Ce site est édité par l'INRS
Le réemploi des déchets de production

L’anticipation, maître-mot pour limiter les risques

Depuis quatre ans, les travaux de la ZAC Bastide-Niel, sur la rive droite de Bordeaux, privilégient la dépollution ciblée et la revalorisation des sols existants. Les études et analyses menées en amont permettent de limiter de nombreux risques.

5 minutes de lecture
Gaëlle Ginibrière - 14/02/2023
Lien copié
Vue du chantier de la ZAC Bastide-Niel.

En périphérie de la ZAC Bastide-Niel, à Bordeaux, en Gironde, des immeubles sont en cours de construction, tandis que, plus au cœur du futur quartier qui accueillera 10 000 habitants, des écoles et des entreprises, des terrains sont en voie de viabilisation. Sur l’une des parcelles, des stocks de terre de 200 m3 jouxtent un chantier de réseaux d’assainissement. « C’est une zone où nous stockons tous les matériaux que nous avons décaissés. Certains viennent d’être prélevés pour analyse par notre laboratoire. D’autres sont déjà étiquetés et prêts à être utilisés, selon leur nature, pour des remblais de tranchée, en enrobage de tuyaux ou en constitution des couches de forme des voiries publiques », explique Thomas Villesange, chef de secteur pour l’entreprise de voirie et réseaux Moter.

Le choix de Bordeaux Métropole Aménagement (BMA), la société anonyme d’économie mixte locale en charge de l’aménagement, a en effet été de privilégier la dépollution ciblée et la revalorisation sur site des sols existants. Sur les 35 hectares de la ZAC, 25 correspondent à une friche ferroviaire. La pollution des sols générée par l’ancienne activité s’est superposée à une pollution provenant de résidus de hauts fourneaux utilisés il y a plus de 100 ans pour remblayer les terrains de la rive droite de la Garonne, constitués alors d’anciens marécages.

La terre a dû être creusée jusqu’à 1,5 m de profondeur. Plutôt que de l’évacuer, elle est traitée, si nécessaire, et réutilisée sur site. « Les matériaux naturels et pollués, inertes et non inertes, sont réemployés en fonction d’une gestion des risques et de l’adaptation aux usages d’aménagement. Les matériaux pollués entrent quant à eux dans la catégorie des risques chimiques. Concernant la pollution des sols, les risques environnementaux ont été anticipés et pris en compte dès la réalisation des études préalables. Sur ce chantier d’aménagement de ZAC, il y a aussi une gestion du risque chimique pour les salariés en contact des terres polluées  », commente Marc Kimel, contrôleur à la Carsat Aquitaine.

50 000 m3 de matériaux récupérés et réutilisés depuis le début du chantier. Parmi eux, 90% des enrobés existants sont réemployés.

D’ores et déjà, 1 200 m2 de pavés Napoléon ont été trouvés, lavés et stockés, avant de leur trouver un usage. 7 000 tonnes de ballast ont également été récupérées, nettoyées puis criblées avant réutilisation. Les traverses des voies ferrées ont quant à elle été traitées dans une filière externe par désorption thermique, permettant d’extraire les polluants, puis recyclées en copeaux de bois. Les massifs de béton récupérés par l’entreprise Moter seront, eux, concassés dans un atelier de recyclage externe qui dispose d’un concasseur fixe. « À cette étape, il y a un risque lié à l’exposition aux poussières alvéolaires de silice cristalline qui doit être maîtrisée lors du concassage  », fait observer Marc Kimel.

Des notices d’hygiène et de sécurité

Identifier en amont la nature des sols a donc été primordial. « Une étude historique des activités précédentes a été menée, plus de 200 sondages et plusieurs dizaines de carottages et analyse chimique ont été entrepris pour identifier les pollutions et anticiper les risques », détaille Joël Davril, directeur technique de BMA. Pour ce faire, l’aménageur s’est associé les services de la société ArcaGée, spécialisée dans l’expertise et le conseil opérationnel en intelligence et décision environnementales. D’abord comme assistant à maîtrise d’ouvrage, puis intégré dès la deuxième tranche de travaux à l’équipe de maîtrise d’œuvre technique des espaces publics de la ZAC.

100 000 tonnes de matériaux valorisés, soit l'équivalent de 4000 camions qui auraient été nécessaires pour évacuer ces matériaux et autant pour fournir des matériaux neufs.

« Dès la conception, notre approche des sites et sols pollués a été intégrée dans le plan de gestion “pollution” des voiries et espaces publics, qui définit dans les grandes lignes les matériaux à réutiliser et l’usage qui peut en être fait. Pour chaque îlot, une déclinaison opérationnelle est proposée, avec une description de chaque parcelle et des recommandations selon les zones et la nature des matériaux, ainsi que des notices d’hygiène et de sécurité », précise Thierry Mauboussin, dirigeant d’ArcaGée. Pour plus de pédagogie et cibler l’intégralité des intervenants, les recommandations en matière de dépollution des sols sont répétées dans divers documents, eux-mêmes annexés à l’acte de vente. « Une démarche exemplaire pour éviter toute une série de risques », souligne Marc Kimel.

Un engin procède à la dépollution du sol du chantier.

Des critères très techniques de dépollution ont d’ailleurs été intégrés dans le cadre de la consultation d’entreprises. « Ils représentent une part importante de la note technique », souligne Joël Davril. Pour Marc Kimel, le suivi très pointilleux du chantier réalisé par le maître d’ouvrage exclut également des démarches qui ne seraient vertueuses qu’en théorie, sans être appliquées sur le terrain.

7 000 tonnes de ballast récupérées, dont plus de 80% réutilisables. Les fines de ballast issues de criblage, dans le cadre d'une expérience agronomique grandeur réelle sur la ZAC, ont été mélangées à de l'argile et du compost et réutilisées sur site en substitution de la terre végétale dans les fosses de plantations arbustives.

Une cartographie précise de la nature des sols réutilisés, concernant notamment les matériaux non inertes mis en œuvre à grande profondeur dans les emprises des voiries publiques, fournira par ailleurs un outil précieux aux services de la métropole de Bordeaux, lors de leurs opérations de maintenance prévisible à venir. Cette nécessité d’anticiper, dès la conception, la sécurité de futures opérations de maintenance a également concerné le travail en hauteur, notamment sur les toits à 45 ° conçus pour donner de la lumière à tous les étages malgré l’étroitesse des futures rues.

Certaines de ces artères se dessinent d’ailleurs déjà à travers les différents îlots. « Ces routes existantes sont provisoires, mais ont permis d’établir un plan de circulation, quasiment partout à sens unique, qui évite nombre de risques liés aux flux de transport », relève Marc Kimel. La réutilisation des matériaux sur site a aussi évité la circulation de plusieurs milliers de camions qui, sans cela, auraient évacué les matériaux décaissés et seraient arrivés chargés de matériaux d’apport. 

L'AVIS DE…

Thierry Mauboussin, dirigeant d’ArcaGée, cabinet d’expertise et de conseil opérationnel en intelligence et décision environnementales

« Nous distinguons les pollutions génériques et spécifiques. Les premières sont présentes dans tous les sols des bords de Garonne et correspondent à d’anciens résidus de combustion et métaux, incorporés aux remblais historiques d’aménagement. Nos analyses ont permis d’identifier leur localisation et les notices hygiène et sécurité les mentionnent. Les secondes sont liées à des activités industrielles (cuves de fioul, blanchisseries…). Elles nécessitent l’utilisation d’équipements de protection collective puis individuelle. Nous accompagnons les entreprises dans les mesures simples de protection si la surface de pollution est très limitée et nous avons mis en place une procédure d’alerte qui nous permet de nous rendre sur place très rapidement. Sinon, nous faisons intervenir une entreprise spécialisée dans la dépollution, avec des gens formés et qui bénéficient d’un suivi médical adapté. »

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Le réemploi des déchets de production

Sur le même sujet