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Les violences externes

Grenoble protège ses salariés des transports en commun

En Isère, M Tag est gestionnaire du réseau de transports en commun de l’agglomération grenobloise. Pour protéger ses conducteurs et contrôleurs des risques de violences externes, la société publique locale a mis en place différentes actions de prévention. Sa participation à une étude, en lien avec la Carsat Rhône-Alpes, devrait permettre de nouvelles avancées en la matière.

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Damien Larroque - 26/03/2024
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Vue d'un chauffeur au poste de conduite de son bus.

À Grenoble, en 2023, 80 millions de personnes ont emprunté les transports en commun. En moyenne quotidienne, cela représente plus de 219 000 voyageurs. Un flux important dont découlent attente et promiscuité qui engendrent des tensions pouvant elles-mêmes dégénérer en incivilités ou violences. Ces dernières peuvent survenir entre passagers comme être dirigées contre les conducteurs et contrôleurs. « De nos jours, un simple regard ou un frôlement d’épaule peuvent suffire à déclencher une agression. Quand j’ai commencé à travailler, il y a 20 ans, ce n’était pas comme ça », regrette Taoufik Bouhadda, conducteur à M Tag, l’exploitant des 19 lignes de bus et 5 lignes de tram de l’agglomération grenobloise qui emploie 1 400 personnes. Un constat amer, similaire à celui que font tous les professionnels en prise directe avec la population et les difficultés sociales actuelles, comme les soignants ou les enseignants.

SUPPRESSION DES HORAIRES

L’entreprise ayant identifié les retards comme un facteur déclencheur de violences, les horaires précis ont disparu des arrêts de bus au profit de fréquences de passage (toutes les 7 minutes, toutes les 10 minutes…). « C’est un bon exemple de prévention primaire qui est l’approche à privilégier », affirme Daniel Clément, contrôleur de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes.

Pour protéger les conducteurs, chacun des 267 bus de la M Tag est équipé d’une vitre anti-agression très résistante qui les met à l’abri des crachats comme des coups. « Quand un voyageur montre des signes d’énervement, il suffit d’appuyer sur un bouton pour que la vitre monte, explique Karim Amellal, lui aussi conducteur. Certains de nos collègues la laissent relevée en permanence, d’autres sont plus à l’aise sans. » « Ce n’est pas si courant de voir généralisé un tel dispositif, souligne Daniel Clément, contrôleur de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes. À Lyon, aucun bus n’en dispose. » Petit bémol, lorsqu’il fait nuit, la diffraction des phares des autres véhicules peut gêner la conduite. « Nous avons fait remonter l’info à la direction en demandant un traitement antireflet », précise Taoufik Bouhadda.

La vérification des titres de transport, une action délicate

Les cabines des trams étant fermées, les vitres anti-agression y seraient superflues. En revanche, les postes de conduite sont dotés, à l'instar de ceux des bus, de pédales d’alerte qui les mettent discrètement en contact audio avec le centre de régulation du réseau (PCC). « Si nous entendons des propos menaçants, des éclats de voix ou des cris, nous prévenons les forces de l’ordre, raconte David Audrapt, un régulateur. Puisque nous n’avons pas accès aux images de télésurveillance des véhicules en direct, les indices que nous transmettent les collègues, tout en évitant que l’agresseur ne se rende compte qu’il est sur écoute (“Que faites-vous avec ce couteau ?”, “Calmez-vous tous les trois !”…), sont précieux pour la police. »

TÉLÉSURVEILLANCE, OUTIL DE PRÉVENTION ET D’ENQUÊTE

Si elles peuvent dissuader certains usagers de faire la démonstration de leur énervement, les caméras qui capturent en continu ce qui se déroule dans les bus et les trams de Grenoble n’empêchent pas la survenue de violences. Les enregistrements, conservés pendant 7 jours par le service sûreté de M Tag, peuvent se révéler utiles pour confondre les agresseurs. « Le visionnage des vidéos est très encadré. Nous ne faisons des extractions que sur demande des forces de l’ordre ou en cas de plaintes d’usagers pour conduite dangereuse, par exemple, précise un agent du service sûreté qui préfère rester anonyme. Idem pour les images captées par les caméras portatives des agents de contrôle, information et prévention, que ceux-ci déclenchent lorsque la tension monte au cours de la vérification des tickets. » « Le simple fait d’annoncer que ça tourne a souvent pour conséquence de calmer la situation », note Georges Garcia, secrétaire de la CSSCT de M Tag.

Les contrôleurs, ou plus précisément les agents de contrôle, information et prévention (Acip), bénéficient eux aussi depuis leur radio d’un canal d’alerte prioritaire qui offre la possibilité au PCC d’entendre ce qu’il se passe sur le terrain. Car une grande part des agressions sont liées à la vérification des titres de transport. « Pendant un temps, il a été demandé aux chauffeurs de faire du contrôle. Mais cela a eu pour effet d’augmenter les altercations avec les usagers, se remémore Georges Garcia, secrétaire de la CSSCT de M Tag qui milite pour la mise en place d’une police des transports. Aujourd’hui, le mot d’ordre est de s’occuper du transport des passagers et d’assurer la vente des titres. » Quant aux Acip, il leur est demandé de ne pas insister lorsque le contrevenant devient trop virulent, afin d’éviter d’en venir aux mains. « Il peut être intéressant de faire le calcul du coût de la sécurité et de la réparation imposé par le contrôle, estime Daniel Clément. Il peut être plus rentable de rendre le réseau gratuit, comme à Dunkerque où cela a fait baisser les violences. »

Mieux connaître l’état de santé des conducteurs

Le terminus de la ligne de bus n° 12 illustre une autre bonne pratique pour éviter des tensions. La zone sur laquelle les chauffeurs garent leurs véhicules afin de prendre une pause avant de repartir est distincte du premier arrêt. Ainsi, les usagers n’essaient pas de monter dans le véhicule avant qu’il ne soit en service, ne râlent pas pour que le conducteur démarre… « Ce n’est pas le cas de tous les terminus, précise Taoufik Bouhadda. Ce serait bien d’étendre cette mesure qui est efficace. »

Vue du centre de régulation de M Tag.

« Ce pourrait être l’une des conclusions à laquelle aboutira l’étude à laquelle participe en ce moment M Tag, note Daniel Clément. Lancée dans le cadre du plan régional Santé au travail (PSTR 4) d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui désigne comme une priorité la prévention de l’usure professionnelle et le maintien dans l’emploi dans le secteur des transports urbains de voyageurs, elle vise à mieux connaître l’état de santé des conducteurs et à analyser les lignes. »

En caractérisant les itinéraires les plus difficiles, à la fois en termes de contraintes physiques (nombreux grands virages, dos d’âne, beaucoup d’arrêts) et de stress (grandes affluences, traversée de quartiers difficiles, début de ligne non-découplé du dernier arrêt…), il sera possible de concevoir un outil pour tracer des parcours cumulant moins de risques et concevoir un réseau plus sûr. « En associant cet outil à d’autres mesures organisationnelles que l’étude permettra de définir, comme l’augmentation des voies dédiées aux bus ou la mise en place de distributeurs de tickets sur les quais pour supprimer la vente dans les véhicules par exemple, il est évident que M Tag pourra réduire plus efficacement l’exposition de ses salariés aux violences externes », conclut Daniel Clément.

APRÈS UNE AGRESSION

« Quand un salarié est victime d’une agression, la CSSCT et/ou les RH lui propose un accompagnement psychologique et une aide juridique pour porter plainte, affirme Georges Garcia, secrétaire de la CSSCT de M Tag. En outre, une compensation financière complète celle de la Sécurité sociale en cas d’arrêt long. Enfin, s’il fait l’objet de menaces de représailles, le chauffeur peut aussi être changé de ligne. »

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