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Les violences externes

Quand un musée gère l’attente pour réduire les violences externes

Dans le IXe arrondissement de Paris, le musée Grévin et ses statues de cire à l’effigie de célébrités attirent des visiteurs du monde entier depuis la fin du XIXe siècle. Rançon du succès, la fréquentation élevée crée de longues files d’attente à l’origine de tensions dont les équipes de l’établissement font parfois les frais. Afin de prévenir ces violences externes, une réorganisation des flux, accompagnée de diverses actions, a drastiquement amélioré les conditions de travail.

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Delphine Vaudoux, Damien Larroque - 26/03/2024
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Vue du palais des mirages du musée Grévin.

« Vous voulez voir comment nous gérons les fortes affluences ? Venez jeudi, à 14 h 30, il devrait y avoir du monde… », nous a proposé Julien Jacquet, responsable des services opérationnels du musée Grévin, à Paris. Et, en effet, en ce début janvier, deux files d’une quarantaine de mètres s’étirent de part et d’autre de l’entrée du célèbre établissement de statues de cire. Dans la première, constituée de visiteurs ayant préalablement acheté leurs billets, l’attente est aujourd’hui estimée à trois quarts d’heure. Il faudra un peu plus de patience encore pour les personnes moins prévoyantes qui composent la seconde queue. « Cela peut monter jusqu’à 1 h 30 les jours les plus chargés », précise Valérie Amate, responsable des ressources humaines.

Ces longues minutes de patience sont propices à l’apparition de tensions dégénérant parfois en incivilités envers le personnel du musée, allant de l’insulte aux menaces, en passant par les propos sexistes, racistes ou homophobes. En 2019, des travaux visant à réorganiser et moderniser le parcours à travers le musée sont l’occasion de tout remettre à plat pour réduire l’exposition des salariés à ce type de comportements. « L’idée était d’identifier les irritants qui, en perturbant le cheminement et l’expérience des visiteurs, généraient des conduites agressives », explique Julien Jacquet.

LE MUSÉE GRÉVIN

Fondé en 1882, le musée Grévin, c’est 3 500 m2 d’exposition sur trois niveaux. Ses statues de cire représentant acteurs, sportifs, politiques, chanteurs, écrivains mais aussi youtubeurs et influenceurs ont attiré 900 000 curieux en 2022. Rénové en 2019, le nouveau parcours de visite, plus lisible et interactif (tablettes tactiles, déguisements, karaoké et danse), a donné un coup de jeune à l’établissement qui emploie 70 salariés plus des saisonniers aux périodes de forte affluence.

« Nous nous sommes basés sur les maquettes du projet de réfection du site, poursuit le responsable des services opérationnels. Nous avons bougé des éléments et réfléchi tous ensemble aux flux afin de trouver des solutions pour fluidifier les déplacements. » L'objectif étant de réduire l'attente le plus possible une fois entré dans le bâtiment. Aujourd’hui, dès l’arrivée dans le hall, les visiteurs sont dirigés soit vers les caisses, soit vers les vestiaires payants. Ces derniers qui, avant la rénovation, imposaient un retour en arrière, font aujourd’hui partie intégrante du parcours. « Il y a une entrée et une sortie donc plus de croisement, précise Valérie Amate. Et nous proposons, lors des fortes affluences, de garder les poussettes gratuitement pour décharger les parents et faciliter la progression dans le musée. »

Une implication de la direction

À partir de là, la magie commence à opérer… En haut d’un grand escalier de marbre, une porte s’ouvre sur le palais des mirages. Dans cette magnifique salle rococo, les jeux de lumière et la musique offrent un spectacle féerique aux visiteurs qui s’y engouffrent. Il s’agit d’une zone tampon permettant de former des groupes sans que les visiteurs n’aient le sentiment d’attendre. « On a pris le parti de faire entrer moins de monde à la fois, mais plus souvent, en réduisant légèrement la durée du spectacle, souligne Julien Jacquet. Avant, on mettait plus de 100 personnes dans le palais. Aujourd’hui, c’est 75-80 sans pour autant diminuer le nombre d’entrées quotidiennes qui tournent autour de 5 000 à 6 000 les journées les plus chargées. »

Une salariée du musée Grévin au contact du public à l'extérieur de l'établissement.

Conséquence de ces actions correctrices sur les flux, la gestion de l’éventuelle frustration des visiteurs est cantonnée à l’extérieur. Une mission pour laquelle des employés supplémentaires ont été engagés, signe d’une forte implication de la direction. Dans l’une des files d’attente, une salariée distribue des sucettes, des bonnets de Noël ou encore des ponchos, tandis que dans l’autre, un comédien amuse petits et grands. « C’est sympa, ça fait passer le temps ! », commente l’un des spectateurs. « Vous seriez venus hier, les deux files étaient rouges, car, lorsque le temps est à la pluie, nous prêtons des parapluies aux couleurs de Grévin », ajoute un agent d’accueil.

ATTENTION AUX BAD BUZZ

En dehors de l’attente prolongée, un autre facteur peut être générateur de violences externes. En effet, lorsqu’une personnalité se retrouve dépréciée dans l’opinion publique, certains visiteurs expriment leur mécontentement en dégradant son double de cire ou en prenant à partie les salariés du musée Grévin. « Vous n’avez pas honte d’exposer ce monstre ? Vous êtes complices de ses agissements ! Vous êtes ignobles ! » Voici le genre de propos, en réalité souvent bien plus fleuris, que les agents d’accueil doivent endurer. Ainsi, et par exemple, Pierre Palmade, Gérard Depardieu et Vladimir Poutine ne sont plus exposés. « Nous sommes très dépendants de l’actualité et il nous faut être réactifs, explique Julien Jacquet. Les réactions négatives de visiteurs vis-à-vis de statues sont immédiatement remontées au Codir afin de prendre rapidement la décision du retrait ou non, eu égard aux conséquences sur les conditions de travail de nos salariés. »

Autres moyens d’éviter les tensions : les billets coupe-file, qui généraient un sentiment d’injustice, ont été abandonnés. Il est en outre aujourd’hui possible de se faire rembourser son entrée si l’attente est trop longue (et que le visiteur doit prendre un train ensuite, par exemple). Détail qui a son importance, les tickets achetés en avance ne sont pas horodatés. « Ça évite les déceptions, justifie Julien Jacquet. Dans un autre monument de la capitale, vous pouvez attendre 3 heures malgré l’horaire indiqué sur votre sésame… » Enfin, en cas de très grosse affluence, la file « sans billet » peut être fermée. En 2023, cette décision a dû être prise à trente reprises.

Sortir les malotrus

Preuve de l’efficacité des actions menées par Grévin, si auparavant les incivilités pouvaient survenir cinquante fois dans une journée de haute fréquentation, aujourd’hui on en dénombre moins de dix. En dépit de toutes les précautions qui peuvent être prises, il y aura toujours des personnes pour s’agacer dans une file d’attente. Et certaines violences surviennent indépendamment de la fréquentation. Exemple : « Je refuse qu’un Arabe regarde dans mon sac ! » ou « Vous êtes une statue ou une vraie ? Je vais devoir toucher pour vérifier… » sont des paroles qui ont été réellement entendues.

« Nous sommes intransigeants avec ce genre de propos racistes ou libidineux, assène Julien Jacquet. Nous avons instauré une relation de confiance avec nos équipes. Elles savent qu’elles peuvent compter sur nous et que rien ne leur sera reproché. » Ainsi, l’encadrement est immédiatement alerté et les malotrus se voient interdire l’accès du musée ou sont raccompagnés à la sortie par un agent d’exploitation ou de sécurité. En cas de refus, la police est appelée. « Ce n’est arrivé que deux fois depuis 2018 », tempère Valérie Amate. 

SUIVI DES SALARIÉS

En complément de la panoplie d’actions de prévention mises en place pour prévenir les violences externes, le musée Grévin propose des formations à la gestion des incivilités à ses effectifs et organise le suivi de ses salariés victimes. Dès la survenue des faits, l’agent est retiré de son poste et remplacé par un collègue. Il est par la suite reçu par le service RH pour connaître son ressenti et son état d’esprit. Il peut lui être proposé une aide psychologique gratuite ou de se rapprocher du médecin du travail.

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