. Depuis plusieurs années, avec l'appui de sa direction, il met sa conviction au service des conditions de travail des salariés de l'entreprise.
Située à Froideconche, en Haute-Saône, l’usine compte 150 personnes et produit entre 4 000 et 4 500 volets par semaine. En fonction des postes, les salariés sont amenés à faire de la manutention, à adopter des positions pénibles ou à effectuer des gestes répétitifs qui mettent les organismes à rude épreuve.
Dans l’atelier de montage, une salariée reconnue par tous pour son efficacité quand il s’agit d’assembler les joues, des éléments du coffre contenant le volet roulant. Dans la précédente configuration, sa précision et sa vitesse d’exécution n’avaient pas leur pareil dans l’entreprise. Mais depuis, avec le soutien financier de la Carsat Bourgogne-Franche-Comté, l’entreprise a fait l’acquisition d’un robot de vissage en 2019. « La visseuse électrique était suspendue pour en réduire le poids. Mais 3 200 vis quotidiennes, ça use, témoigne-t-elle. Mon épaule commençait sérieusement à me faire souffrir. »
Sur son nouveau poste, la professionnelle n’a plus qu’à disposer les pièces sur un plateau qui glisse jusque dans la cage de l’automate. « En plus, tout est à portée de main. J’ai participé à la réflexion sur la disposition des bacs de composants qui me convient donc parfaitement. Il reste à trouver des solutions pour l’approvisionnement car pour le moment, je suis livrée sur l’ancien poste, précise-t-elle. Mais je sens déjà que mon épaule va mieux grâce à Pikachu. C’est le surnom que j’ai donné au robot… »
Tester avant d’adopter
Sur leurs chariots, les joues, comme les autres pièces qui composent les différents modèles de volets, convergent vers dix postes d’assemblage. Six d’entre eux sont aujourd’hui équipés de pieds réglables, électriques, pour permettre aux opérateurs d’en adapter, à volonté, la hauteur à leur morphologie. Dans les mois qui viennent les quatre postes restants seront modifiés à l’identique. « Pour moi qui suis grand, c’est un soulagement. Je ne suis plus plié en deux sur mon ouvrage, raconte Jérémy Rancier, un monteur. Et comme le système peut mémoriser différents niveaux, il est facilement ajustable, ce qui nous permet d’adopter la bonne position, quelle que soit la référence que l’on manipule. »
À côté des établis sur lesquels les plus grands modèles de volets sont assemblés, des tables hydrauliques soulèvent des casiers pour les mettre à hauteur des opérateurs. Ces réceptacles, dans lesquels sont glissés les produits finis, sont destinés à rejoindre la zone d’emballage. « Les emplacements de la partie gauche de ces structures ne pouvant être atteints sans soulever les volets, nous testons un prototype de rallonge escamotable pour pallier ce problème, explique Lionel Cardot en actionnant le dispositif. Si les retours des salariés sont positifs, la rallonge sera généralisée à court terme. » Et dans le cas contraire, il sera modifié pour mieux répondre à leurs attentes. Chez Soprofen, pas de solutions imposées. Au contraire, les salariés, premiers concernés, sont toujours associés aux réflexions pour améliorer leurs conditions de travail.
Au poste d’emballage, les cartons ne sont plus, comme c’était le cas par le passé, dépliés manuellement. Une machine leur donne leur forme puis les convoie jusqu’aux salariés qui y rangent les volets. Un nouveau pistolet à colle pneumatique est venu soulager les opérateurs qui scellent les paquets. En effet, il fallait appliquer une force non négligeable sur la gâchette de l’ancien modèle pour parvenir à appliquer la glue. Le confort apporté par ce changement de matériel a largement convaincu, puisque le pistolet a été déployé sur d’autres postes de la manufacture qui requièrent, eux aussi, l’usage de colle.
À la force du pouce
Au bout des lignes d’emballage, ce sont les ports de charge qui ont fait l’objet de toutes les attentions. Depuis peu, deux mécanismes conçus en interne sont à l’origine de progrès conséquents. Le premier relève les tapis gravitaires à l’horizontal à l’aide de vérins permettant ainsi de faire glisser sans effort les cartons pesant de 25 à 30 kilos sur des chariots. Ces derniers ont bénéficié de la seconde amélioration. Puisqu’ils supportent trois cartons, soit presque 100 kilos, l'effort nécessaire pour les déplacer et la force requise pour les freiner étaient importantes. Maintenant que les chariots sont équipés de moteurs électriques, il suffit d’actionner une molette avec le pouce pour mettre en mouvement le chargement et le guider aisément jusqu’à la zone d’expédition.
« Grâce au moteur, on n’a plus mal au dos, confirme Guillaume Bosch, un agent de quai. Nous devons encore porter les cartons pour monter les palettes, mais nous sommes passés de cinq à deux tonnes manipulées par jour. C’est une sacrée différence. » « Mon objectif est ici de supprimer totalement les ports de charge. Je pensais solder le dossier grâce à des exosquelettes, mais les essais n’ont pas été concluants, regrette Lionel Cardot. Cependant, je ne m’avoue pas vaincu. J’espère bien que les prochaines générations de ces technologies répondront à nos besoins. »
Un peu plus loin, une autre acquisition subventionnée par la Carsat en 2016 fait l’unanimité auprès des équipes. Il s’agit d’un système de cerclage automatique des palettes. Le feuillard, lien de plastique qui arrime la marchandise, est mis en place par la machine et le salarié n’a plus qu’à le souder. Quelques secondes suffisent. Plus besoin de s’agenouiller, de se contorsionner pour pousser le feuillard sous la palette et le récupérer de l’autre côté, de lever les bras… « Quand l’opération est répétée des dizaines de fois par jour, c’est éreintant, affirme Cyrille Froidevaux, chef d’équipe expédition. Cet outil de cerclage est vraiment devenu indispensable. »
Un moteur pour ne pas caler
« Nous avons subventionné en partie ces différents dispositifs, mais Soprofen ne compte pas uniquement sur ces aides pour avancer en prévention, souligne Fabrice Baretti, contrôleur de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. J’ai remarqué plusieurs actions intéressantes dont je n’avais pas connaissance. » Sur un poste de montage de l’atelier traditionnel par exemple, où le travail manuel reste très présent, de gros ressorts sont installés sur les systèmes d’ouverture de volets. Un exercice qui a priori n’a rien d’une promenade de santé. « Il faut visser les ressorts pour les comprimer et les mettre en place. À sept tours, cela devient dur. À 14, c’est carrément de la musculation, plaisante à moitié un monteur. Maintenant, grâce à une machine conçue en interne, il suffit d’enclencher le ressort, de programmer le nombre de tours souhaités sur l’écran et ça roule tout seul. »
Autre atout de taille pour améliorer les conditions de travail de cet atelier, le centre d’usinage automatique des lames. Il est alimenté par des bobines d’aluminium thermolaqué de couleurs variées. Celles-ci sont découpées selon la longueur préalablement entrée dans l’ordinateur qui le pilote. Avant son installation, les opérateurs devaient positionner la matière première, la mesurer et la couper. La finition de ces lames nécessite de les caler les unes après les autres. Pour ce faire, il faut déplacer un support pas moins de 800 fois par jour. Pour soulager les salariés, le mécanisme a été motorisé. En actionnant une manette, la cale est positionnée sans effort. « Le système est sécurisé. Si la partie mobile entre en contact avec un obstacle, elle s’arrête instantanément. Pas de risque de bousculer ou de blesser un salarié qui serait sur son chemin », précise Lionel Cardot, en arrêtant le support de la hanche sans sourciller.
Détecteurs multidirectionnels anticollision
Dans le magasin, un nouveau chariot élévateur attire l’attention de Fabrice Baretti. « Il est équipé d’une caméra au niveau de la fourche. Ainsi, quand il faut déposer ou récupérer une palette dans les étagères hautes qui atteignent 5,20 mètres, le conducteur peut parfaitement effectuer sa manœuvre et réduire les risques de renversement des produits », observe-t-il. « Et plus besoin de se tordre le cou pour regarder en l’air. On est moins crispé, on le sent dans les épaules en fin de journée », précise un cariste. D’une pierre deux coups, donc.
Pour prévenir les collisions, ce chariot élévateur possède aussi un « blue point », une lumière bleue projetée au sol à quelques mètres devant lui pour prévenir de son arrivée. En complément, des détecteurs multidirectionnels installés aux croisements des allées déclenchent une alarme sonore lorsqu’ils détectent deux « objets » dans la zone qu’ils couvrent, que ce soit des engins, des piétons ou de la marchandise.
Dehors, sur la zone de stockage des supports qui servent à transporter les produits les plus volumineux, un imposant lève-palette retient à son tour l’intérêt de Fabrice Baretti. Doté de quatre roues directionnelles qui augmentent sa maniabilité, il est capable de supporter des charges allant jusqu’à quatre tonnes. « Les modèles de cette puissance sont habituellement alimentés au diesel, remarque le contrôleur. Celui-ci fonctionne au gaz, ce qui signifie qu’il n’y a plus d’exposition à des fumées nocives. » En outre, cet Hercule mécanique est équipé de deux caméras permettant de restituer une image en trois dimensions qui facilite les manœuvres. « En parlant de circulation, nous avons le projet de revoir les flux à l’extérieur de l’usine, avec notamment un sens unique pour sécuriser les déplacements des camions qui nous livrent les matières premières et de ceux qui chargent la production », indique Lionel Cardot.
La volonté d’amélioration des conditions de travail de Soprofen s’illustre ainsi tout au long de son process. Si beaucoup de choses ont été faites, l’entreprise ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et cherche continuellement le moyen de mieux faire, en allant parfois chercher l’inspiration dans des sphères inattendues. Une botteleuse d’asperges pour lier les paires de coulisses, il fallait y penser. C’est pourtant une solution idéale pour remplacer les élastiques dont la résistance était redoutable pour les doigts des salariés qui les posaient auparavant manuellement. ■
Damien Larroque