À Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, la plate-forme logistique de France Boissons est au cœur du réseau du distributeur de boissons destinées à la restauration hors domicile. Des approvisionnements au stockage, de la préparation de commandes aux livraisons, des procédés et outils sont déployés pour assurer la sécurité des travailleurs.
« Nous sommes le plus gros entrepôt de France – et même d’Europe – de distribution de boissons. » Directeur de la business unit du Grand-Paris chez France Boissons, filiale de Heineken, Jean-Christophe Renaudin plante le décor : près de 300 tonnes quotidiennes de marchandises en entrée et en livraison (environ 3 500 palettes au départ), 2 700 références, 1 500 places de picking, 185 personnes sur le site dont 65 en production (préparateurs, caristes, chefs d’équipes, gestionnaires de flux, etc.), 40 chauffeurs… Avec ses 22 000 m2 de superficie, la plate-forme logistique de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, est la plus importante du réseau du distributeur de boissons.
Dès 5 heures du matin, le site s’anime afin de préparer les 40 tournées quotidiennes. La plate-forme approvisionne les cafés et restaurants de la moitié de Paris et de sa proche couronne, des sites organisateurs d’événements comme le Stade de France ou Roland Garros…, ou encore des entrepôts satellites du groupe – dits « cross-dock » – avec l’ensemble des références de bières, eaux et autres sodas. Les marchandises identifiées la veille par les préparateurs de commandes sont chargées dans les camions. Deux heures plus tard, ce sont les fournisseurs qui arrivent. Jusqu’à 22 h, l’activité ne faiblira pas.
Ce matin d’octobre, nous assistons à la préparation de commandes, pour laquelle trois équipes commencent leur journée de travail successivement à 6, 8 et 10 heures. Avant la prise de poste, le brief quotidien du manager se met en place. « Nous abordons un thème lié à la sécurité. On fait un point sur ce qui s’est passé la veille et après une petite séance de réveil musculaire, on attaque », précise Karim Lagha, chef d’équipe. Une fois par mois, s’ajoutent les alertes de sécurité qui permettent aux managers de mettre en discussion des sujets remontés du terrain, en France comme à l’international.
« Nous encourageons les salariés à partager des idées de terrain et des bonnes pratiques. Quelle que soit sa place, chacun est légitime pour parler s’il constate que l’on déroge aux règles de sécurité », insiste Jérôme Vallat, coordinateur santé-sécurité pour les régions Bretagne, Normandie et Île-de-France. Sur le site de Gennevilliers, on travaille beaucoup sur des produits lourds avec de gros volumes, puisqu’un flux quasi ininterrompu de marchandises doit être prêt, à tout moment, pour les livraisons. « Nous nous appuyons sur le service recherches et innovations du siège et les retours d’expérience dans nos entrepôts pour trouver des solutions susceptibles d’alléger les contraintes physiques », indique Richard Pinkowski, directeur de la plate-forme de Gennevilliers.
Sur la plate-forme, on retrouve un standard des entrepôts de France Boissons : le portique à fûts, une aide à la manutention qui permet, à l’aide de câbles et de pression, de soulever les fûts ou les bonbonnes de gaz. Le préparateur n’a plus qu’à les guider sur sa palette. « On supprime le port de charge sans perdre de temps, assure Charly Gadet, l’un d’entre eux. Sans ce dispositif, il faudrait soulever quotidiennement une trentaine de fûts de 45 kg chacun et les poser sur les racks. »
Quand l’entreprise s’est implantée sur le port de Gennevilliers, en 2014, elle a travaillé, en concertation avec la Cramif, sur l’évaluation des risques de troubles musculosquelettiques. « Le portique est une solution bien pensée. Il est totalement accepté, et les opérateurs l’utilisent », précise Pascal Poiron, contrôleur de sécurité à la Cramif. À proximité du portique mais également de l’allée A, où sont regroupées certaines des marchandises les plus demandées, l’entreprise a mis en place un stockage de masse pour celles-ci et pour les fûts. Sur le plan pratique, il s’agit d’éviter les allers-retours d’un bout à l’autre de l’entrepôt.
Toujours dans le cadre de la préparation des fûts, des tiroirs coulissants sont installés au niveau des emplacements de picking. « On n’a plus à s’allonger sous le rack pour récupérer un fût dans le fond », précise Charles Kibin, un préparateur de commandes. Le dispositif a été « copié avec fierté », quelque temps après sa mise en place dans un entrepôt du groupe, à Bordeaux, explique Jérôme Vallat. On trouve aussi d’autres meubles dynamiques. Un chariot de préparation de commandes à fourche haute levée a également été acquis à Gennevilliers, à la demande de la Cramif. Il est aujourd’hui testé dans cinq autres entrepôts.
« Autant que possible, c’est la marchandise qui doit venir aux préparateurs de commandes, pas l’inverse, souligne Richard Pinkowski. Au sein de France Boissons, les sites de Gennevilliers et Bonneuil-sur-Marne sont fréquemment pilotes pour les tests. On réfléchit par exemple à un dépileur de palettes pour délivrer à l’opérateur les palettes vides. Il y a quelques mois, nous avons mis en place un bras articulé mobile de dépalettisation/repalettisation pour soulever des fûts. Son utilisation doit notamment nous permettre d’alléger la préparation des gros événements. »
Le procédé industriel des fournisseurs est tel que ces fûts arrivent à Gennevilliers par lots de huit sur des palettes mères de 1,23 m par 1,12 m. Dans l’entrepôt, il faut dépalettiser et repalettiser sur des palettes de 1,20 m par 0,80 m, qui ne supportent que six fûts, afin que les marchandises puissent être livrées chez les clients sans rencontrer de difficultés dans les couloirs ou les monte-charge. Trop souvent, les bâtiments ont été conçus sans tenir compte des modalités d’accès pour les livraisons.
« Cela implique beaucoup de manutentions, d’où la réflexion en interne pour trouver une machine permettant de ne plus réaliser cette opération pénible manuellement. Nous sommes allés voir quatre fabricants et en avons retenu deux qui sont venus à Gennevilliers faire une démonstration à nos collaborateurs. Ce sont eux qui ont validé la solution : un chariot sur lequel sont installés une potence et un outil de préhension à ventouse », remarque Jérôme Vallat.
Autre sujet d’importance : s’assurer de la sécurité de la livraison chez le client, c’est-à-dire un lieu qui n’appartient pas à France Boissons. « Je suis arrivée il y a trois ans, juste avant la crise sanitaire, raconte Naïma Ghaleb, responsable distribution. Rapidement, nous avons souhaité mettre à profit cette période particulière, en repartant de la base. Certains clients ignoraient même ce qu’était un protocole de sécurité. Nous sommes allés les rencontrer pour expliquer notre démarche et les avons accompagnés lorsque c’était nécessaire sur la mise en sécurité des chemins d’accès ou de livraison pour les chauffeurs. »
Ce matin-là, l’un d’eux livre une brasserie dans le Xe arrondissement de Paris. « J’ai la chance d’avoir une cave de 80 m2, explique le patron. J’ai 25 ans de métier. J’ai mis en place un monte-charge devant l’entrée pour éviter la manipulation des fûts, sécurisé les accès au stock et au local poubelles. » « Lorsque l’on va sur les sites, on fait le chemin de livraison de A à Z, reprend Naïma Ghaleb. Parfois, des travaux de mise en conformité sont nécessaires : installation de monte-charge électrique, remise aux normes des escaliers, etc. Tout le monde y gagne : nos salariés, ceux de notre client et de ses différents prestataires. »
France Boissons va jusqu’à faire découvrir à ses clients, qui bien souvent ne les connaissent pas, les aides financières proposées par la Cramif, qui l’accompagne dans cette action. Il faut s’adapter à chaque cas. Par exemple, pour un client installé au 7e étage, disposant d’un monte-charge trop étroit pour ses rolls, l’entreprise en a conçu de plus petits. Les chauffeurs sont également équipés d’un outil numérique grâce auquel, lorsqu’ils repèrent une situation contraignante, ils prennent une photo, qui servira de point de départ à un plan d’action.
« Dans le cadre des prospections commerciales, nous intégrons les conditions de livraison lors de la négociation, insiste Damien Chevalier, chef des ventes Grand-Paris chez France Boissons. Nous remplissons un protocole sécurité dans lequel nos commerciaux identifient les zones de danger sur l’ensemble du chemin du livreur, du lieu de stationnement du camion à l’entrée du point de vente et aux lieux de passage avec la marchandise. »
Si les conditions de descente en cave ne respectent pas la sécurité des chauffeurs, l’entreprise n’hésite pas à imposer la livraison en rez-de-chaussée. « Dans tous les cas, l’idée est d’être facilitateur. Que ce soit pour un contact avec la Cramif ou – j’ai eu le cas récemment – la mise en relation avec un électricien, par exemple, chez un client pour lequel le chauffeur nous avait signalé un risque lié à un accès dans le noir », ajoute Quentin Gatineau, également chef des ventes pour le Grand-Paris.
Aujourd’hui, France Boissons compte mettre à profit ses connaissances pour concevoir le nouvel entrepôt, qui remplacera à terme la plate-forme de Gennevilliers. L’entreprise prévoit en effet de quitter les locaux actuels qu’elle loue. « J’interviens en priorité sur les projets de nouvelles installations ou de nouveaux bâtiments afin de prendre en compte les activités futures et de réduire les contraintes, mais aussi à la demande sur des actions d’amélioration de l’ergonomie des postes de travail existants », explique Chloé de Guerpel, ergonome chez Heineken France. Le projet mise sur l’innovation, avec l’ambition de concevoir des postes accessibles à tous.
« Il y a la volonté de se diriger vers la mécanisation de tout ce qui relève de la manutention des fûts et des caisses de bouteilles, qui sont nos produits les plus lourds. Nous avons pour objectif “zéro fût manutentionné manuellement”, souligne Richard Pinkowski. C'est tout le schéma d’organisation qui doit être repensé pour obtenir un système permettant d’alléger les charges. Aujourd’hui, le secteur a des difficultés à recruter. L’image d’une plate-forme comme la nôtre est malheureusement associée au port de charges lourdes. Or nous savons travailler autrement. Cette nouvelle étape doit nous permettre d’accueillir de nouveaux profils, notamment des femmes, et d’être plus attractifs sur le marché de l’emploi. »