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Montage de spectacles

Les Nuits de Fourvière, un défi au temps

Les Nuits de Fourvière, c’est un festival qui se déroule chaque année à Lyon, dans un site gallo-romain chargé d’histoire et source de très nombreuses contraintes. En un mois, l’équipe technique transforme entièrement le lieu, en respectant les règles de sécurité auxquelles elle a réfléchi pendant l’hiver.

8 minutes de lecture
Delphine Vaudoux - 04/09/2023
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Un cadre magnifique, mais qui génère de nombreuses contraintes : le site gallo-romain de Lyon accueille chaque année le festival Les Nuits de Fourvière. Ainsi, de début mai à la mi-août, depuis 1946, l’amphithéâtre se transforme en l’une des plus importantes scènes festivalières d’Europe après un mois de montage de structures provisoires dans un total respect du lieu : aucun perçage ni déplacement ou modification du site. « On fait un état des lieux d’entrée, un à mifestival et un autre à la fin », précise Thomas Perier, régisseur général. À cela s’ajoutent les touristes qui déambulent au milieu des vieilles pierres et autour des structures du festival : scène principale, dite grand théâtre, scène secondaire, bar, mess, backline, loges et bureaux qui, pour l’occasion, sont délocalisés près de la scène… Une prouesse pour l’équipe technique qui n’a de cesse d’intervenir en sécurité.

En 2008, un arrêt de chantier, prononcé par l’inspection du travail, avait servi de point de départ à une démarche de prévention des risques professionnels. Mais en 2019, un accident du travail – une chute d’un toit – a bouleversé tout le monde. « On avait déjà engagé une réflexion avec la Carsat, précise Claire Fournier, assistante à la direction technique et chargée de prévention. Ça nous a mis un sacré coup, mais on a réussi à se relancer sur le sujet. » « Toute l’équipe veut faire progresser la prévention, souligne Marjorie Poupet-Renaud, contrôleuse de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes, qui a accompagné le festival avec un contrat de prévention. Notre aide a porté sur le montage/démontage des structures, les changements de décors, ou encore sur le travail au bar. C’est un travail conséquent, touchant beaucoup de personnes dont peu sont permanentes. »

Une nouvelle saison

28 avril, le coup d’envoi de la nouvelle saison est donné. L’équipe technique a convié dans ses locaux jouxtant le théâtre antique la douzaine d’intermittents encadrants, reconduits d’une année sur l’autre. « C’est parti ! », lance Thomas Perier. « On a travaillé tout l’hiver, et enfin vous êtes là », confirme Nicolas Faure, directeur technique. Autour de la table, l’équipe de fidèles comprend onze anciens, un « vrai » nouveau et deux faux nouveaux (deux personnes qui ont déjà travaillé pour le festival mais pas en tant qu’encadrants). La réunion a pour objectif de présenter le planning – le montage commence le 2 mai –, les intervenants et les lieux – le site gallo-romain, mais aussi une dizaine d’autres, avec une participation variable de l’équipe technique –, les formations du jour, les risques professionnels…

« Le festival est un marathon, vous allez avoir des moments de fatigue. Pensez à vous reposer. Parlez-vous, faites-nous remonter les problèmes… ne restez pas avec un petit problème en mai, car en juillet cela aboutit à un conflit », explique le directeur technique qui mentionne la possibilité de faire appel aux représentants du personnel. Puis il aborde le harcèlement, le sexisme mais aussi tout type de discrimination. « Je ne le supporterai pas », martèle-t-il. Un livret d’accueil comprenant les moyens d’alerte est à la disposition de chacun.

Thomas Perier passe en revue les chantiers menés cet hiver pour progresser en matière de prévention. « Vous en aviez identifié plusieurs, nous avons dû prioriser. » En effet, pendant l’hiver, certains ont été conviés à des réunions afin de prendre connaissance d’un audit mené par Valentin Blondin, du cabinet Alpes Contrôle, sur les chutes de hauteur : « Je cherche à apporter des méthodes du BTP dans le monde du spectacle », résume ce dernier. Pas si simple. Il a pris des photos pendant le montage et le démontage du dernier festival. L’équipe technique a échangé ensuite sur les solutions possibles, ainsi que sur leurs conséquences en matière d’organisation et de matériels.

Les formations occupent une large part de cette journée. Tous suivent celle sur le risque incendie délivrée par Stéphane Chaumat, qui connaît parfaitement les lieux et les contraintes puisqu’il est en charge de la sécurité du site. Les six électriciens se dirigent ensuite, pour une formation consignation-déconsignation, sous la scène antique dans les locaux techniques. Devant les armoires électriques, l’un d’entre eux lit à haute voix le brief écrit par le responsable, Fabrice Gonzalez. Celui-ci interroge chacun pour s’assurer que tout est compris et demande ensuite à l’un des participants de réaliser une consignation. Une discussion s’engage sur les moyens de communication, car, durant les spectacles, un électricien sera positionné en haut, près de la scène, et un autre restera dans le local, sous la scène.

À écouter aussi en podcast
La prévention des risques professionnels aux Nuits de Fourvière

Un peu plus loin, au lieu de stockage dit Jean-Moulin, car il jouxte le lycée du même nom, a lieu une formation sur la scie à panneaux. Dans ce magasin se trouvent l’ensemble des éléments servant d’une année sur l’autre : planches, chaises, potelets, caisses… la liste semble infinie. Cette caverne d’Ali Baba « sera vide pendant le festival », annonce le magasinier, Laurent Maurizio. Les racks acquis avec l’aide de la Carsat facilitent le stockage et la circulation dans les allées. « Avant, on ne pouvait avancer que de côté, en crabe, tellement les allées étaient étroites. Aujourd’hui, on a de la place », s’amuse-t-il. Un petit chariot, conçu en interne, va être utilisé à partir de cette année pour transporter les poteaux-rubans de 15 kg pièce et les cales des camions. Tout au fond du magasin, cinq machinistes se forment à l’utilisation de la scie acquise elle aussi avec l’aide de la caisse régionale.

Des réunions quotidiennes 

Mois de mai. Pendant tout le mois de montage, chaque matin, Thomas Perier réunit à 7 heures précises l’ensemble des intervenants : « Le retardataire paie les croissants, annonce-t-il. Une fois ça va, mais après, il arrive à l’heure ! » Car on est passé de 16 techniciens à 45. Il présente le planning, le travail de chacun, l’avancée des travaux… En dix jours, toutes les structures en bois ont été montées : planchers, backline côté jardin, mess côté cour, bureaux. Les éléments de bois sont numérotés, des codes couleurs permettent de se repérer. « On a aussi des photos et des plans », précise un menuisier. Deux échafaudages roulants sont utilisés : « Financés par la Carsat, ils sont indispensables compte tenu du nombre d’interventions en hauteur », remarque, satisfaite, Marjorie Poupet-Renaud.

Les toitures ont, pour la plupart, été mises en place avec des filets de sécurité pour éviter les chutes ; elles sont ensuite recouvertes de filets de camouflage pour les rendre peu visibles par le public. « C’est un gros travail, souligne Ibrahim, l’un des machinistes, d’autant qu’il faut les garder en état car on les récupère d’une année sur l’autre. Les échafaudages sont faciles à déplacer, malgré la complexité du site… Ils étaient vraiment fous, ces Romains. » « Certaines opérations, comme lorsqu’il s’agit de tirer un liner sur une structure provisoire, sont moins sécurisées, remarque Nicolas Faure. J’ai des idées d’amélioration, mais nous n’avons le site à disposition que quatre semaines avant le festival et chaque jour est compté. Pour réaliser le montage et les tests du prototype que j’ai en tête, il nous manque du temps. »

À quelques mètres de là, deux gardiens, vêtus d'un gilet fluo rouge, s’activent autour du premier semi-remorque de Scenetec, l’entreprise chargée du montage de la scène principale de 216 m2. En tant qu’entreprise extérieure, elle a bénéficié d’un plan de prévention. « Nous l’avons conviée, il y a un mois et demi, à une visite lors d'une réunion de chantier », remarque Stéphane Chaumat. Au fur et à mesure du déchargement des sept semi-remorques, la dizaine de monteurs se met à l’ouvrage. Ils monteront tout le week-end pour limiter la coactivité.

24 mai, le bar trône. Une partie de l’équipe de restauration réceptionne les vitrines sur roulettes, destinées aux sandwichs. Une fois qu'elles sont déballées, le responsable restauration est particulièrement mécontent de leur état. Il rappelle le fournisseur : « On est hyper vigilants sur l’hygiène, et vous nous livrez des vitrines dégueulasses ! » À l’arrière du bar, une ouverture – sorte de passe-plat – facilite l'approvisionnement du bar à partir de la zone de stockage.

Une vigilance constante 

Côté grande scène, Ben Levy, rigger, enfile un baudrier. « Je m’occupe de tout ce que l’on accroche et qu’on lève comme, aujourd’hui, la lumière de la scène. » Pour descendre le grill, qui supporte câbles et spots de la scène, il circule sur les poutrelles en s’attachant aux lignes de vie afin de décrocher les câbles. « Quand le grill est en bas, les électriciens n’ont plus de posture contraignante et de risque de chute », constate la contrôleuse. « Entre deux spectacles, la lumière peut changer radicalement, complète Thomas Perier. Il faut alors tout modifier sur le grill. »

De leur côté, Ibrahim Diaby et Gabriel Hess, des machinistes, sont chargés de monter (et démonter) le monte-charge, dit monte-fly, dans les gradins. Provisoire, il facilite l’installation des régies son et lumière. Il revient d’une vérification, car, il y a peu, une des élingues a cédé. Plus de peur que de mal, le stop-chute ayant fonctionné. Cette machine conçue sur mesure permet d’acheminer jusqu’à 500 kg de matériel tout en haut des gradins. « Une année, raconte Jean-Christophe Fayolle, le responsable lumière, ils n’ont pas pu monter les consoles tellement elles étaient lourdes. Elles sont restées en bas… mais l’année suivante, le prototype du monte-fly était testé. » Car une régie installée en bas, du fait de son encombrement, ce sont 200 places invendables.

30 mai, jour de générale. La troupe de Philippe Découflé a envahi les lieux. « On est prêts, lance Stéphane Chaumat. On jette juste un œil sur la météo, à cause des orages. » L’équipe d’accueil du public est briefée, tandis que les gardiens sont toujours autant sollicités. En fin de journée, Ryan Daigle et Julien Murbach, tous deux machinistes, font une tournée pour vérifier que les installations sont bien en ordre. Liste en main, ils vérifient l’état des toits, des ateliers, des toilettes, de l’affichage... Là, les outils ne sont pas rangés, ici ils repèrent une fuite ou un filet décroché. Mais, dans l’ensemble, ils sont satisfaits.

« Chaque soir, nous faisons cette tournée. » Pendant ce temps, la troupe de Découflé répète. « C’est tout bon », peut-on entendre. Le festival est lancé. Deux mois intenses pour l’équipe technique, omniprésente pour assurer le spectacle, dans l’ombre des artistes, avant de devoir tout démonter en deux semaines début août, et de réfléchir à nouveau, pendant l’hiver, sur la prévention des risques professionnels. Ils seront pour cela aidés par Claire Fournier qui va suivre cet hiver une formation « référente prévention » à la Carsat.

LES NUITS DE FOURVIÈRE

• Une scène principale dans un amphithéâtre de 4 400 places et une secondaire de 1 500 places.

• 170 000 spectateurs, et un site toujours ouvert aux touristes dans la journée.

• 150 spectacles pluridisciplinaires.

• 17 permanents, jusqu’à 350 intermittents.

• Un mois de montage, deux mois de spectacles, quinze jours de démontage.

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