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Le réemploi des déchets de production

Quand les rebuts deviennent une ressource

Ils sont communément nommés déchets, mais, réinjectés dans des circuits de production, ils peuvent devenir nouvelle matière première. Les rebuts de procédés de transformation de matériaux sont de plus en plus utilisés comme une ressource, et des entreprises réussissent même à recycler leurs propres déchets. Des bonnes pratiques sur le plan environnemental et d’un point de vue économique qui ne sont pas sans poser à ces structures de nouvelles questions en matière de santé et sécurité au travail.

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Céline Ravallec, Gaëlle Ginibrière, Corinne Soulay - 14/02/2023
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Matériaux excavés sur le chantier de la ZAC Bastide-Niel.

« Le recyclage de la matière présente de multiples atouts : en évitant l’extraction et la transformation inutiles de ressources naturelles, il réduit la consommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre et les autres impacts environnementaux des filières industrielles. » L’Ademe, Agence de la transition écologique, affiche clairement les avantages pour une entreprise de réduire ses déchets de production, soit en réinjectant dans sa propre production ses rebuts, pièces non conformes ou coproduits – en tant que matières premières de recyclage (MPR) –, soit en exploitant cette matière pour de nouveaux usages.

Sur un plan économique, cela présente l’avantage de réduire les coûts d’achat de matières premières et, sur un plan environnemental, celui de diminuer le recours à des ressources naturelles. À titre d’exemple, les drèches, résidus de céréales issus du processus de fabrication de la bière, constituent un déchet pour les brasseurs, mais peuvent être exploitées comme base pour fabriquer des aliments (biscuits, pain, pâtes, barres de céréales…), des produits cosmétiques, ou des aliments pour animaux. Elles peuvent aussi servir de substrats de culture pour champignons, de biocarburants ou encore être transformées en éléments de mobilier comme des tabourets. Une entreprise japonaise s’est même lancée dans la fabrication de jeans à partir de drèches.

Ces pratiques de réemploi et d’« upcycling » peuvent se rencontrer dans de multiples secteurs d’activité. Dans la plasturgie ou la boulangerie, réinjecter de la matière première dans la production est déjà répandue. Par exemple, les chutes de pâtes des boulangers peuvent être réacheminées vers les pétrins pour être incorporées à une nouvelle fabrication. Dans l’agroalimentaire, il n’est pas rare de voir des entreprises se doter d’une unité de méthanisation alimentée par des biodéchets issus de leur production. Le biogaz obtenu aboutit ensuite à la production d’électricité, de chaleur ou d’engrais. Dans les travaux publics, les grands groupes s’orientent de plus en plus vers du réemploi de matériaux in situ.

UNE ÉCONOMIE CIRCULAIRE ET VERTUEUSE

L’économie circulaire est un modèle économique qui consiste à limiter le gaspillage des ressources et à réduire la part des déchets produits lors de la fabrication des biens et des services. Pour atteindre ces objectifs, il faut donc réduire l’utilisation des matières premières et énergies en augmentant la part du réemploi, du recyclage, puis de la valorisation – matière et énergétique – des déchets. À toutes les étapes de la vie d’un produit, un réemploi ou un recyclage peut être envisagé. Au final, n’est plus que déchet la fraction non valorisable, la forme ultime des matières dont rien ne peut être exploité dans les conditions techniques et économiques du moment, et qui peuvent s’avérer toxiques. La loi Agec (anti-gaspillage pour une économie circulaire), adoptée en février 2020, vise à lutter contre le gaspillage et l’obsolescence programmée, à favoriser le réemploi ou encore incite à aller vers plus de réparation, réutilisation et écoconception des produits.

« La question de la collecte et de la gestion des déchets est déjà bien intégrée dans les pratiques des entreprises, grâce notamment au principe de responsabilité élargie des producteurs (REP), explique Anita Romero-Hariot, experte d’assistance-conseil à l’INRS. Les entreprises concernées doivent mettre en place le tri cinq flux – verre, papier-carton, bois, métaux, plastiques – auxquels s’ajoutent deux flux pour le secteur du BTP – plâtres et fractions minérales, et bientôt les textiles. » Les entreprises peuvent se limiter à cette mission de tri en amont, et confier leurs déchets à des prestataires externes. Des filières professionnelles s’organisent en créant des éco-organismes dédiés selon la nature des déchets à collecter. Mais, certaines entreprises décident de prendre elles-mêmes en charge, en interne, une partie des déchets qu’elles produisent.

Redonner vie aux déchets

S’orienter vers de telles pratiques constitue des sources d’économies, en optimisant l’organisation et les procédés, et en réduisant le recours à des matières premières vierges. C’est aussi un bon moyen de rentabiliser une installation existante. Par exemple dans le cas des menuiseries qui récupèrent les copeaux et poussières de bois à partir de leur système d’aspiration centralisée pour ensuite utiliser ces résidus dans leur système de chauffage : « Cela présente une double vertu, en cherchant à capter le plus de poussières dans l’atelier, en optimisant l’installation et en rentabilisant le contenu des rejets », commente Éric Silvente, expert d’assistance-conseil à l’INRS.

« Quand on voit des entreprises qui se fixent comme objectif de baisser de 10 % leur facture énergétique, et qui ont entre les mains de la matière à valoriser en l’exploitant différemment – par exemple, les eaux de cuisson dans l’agroalimentaire sont jetées à l’égout alors que les calories pourraient être récupérées pour chauffer les bâtiments –, on constate qu’il y a une bonne marge de progrès », observe Cyril Joubert, ingénieur ergonome chez Novergo, un cabinet de conseil en conception et aménagement des postes et situations de travail.

De telles initiatives réduisent également l’empreinte environnementale de l’activité, et participent à l’image de l’entreprise. Du fait de la préoccupation croissante des questions écologiques, une telle approche peut également atténuer une préoccupation qui se développe chez certains : le conflit éthique environnemental au travail, à savoir la conscience écologique de certains salariés qui peut être mise à mal, voire se trouver en contradiction avec les pratiques de leur entreprise.

Conseils et accompagnement

Ces nouveaux modes d’exploitation des déchets entraînent de nouvelles activités, avec de nouveaux flux, de nouveaux process, de nouvelles tâches, parfois la création de nouveaux postes ou l’emploi de nouvelles machines dans les entreprises. Cela peut donc générer l’apparition de nouveaux risques professionnels : manutentions, gestion des flux, risque chimique, risque machine, risque routier, nuisances sonores, troubles musculosquelettiques... qui doivent être évalués. Il est important de faire cette évaluation dès qu’un tel projet commence à voir le jour au sein d’une entreprise. Et ce d’autant plus qu’il ne s’agit pas de son cœur de métier.

Foins et déjections animales peuvent être transformées pour produire engrais et énergie.

Parmi les intervenants en prévention des risques professionnels, les services prévention des Carsat peuvent conseiller et accompagner techniquement et financièrement les entreprises dans la conception d’un espace ou d’une activité en lien avec la réintégration d’une partie de leurs déchets. L’Ademe propose également des financements pour accompagner les entreprises souhaitant se doter d’équipements d’utilisation de matières premières issues du recyclage adaptés à l’unité de production concernée, pour encourager l’installation d’équipements neufs d’incorporation des MPR, mais aussi pour étendre ou adapter une installation existante.

Après des décennies à négliger le potentiel des déchets, les technologies et les machines permettent aujourd’hui de plus en plus de récupérer les matières de manière fine et ciblée. Cette nouvelle façon de considérer les déchets et l’usage qui peut en être fait impliquent des changements culturels, techniques et organisationnels dans les entreprises. Mais les mentalités changent et un mouvement durable s’installe.

BTP et déchets

Dans le secteur du BTP, la réglementation impose une gestion encadrée des déchets : réemploi sur chantiers, réemploi en ressourceries, valorisation des matières, valorisation énergétique, enfouissement/incinération des déchets dangereux. Dans le secteur des déchets du bâtiment, les objectifs sont clairement annoncés : le taux de collecte pour valorisation devra atteindre 82% en 2024 et 93% en 2027 pour les matériaux minéraux, 53% en 2024 et 62% en 2027 pour les autres types de matériaux (métal, bois, plâtre, verre...). En 2018, selon l'Ademe, 12,2 millions de tonnes de déchets du second œuvre ont été produites, pour un total de 240 millions de tonnes de déchets dans le secteur du BTP.

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