Ce site est édité par l'INRS
Le réemploi des déchets de production

Des excréments pour chauffer le zoo

Depuis 2014, le ZooParc de Beauval, dans le Loir-et-Cher, recycle le fumier produit par les 35 000 animaux du site, dans sa propre unité de méthanisation. Une activité qui génère des risques spécifiques – incendie-explosion, gaz toxique, travailleur isolé… –, bien gérés depuis la conception.

5 minutes de lecture
Corinne Soulay - 14/02/2023
Lien copié
Deux employés du zoo de Beauval nettoient l'enclos des hippopotames.

Avec deux millions de visiteurs en 2022, le ZooParc de Beauval, à Saint-Aignan (Loir-et-Cher), se porte bien. Les clés de ce succès ? 35 000 animaux – soit 800 espèces – dont des jumelles pandas de 18 mois, stars des réseaux sociaux… Mais, accueillir cette Arche de Noé a une contrepartie : des milliers de tonnes d’excréments. Pour valoriser ces déchets, l’établissement s’est doté, dès 2014, d’une unité de méthanisation. « Nous récupérons, par an, 4 000 t de fumiers, mais aussi des déchets verts, non ligneux, du parc, et les huiles de friture de nos 18 restaurants, explique Cédric Joie, en charge du site de transformation. À cela s’ajoutent 3 000 t de fumiers et lisiers fournis par des agriculteurs et 3 000 t de matières provenant d’usines agroalimentaires, comme les résidus de pâtes d’une biscuiterie ou le vinaigre d’une fabrique de cornichons… Soit 10 000 t de déchets en tout. »

Chaque jour, en fonction des arrivées, une partie de ces matières est incorporée dans une première cuve en béton, recouverte d’une membrane hermétique : le digesteur. À l’intérieur, le milieu, chauffé à 40 °C et privé d’oxygène, favorise le développement de bactéries qui dégradent les déchets et produisent un mélange de gaz (méthane, dioxyde de carbone…). Le digestat (matière digérée) et le biogaz restent en moyenne 60 jours dans cette première cuve avant d’être progressivement transférés dans une seconde, où ils reposent à nouveau pendant environ un mois.

Le biogaz obtenu alimente un moteur de cogénération qui produit à la fois de l’électricité – rachetée par EDF et réinjectée dans le réseau – et de la chaleur, destinée aux serres des éléphants et des gorilles. « Quant au digestat, il est séparé en une partie solide et une liquide qui servent d’engrais aux agriculteurs », précise Cédric Joie. « Cette activité induit des risques, en particulier d’explosion, dus au méthane, très inflammable », complète Karine Aupère, la responsable du service santé et sécurité au travail (SST).

Montrer patte blanche

« Des crottes de pandas pour chauffer le ZooParc », résume une pancarte à l’entrée de l’unité de méthanisation. Passée la boutade, des pictogrammes – interdiction de fumer, de faire du feu… – enjoignent à la prudence et un plan indique les zones où des atmosphères explosives (Atex) sont présentes. Des mesures de sécurité ont été mises en place dès la conception : l’installation, entièrement clôturée, est située à distance des habitations ou locaux à fort potentiel calorifique. Le site, d’une superficie d’un hectare, est le fief de Cédric Joie ou, lorsqu’il est en congé, de son remplaçant Kévin Fauchon. Pour y entrer, il faut donc avoir son autorisation et, une fois dans la zone, emprunter le chemin délimité séparant les flux engins-piétons. « C’est indispensable car différents véhicules transitent ici : les camions des agriculteurs, ceux des soigneurs… », détaille Karine Aupère.

Au centre du site trône la salle de contrôle où le responsable passe un tiers de son temps : « J’ai accès, par ordinateur, à des données de sécurité à toutes les étapes du process : taux de remplissage du digesteur, pression, température, concentration en différents gaz… » Il se livre aussi à une ronde quotidienne pour vérifier les installations. Parmi elles, l’unité de cogénération, un local fermé et isolé phoniquement. Équipé d’un casque anti-bruit, Kévin procède à plusieurs contrôles (niveau d’huile, température…), avant de reprendre son chemin.

Un salarié près de la fosse d'alimentation du méthaniseur.

Accrochés à sa veste, deux appareils ne le quittent pas : un talkie-walkie équipé d’un dispositif « homme mort », fortement recommandé pour un travailleur isolé – en cas de perte de verticalité, signe potentiel de malaise, celui-ci contacte automatiquement le PC sécurité –, et un détecteur de gaz qui indique les taux d’oxygène, de dioxyde de carbone et de sulfure d’hydrogène, un gaz toxique émis lors de la fermentation de matière organique. À proximité de la préfosse à ciel ouvert, où les intrants sont broyés et mélangés avant d’être injectés dans le digesteur, l’odeur caractéristique d’œuf pourri du sulfure d’hydrogène saute aux narines. À forte concentration, ce gaz est mortel. Par ailleurs, à proximitié des bassins, les risques de chute et de noyade sont présents. Sur le site, tous les accès en hauteur et les fosses sont ainsi sécurisés par des barrières ou garde-corps.

Un ramassage sécurisé

Concernant les zones Atex, Cédric Joie et son remplaçant ont reçu une formation et les installations intègrent des dispositifs de sécurité. En témoigne la fine cheminée qui s’élève au-dessus de la cuve. « C’est une soupape qui permet d’évacuer le méthane en cas de surpression », précise Kévin. « Et pour les interventions qui nécessitent de débâcher le digesteur, comme le curage ou le changement de pièce, nous faisons appel à du personnel qualifié », insiste Cédric Joie.

LA PRÉVENTION SE STRUCTURE

Responsable du service SST depuis 2021, Karine Aupère s’est entourée de trois animateurs prévention, chacun responsable d’un secteur du parc : animalier, hôtellerie-restauration et technique. « Entre les soigneurs, les vétérinaires, mais aussi les électriciens, les maçons, les vendeurs, le service marketing…, le ZooParc emploie 600 personnes – 1 200 en été –, ce qui représente 80 métiers différents avec des contraintes spécifiques, d’où l’importance d’avoir des référents adaptés », précise-t-elle. Régulièrement, des points sécurité sont organisés sur des thématiques particulières (protection des mains, risque chimique…). « Parmi les risques principaux, on retrouve ceux liés à la coactivité et tous ceux associés à la faune, précise la responsable du service SST : par exemple, lors de la conception des enclos, nous devons à la fois concilier les besoins des animaux – des sols souvent escarpés et irréguliers – et la sécurité des hommes en limitant les risques de chute de plain-pied. »

Une fois les contrôles terminés, Kévin s’attelle à alimenter le digesteur. À bord de sa pelle mécanique, il charge le fumier amoncelé sur l’aire de stockage des intrants, installée à l’air libre, et le déverse, grâce au bras télescopique, dans une trémie reliée à la préfosse, où il séjournera quelques heures avant de rejoindre le digesteur. Environ 30 tonnes de matières entrent et sortent des cuves chaque jour. Une opération rendue possible par le travail des soigneurs, qui récupèrent quotidiennement les déjections et le foin souillé des animaux du zoo.

De fait, toute la matinée, ceux-ci se succèdent, au volant de mini-tombereaux, pour déposer le fruit de leur récolte. « Pour limiter les manutentions manuelles dans les box des animaux, certains disposent d’une mini-pelle à chenille », remarque Karine Aupère. Pour les autres, comme dans le secteur des hippopotames, le travail se fait à la pelle, mais toujours à deux, pour partager l’effort. Les soigneurs suivent en outre des procédures de sécurité pour éviter les accidents avec les animaux. « Nous vérifions qu’aucun hippopotame ne se trouve dans le box, et, les enclos communiquant entre eux, on ne commence pas le nettoyage sans s’assurer que les targettes sont enclenchées et les cadenas fermés », explique Alexandre Dupin, un soigneur. Le sol récuré, cap sur l’unité de méthanisation pour déposer les 100 kg de fumier récupérés. Et le cercle vertueux du recyclage peut recommencer…

AVIS D'EXPERT

Florian Marc, expert d'assistance-conseil risque incendie et explosion à l'INRS

« Une zone Atex (atmosphère explosive) se caractérise  par la présence d’un combustible – poussière, vapeur  ou gaz – en suspension dans l’air qui peut exploser,  lorsque la concentration est suffisante, en présence  d’une source d’inflammation. La réglementation impose  à l’employeur d’évaluer les risques, de cartographier  les zones dangereuses, de prévoir des mesures de prévention et de protection, et de consigner cela dans le DRPCE (document relatif à la protection contre les explosions) annexé au document unique. En plus des traditionnelles mesures permettant de réduire l’Atex, les installations doivent être pourvues de systèmes de protection (évent d’explosion…) et tous les équipements, électriques ou non, susceptibles  de constituer une source d’inflammation, doivent être placés hors de la zone quand c’est possible, ou être certifiés Atex. Pour les salariés qui travaillent dans ces zones, une formation est obligatoire. Mais il est important que les services connexes (maintenance, achats…) soient aussi sensibilisés. »

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Le réemploi des déchets de production

Sur le même sujet