CHAQUE ANNÉE, la station de Gourette, dans les Pyrénées-Atlantiques, accueille pendant deux jours, les salariés de la saison hivernale (saisonniers). À chaque instant, les formateurs et la responsable prévention délivrent des messages de prévention pour que la saison se déroule dans les meilleures conditions de sécurité.
Le soleil et la neige sont au rendez-vous, à Gourette, dans les Pyrénées-Atlantiques, en cette mi-novembre. Un temps idéal pour s’adonner aux joies de la poudreuse. Sauf que la station de ski n’est pas encore ouverte et que c’est la première des deux journées d’accueil des salariés hivernaux de l’Epsa (établissement public station d’altitude) – société exploitante des domaines skiables de Gourette et de La Pierre-Saint-Martin ainsi que du train touristique de La Rhune, ce qui représente 170 équivalents temps plein. Une journée au cours de laquelle l’activité de chacun sera présentée, et que seront largement abordées la santé et la sécurité au travail.
9 h. Ils sont une bonne centaine de personnes à débarquer des cars affrétés par l’Epsa. « La grande majorité habite dans la vallée car nous ne pouvons pas les loger en station. Aujourd’hui, et pendant la saison, nous mettons à leurs disposition des cars, explique Sophie Fourcade, référente santé, sécurité, qualité de vie au travail de l’Epsa. Ça limite le flux de voitures et réduit le risque routier. » On se fait la bise, on s’interpelle… Certains se revoient pour la première fois depuis la saison précédente. « Nous avons environ 20 % de nouveaux, explique Renaud Lobry, le directeur général de l’Epsa. C’est beaucoup, car sur certains postes, nous avons besoin d’anciens pour former les nouveaux ou travailler en binôme. Notamment aux postes techniques, le personnel doit connaître à la fois le métier et le site, pour travailler en sécurité. »
Ils se retrouvent dans la salle de cinéma. Après un mot de bienvenue du directeur, des explications commerciales, la présentation de la stratégie QSE (qualité, sécurité, environnement) – qui s’appuie sur l’amélioration continue : planifier, faire, vérifier, réagir pour s’améliorer –, arrive le tour de Sophie Fourcade. Elle revient sur la démarche Master « Management de la santé au travail par l’écoute et la réponse ». Et présente, tableaux à l’appui, l’évolution de l’accidentologie de Gourette. Premier constat : la station pyrénéenne se trouve en milieu de classement des stations de ski hexagonales, selon le critère de l’accidentologie (taux de fréquence).
La démarche Master, initiée il y a deux ans, se déroule en deux temps. Elle s’appuie d’abord sur « l’écoute des salariés individuellement par leurs managers sous l’angle exclusif de la santé au travail, pour évaluer les risques et trouver des solutions ensemble », décrit Sophie Fourcade. Puis les salariés sont réunis tous les 15 jours en TMC (temps de management collectif) afin que chacun puisse savoir où en est la démarche et l’améliorer en continu. « Le TMC a lieu debout, n’excède pas les 20 minutes, et permet à chacun de remonter des situations dangereuses, de faire un point sur ce qui a été réalisé… », poursuit-elle.
L’an dernier, 41 managers de l’Epsa ont été formés à la démarche et, en 2019, 461 situations ont été signalées. 62 actions ont été menées pour l’instant sur les 154 prévues cette année. Exemple : un enrochement pour réduire les chutes, des achats de dispositifs d’accroche spécifiques pour les opérations de maintenance sur téléski, l’acquisition d’un dispositif d’évacuation autonome… Parmi les actions à venir, sont prévus l’achat de micros déportés permettant un appel radio en dehors de la dameuse ; la mise à la disposition des pisteurs de fascicules 10 règles du skieur pour aider à prévenir les comportements dangereux sur les pistes… « Cette démarche a servi de levier pour faire progresser des managers de proximité vers un management plus participatif et plus collectif, au bénéfice de la performance de l’entreprise », estime Sophie Fourcade.
La centaine de nouveaux embauchés sont ensuite répartis en petits groupes. Le groupe « billetterie » est réuni à l’office du tourisme. Claude Weiss, responsable commercial, prend la parole : « Vous serez la première, et parfois l’unique, personne que le client rencontrera. N’oubliez pas le SBAM (sourire, bonjour, au revoir, merci), mais surtout, personnalisez la relation client. Et n’ayez pas le nez sur votre écran : je préfère une bonne relation client, avec un euro d’erreur de caisse (pas tous les jours !) plutôt que zéro erreur de caisse et une personne qui tire la gueule toute la journée. »
Puis il aborde la question des conflits et assure que beaucoup de litiges étaient dus à des problèmes de tarifs qui ont été retravaillés. « Et dites-vous que le client n’en a jamais contre vous, précise-t-il. C’est à la station et à l’environnement qu’il en veut. N’en faites pas une affaire personnelle. » En cas de dérapage, il incite le personnel à passer la main à une tierce personne. Voire d’envoyer le client mécontent au PIDS, point information domaine skiable, un lieu d’accueil plus agréable qu’une caisse…
Des voltigeurs autonomes
Direction ensuite le télésiège, pour une démonstration d’évacuation réalisée par Philippe Courouau et Philippe Soumassierre, responsables d’équipes remontées mécaniques. Ils présentent deux sacs jaunes, prêts pour l’évacuation. « Après chaque exercice ou chaque intervention, le sac est vérifié : il doit être complet pour servir, en cas d’urgence », explique Philippe Soumassierre. Tous deux sont formateurs pour les travaux en hauteur, l'évacuation et l'utilisation de ce nouveau matériel d’évacuation autonome. « La législation dit qu’il ne faut pas que le client soit immobilisé sur le télésiège plus de 3 h, remarque Sophie Fourcade. Il faut agir vite, sans mettre en danger notre personnel. »
Jusqu’à présent, les équipes disposaient de « roulettes commando ». Du matériel relativement simple, mais qui nécessitait deux personnes : une au sol, l’assureur, et l’autre accrochée au câble pour faire descendre les clients en difficulté, le voltigeur. « Cela impliquait que l’assureur suive le voltigeur, quels que soient l’état et le dénivelé du terrain… Ce qui pouvait s’avérer compliqué voire dangereux dans certains endroits de la station », explique Grâce Arguelles, contrôleur de sécurité à la Carsat Aquitaine. Avec le nouveau matériel, une seule personne suffit. Car le voltigeur devient autonome.
Philippe Courouau s’équipe, tout en expliquant que le nouveau matériel est nettement moins lourd que la roulette commando et les cordes très longues que devaient prendre les deux intervenants. Il enfile un baudrier, vérifie ses deux points d’attache (ventral et sternal) et part sur le pylône le plus proche du siège à secourir. Il se décroche et s’accroche plusieurs fois avant de descendre sous le câble, à l’aide d’une échelle de corde. Il desserre ensuite le frein homme mort et se déplace à 1,8 m/s. Avec ce système, le sauvetage est rapide. La station en a acheté deux, avec l’aide financière de la Carsat Aquitaine, deux autres le seront l’an prochain. Dix personnes ont déjà suivi une formation de 8 h pour l’utiliser en toute sécurité.
Autre sujet, en station, l’ambiance est souvent festive, le soir. Mais pas question pour Sophie Fourcade d’avoir des personnes à leur poste sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiant, « d’autant que nous transportons des personnes ». Tolérance zéro. Chaque jour, des tests de détection sont réalisés de façon aléatoire. Cela figure au règlement intérieur. S’ils s’avèrent positifs ? « On discute avec la personne, on lui explique les risques et on l’incite à aller voir le médecin du travail. En cas de récidive, c’est le licenciement », tranche Sophie Fourcade.
Dans le bâtiment de la maintenance, situé près des pistes, un groupe se rend au « magasin » et se voit remettre pour la saison un casque de ski, une veste, une sous-veste, un pantalon, orange pour le personnel des pistes, bleu pour les autres. Ils font partie des EPI indispensables en plus des sangles de sécurité (leash) pour les motoneiges, des skis ou snow-board fournis par l’entreprise pour les déplacements à ski… « Les accidents à ski sont les plus nombreux, insiste Sophie Fourcade. En 2019, on a enregistré un taux de fréquence de ces accidents de 20,21, en baisse par rapport aux années précédentes. »
Les personnes se déplaçant à ski doivent utiliser le matériel fourni par la station. Il y a quelques années, l’Epsa donnait une prime aux salariés pour qu’ils s’achètent des skis, mais ils n’investissaient pas. Dans un deuxième temps, l’entreprise a acheté des skis milieu de gamme. Mais très vite, le personnel a réclamé des skis haut de gamme, que l’Epsa a achetés. « Le nombre d’accidents a littéralement explosé » , se souvient Sophie Fourcade. Du coup, retour aux skis milieu de gamme car « un bon skieur saura toujours bien skier, mais un skieur moyen peut être en difficulté avec des skis trop haut de gamme », explique la référente. « Ça fait deux ans que je skie avec ça, indique une personne des remontées mécaniques, et ça me convient. » Pour le personnel des pistes, les skis sont renouvelés tous les 2 ans, pour celui des remontées mécaniques, tous les 3-4 ans. De plus, l’Epsa organise sa propre évaluation du niveau de ski de chacun, pour l’affecter au bon poste.
Au-dessus de nos têtes passe un hélicoptère. Avant l’ouverture de la station au public, il doit replacer deux « Obell’x » à des endroits stratégiques. Il s’agit de deux bonbonnes de gaz, permettant de déclencher, tout au long de la saison, des avalanches à distance. « Cela évite aux artificiers de prendre des risques, remarque Grâce Arguelles : ils ne montent plus dans de mauvaises conditions météo pour déclencher les avalanches. »
Juste à côté du bâtiment de la maintenance, on devine sous la neige le tapis de ski « Lièvre ». Philippe Soumassierre explique que cet équipement, qui permet aux jeunes enfants de remonter les pistes, a été mis aux normes il y a deux ans (voir à ce sujet l’article « Tapis de ski. Trois ans pour se mettre en conformité », Travail & Sécurité n° 801, janvier 2019) : désormais, s’il doit remettre le tapis en mouvement en étant dans la fosse, l’intervenant tiendra enfoncé le bouton de la télécommande déportée. De façon à pouvoir l'arrêter lui-même. L’an prochain, le conseil départemental devrait remplacer cet équipement par un tapis couvert, pour limiter les opérations de déneigement, à l’origine d’accidents.
Dernière formation de la journée pour les pisteurs : la recherche de victimes en cas d’avalanche. Cet exercice d’utilisation d’appareils de détection vise à retrouver rapidement des personnes prises sous une coulée. Tous sont formés à cette intervention, mais ils doivent suivre un recyclage chaque année. Paolo Willmann-Rosso se prête au jeu. Un de ses collègues a caché l’émetteur sous la neige. Il déplie sa sonde et met en marche le signal de recherche de son appareil. « Il faut faire des zigzags et affiner en fonction de la rapidité des signaux émis », explique-t-il. Très vite, il retrouve l’émetteur. En formation de pisteur niveau 1, il faut retrouver deux personnes ensevelies sur 50 m de dénivelé en moins de 3 minutes. « On court comme des fous ! », explique Paolo. Des études montrent que si une personne reste plus de 18 minutes sous une avalanche, ses chances de survie sont minimes. « Dès qu’ils peuvent, ils s’entraînent tout au long de la saison », commente Laurent Alfonso, responsable du service des pistes. La station est ouverte depuis le 30 novembre. ■
Delphine Vaudoux