SKF est une entreprise qui fabrique des roulements à billes destinés essentiellement au secteur automobile. L’entreprise, avec l’aide de la Carsat, cherche à réduire les risques chimiques et les TMS dans les ateliers existants, tout en les anticipant lors de la création de nouvelles lignes.
Des billes, des billes et encore des billes. De toutes tailles, rutilantes dans leurs sachets... Des billes de métal par milliers. Ces pièces constituent une des matières premières utilisées par SKF, leader mondial du roulement mécanique. Installée à Saint-Cyr-sur-Loire, dans l’Indre-et-Loire, cette entreprise de 1 300 salariés fabrique chaque année environ 60 millions de ces roulements à billes. Ici, on usine, on chauffe, on assemble, on porte… Les manutentions sont nombreuses, ainsi que les produits chimiques mis en œuvre. Fruits d’un processus industriel complexe et varié, les multiples produits de SKF sont destinés essentiellement à l’automobile.
Sur ce site de 30 hectares, si les bâtiments sont nombreux, l’un d’entre eux se repère aisément : il est en cours de déconstruction. « Ah, c’est le 14 ! s’exclame le directeur du site, Éric Beghini. On va en construire un de plus grande hauteur, pour aller sur de nouveaux marchés comme l’industrie minière ou maritime, où les roulements sont beaucoup plus imposants… » « On déménage des lignes de production, on réfléchit en permanence à de nouvelles organisations, relève Audrey Brochard, coordinatrice EHS (environnement, hygiène, sécurité) du site. À chaque fois, on intègre la prévention des risques professionnels. »
C’est en 1938 que SKF s’installe à Saint-Cyr-sur-Loire, en pleine campagne alors, avec un premier bâtiment, toujours là. Un 22e vient d’être inauguré. « Nos nombreuses références nécessitent beaucoup de manutentions, précise le directeur. On cherche à prévenir les TMS (NDLR : troubles musculosquelettiques), mais les salariés ayant une ancienneté moyenne de plus de quinze ans, on subit aussi les conséquences du passé. » Avec l’aide de la Carsat Centre-Val de Loire, l’entreprise s’est lancée dans la réduction des risques chimiques et des TMS.
Que d’huiles, que d’huiles
Pour les risques chimiques, direction l’une des centrales de gestion des fluides d’usinage. Bruno Valenti, intarissable sur le sujet, est responsable des trois centrales de fluides, chacune comprenant plus de 5 km de tuyaux : « Les 340 m3 d’huiles solubles et 220 m3 d’huiles entières utilisées passent dans l’une des centrales pour être contrôlés et recyclés. » Bruno Valenti et son équipe de sept personnes les surveillent en permanence, en s’appuyant sur la recommandation R 451, « Prévention des risques chimiques causés par les fluides de coupe dans les activités d’usinage de métaux ». Le pH et la réserve alcaline des huiles solubles sont surveillés de près, car leur baisse pourrait signifier une attaque bactérienne pouvant être à l’origine d’un dégagement d’ammoniac. « Peu d’établissements sont ainsi équipés, reconnaît Sandrine Auffinger, ingénieure-conseil à la Carsat Centre-Val de Loire. C’est une entreprise qui est en avance sur la gestion des huiles. Elle participe au programme Risques chimiques Pros, ce qui l’oblige à se requestionner sur ses pratiques. »
Afin de garantir la durée de vie d’un roulement à billes, celui-ci doit atteindre une certaine dureté et être usinable. Dans l’atelier de traitement thermique, les pièces arrivent avec leur forme quasi définitive. Elles sont lavées et ternies, puis passent dans un premier four à 850 °C avant le bain de trempe – de l’huile entre 80 et 130 °C – qui stoppe la transformation et augmente leur dureté. Elles passent ensuite dans le four de revenu pour obtenir leur dureté définitive. Là, un four a été équipé en 2021 d’un système d’aspiration plus performant. « On voit vraiment la différence, reconnaît Fabrice Daveau, anima teur de ligne. Avant, il y avait des dégagements de fumées et le sol était glissant. Maintenant, tout est bien aspiré. » « Dans le plan d’action, il y avait non seulement les aspirations avec rejet à l’extérieur après filtration, mais aussi le recyclage de l’énergie produite par la chaleur », complète Henri Plantin, responsable de production.
Des cobots et des robots
SKF dispose aussi d’un important laboratoire de chimie d’une vingtaine de personnes qui a engagé une démarche de substitution des CMR (cancérogène, mutagène, toxique pour la reproduction). « Cela fait plusieurs années qu’on y travaille », explique son responsable, Nicolas Tronquoy. Ce sont 79 produits chimiques qui y sont manipulés, représentant 169 utilisations. Les fiches de données de sécurité sont à jour, affichées à chaque poste avec les risques et pictogrammes associés. Les analyses et manipulations sont réalisées sous l’une des sept sorbonnes régulièrement contrôlées. Depuis quelques années, les mélanges de réactifs sont achetés tout prêts, pour réduire les manipulations et donc les risques. Par ailleurs, « nous nous fixons des objectifs chaque année. Les ports de charge par exemple seront traités en 2022 : deux personnes de l’équipe vont être formées Prap pour diffuser les bonnes pratiques au sein du labo », remarque Nicolas Tronquoy.
Cobots et robots font également partie du paysage. À l’atelier des kits destinés majoritairement aux garagistes, il s’agit de préparer des boîtes contenant 1 à 10 pièces (roulements, courroies, pompes, petits accessoires…). « Nous ne stockons rien… Nous recevons 1 000 palettes par jour de composants et faisons partir autant de palettes de kits », explique Laurent Chérioux, responsable de production. Lorsque le kit comprend de un à deux composants, l’opérateur le réalise seul. À partir de trois, les opérateurs travaillent en ligne. Pour limiter les rotations de buste, des cobots se chargent de positionner correctement les notices dans les boîtes.
Afin de varier efforts et postures, les salariés changent de poste toutes les deux heures. En fin de ligne, de grands cartons – dotés d’une ouverture latérale pour éviter une torsion trop importante – sont remplis par l’opérateur puis pris en charge par un convoyeur guidé par un laser vers la filmeuse automatique. Les charges les plus lourdes, les roulements de roue par exemple, sont manipulées par un robot, l’opérateur intervenant pour contrôler et fermer les cartons. Certains contenants en bois doivent être cerclés. Source de TMS – la personne devait glisser le lien sous la pile à cercler –, ce poste a été l’objet d’une proposition astucieuse qui évite à l’opérateur de se courber.
Autre lieu où les manutentions sont nombreuses, l’entrepôt logistique. Les chiffres sont parlants : 13 m de haut avec un picking jusqu’à 10 m, une quinzaine d’allées, 20 chariots, dont 12 tridirectionnels et filoguidés dans les allées de picking, entre 2 000 et 2 500 colis préparés chaque jour… Les chariots ne démarrent que si la ceinture de sécurité est bouclée. Au-dessus, une passerelle en hauteur. « Elle ne gêne pas l’activité et, surtout, l’organisation n’est pas figée : en gardant cette passerelle, les possibilités d’aménagements sont multiples », remarque Christophe Rimbault, coordinateur à la réception.
Une réorganisation réfléchie
Des barrières déformables ont été installées pour limiter la maintenance et éviter le risque d’écrasement de piétons. Ces derniers, avant tout croisement, doivent ouvrir une barrière les obligeant à s’arrêter. Dans ce secteur, des essais d’exo-squelettes sont en cours. Un premier a été écarté, jugé trop rigide par les utilisateurs. Un nouveau est en test. Il a pour objectif de soulager le dos et d’inciter à plier les genoux. « Attention à ne pas créer de nouvelles pathologies, relève l’ingénieure-conseil. Vous devez écouter, ne pas imposer. Il est important de travailler avec le service médical et de proposer une grille d’évaluation, prenant aussi en compte l’entretien, le réglage et l’utilité de l’exosquelette. »
Toute réorganisation fait l’objet d’une réflexion en amont poussée, avec les équipes. L’atelier automotive, qui fabrique des butées de suspension, a été entièrement reconfiguré. « On est parti d’une feuille vierge, explique Nicolas Desreumaux, responsable de production. On a essayé d’anticiper les flux en tenant compte de l’alimentation des composants, de la circulation des opérateurs et de l’intervention des équipes de maintenance. » Les allées sont dimensionnées pour les circulations des AGV et des AMR , les contrôles finaux sont désormais réalisés par une machine 3D. « Avant, l’opérateur retournait la pièce et avait beaucoup de mouvements de poignets. C’est un poste sur lequel les risques de TMS ont été réduits », souligne Sandrine Auffinger.
La ligne de fabrication nommée « Bearing Factory » a fait l’objet d’une étude ergonomique, avant sa réalisation. « Des roulements arrivent depuis le convoyeur. L’opérateur, en fin de ligne, doit fermer les palettes à la main, à raison de 1000 roulements/heure, charger la housse plastique et mettre l’étiquette », présente Benoît Fisseau, responsable projet aux méthodes. Le fabricant a modélisé le projet de ligne et Florian Pénichou, amené à y travailler, a été associé au projet :
« J’ai été équipé de capteurs et mis en situation de travail. Au début, c’est un peu trompeur, puis on s’y fait. » Les gestes, les cadences ont été analysés en direct. Camille Morandeau, responsable EHS Bearing Factory, a aidé à valider les options, à faire modifier des éléments de la ligne : « Cette méthode ne doit arriver ni trop tôt, ni trop tard dans la réflexion. La ligne doit déjà être définie, mais elle doit être modifiable. » « C’est un complément qui permet d’associer le salarié, la maintenance, etc. Il faut cependant prendre en compte les activités connexes et garder en tête que l’outil vient illustrer les contraintes de la tâche mais ne fait pas tout », complète l’ingénieure-conseil. Lorsque le timing est serré, comme souvent lorsque l’on modifie ou crée une ligne, « cela fait gagner du temps, de l’argent tout en intégrant les contraintes ergonomiques », constate Alexandre Kaelin, responsable projet aux méthodes.
D’autant que le site de Saint-Cyr-sur-Loire est en perpétuelle évolution. La preuve avec le très récent bâtiment où sont assemblées les couronnes d’orientation dites SLB. La moyenne des pièces déplacées dépasse les 10 tonnes : des bagues extralarges, destinées aux excavatrices, aux tunneliers ou encore à l’activité maritime. « Nous devons usiner ces bagues. Pour cela, nous les déplaçons avec trois élingues, elles-mêmes très lourdes et compliquées à positionner », souligne Marc-Antoine Stock, responsable de production. Des élingues cinq fois plus légères sont en cours de test. Là encore, c’est en s’appuyant sur des technologies novatrices et le retour d’expérience que SKF progresse. ■
Delphine Vaudoux