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Les violences externes

En première ligne, le service public agit pour protéger ses agents d'actes délictueux

Dans le cadre d’un appel à projets portant sur la prévention des risques en lien avec l’exposition aux violences externes, le conseil départemental de Seine-et-Marne a mené une série d’actions pour prévenir les risques auxquels sont exposés ses agents.

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Céline Ravallec - 26/03/2024
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Une équipe d'agents municipaux en situation de travail.

À l’entrée de Fontainebleau, en Seine-et-Marne, deux fourgons orange floqués du logo 77 du conseil départemental neutralisent une voie de circulation à l’aide de cônes de signalisation. Une équipe s’apprête à nettoyer la bordure centrale d’une 2x2 voies qui dessert la commune. Une opération de maintenance préventive classique, réalisée ici deux fois par an. « Le rôle des équipes est d’entretenir les routes et dépendances, afin d’assurer la pérennité du réseau et la sécurité des usagers », décrit Stéphan Wanlin, responsable du centre routier de Fontainebleau.

Réfection de l’enrobé, de la signalisation, sablage lors d’épisodes neigeux, interventions en urgence en cas d’accident, de chute d’arbre ou de tout autre imprévu, sont le lot quotidien des équipes… qui se retrouvent parfois exposées à l’impatience, à l’agressivité et aux incivilités de certains conducteurs. « Les insultes ou les gestes irrespectueux, c’est fréquent, remarque Guillaume Agud, un agent d’exploitation. Tout comme les gens qui cherchent à forcer un passage. » Avec son collègue Aurélien Gervais, ils ne sont pas en reste concernant les anecdotes de leur quotidien professionnel. Certaines prêtent à sourire, d’autres auraient pu tourner au drame. « Alors que je fauchais le bord d’une route, une fois, quelqu’un a tiré sur les vitres de mon tracteur, relate ce dernier. Il y a eu dépôt de plainte mais on n’a jamais su qui avait fait ça. »

Ces événements récurrents font partie des situations qui ont motivé la direction des routes à participer, avec trois autres directions pilotes du département – la plate-forme d’accueil téléphonique et le service des accueils physiques, les musées et, enfin, les maisons des solidarités (MDS) – à un appel à projets du Fonds national de prévention (FNP) de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) portant sur les violences externes. « La prévention des risques psychosociaux était un axe de travail clairement identifié ces dernières années, explique Noémie Philippart, conseillère en prévention au service prévention, hygiène et sécurité au département de Seine-et-Marne. À partir de 2019, nous avons mis en place des fiches de signalement pour faire remonter tous les incidents, incivilités, agressions – verbales et physiques – que rencontraient les agents de la part des usagers. » Une action qui a fait prendre conscience de l’ampleur du phénomène, notamment au niveau des MDS. « Et nous avons constaté à cette occasion qu’une large part des violences, chez les agents des routes en particulier, était banalisée par les personnes exposées », précise Céline Cioni, directrice des ressources humaines.

Gérer ensemble l'agressivité des usagers

L’appel à projets du FNP, arrivé à cette période, a été un accélérateur pour formaliser la démarche. « En matière de violences externes, des MDS avaient déjà mis en œuvre de bonnes pratiques, comme l’installation d’un bouton d’urgence pour prévenir les collègues, poursuit Noémie Philippart. Cela nous a aidés à capitaliser pour ensuite les faire évoluer et les déployer sur d’autres sites. » Les agents ont également suivi une formation pour acquérir les bonnes réactions à avoir face à une personne agressive. « La première image qu’on renvoie contribue à canaliser l’agressivité des usagers, d’où l’intérêt d’être préparé », estime encore Céline Cioni.

LE TÉMOIGNAGE DE...

David Filippi, responsable de l’unité risques professionnels au FNP CNRACL

« Le projet mené par le conseil départemental de Seine- et-Marne est l’un des huit retenus dans le cadre de l’appel à projets du FNP sur la prévention des violences externes. Trois autres employeurs territoriaux et quatre employeurs en milieu hospitalier, de tailles variées (de 70 à 4 500 agents), participent à cette expérimentation prévue sur 15 à 18 mois. Cet appel à projets vise à cerner toutes les situations de violences externes existantes et à encourager les employeurs sélectionnés à se structurer sur cette thématique, à lancer des expérimentations en ayant droit à l’erreur, et à capitaliser les enseignements… Au total, il bénéficie d’un budget de 3,3 millions d’euros. Cet appel à projets se veut participatif afin d’arrimer durablement les actions et la culture de prévention à tous les niveaux de la structure et, au-delà, par la rédaction d’une recommandation ancrée dans le travail réel et destinée à tous les agents et employeurs. Sa diffusion est prévue début 2025. »

Des mises en situation concrètes tenant compte de la réalité des métiers, au plus près des contraintes réelles, ont été créées afin de permettre l’immersion totale des agents. « Cela nous a montré comment mieux gérer l’agressivité d’un usager en ligne, on a évoqué ensemble des cas qu’on avait réellement vécus », commente Sabrina Magnien, chargée d’accueil téléphonique. Autre axe en matière organisationnelle : la nécessité de mieux définir le rôle du manager lorsqu’une situation d’agressivité commence à émerger. Ainsi que la façon dont il doit accompagner a posteriori un agent victime d’une agression.

Tous concernés

Car lors d’une agression, il y a la gestion de l’événement sur le moment, mais ensuite l’accompagnement de la victime, l’appel des secours si besoin, la prise en charge administrative (déclaration d’accident du travail, dépôt de plainte et accompagnement psychologique). Tout ceci implique différents services (juridique, prévention, moyens généraux et sécurité, bâtiment…) et nécessite de développer la transversalité entre les équipes. « Et c’est le caractère transversal et participatif de cette démarche qui en fait son caractère particulièrement innovant, se réjouit Daisy Luczak, vice-présidente du département en charge des ressources humaines, des finances et de la commande publique. Beaucoup de choses existaient déjà, mais il était nécessaire que tout le monde s’en empare et que cela ne reste pas qu’au niveau des agents et de la DRH. »

Une chargée de relation de la plate-forme d'accueil téléphonique en situation de travail.

De l’avis de tous, ce programme a aidé la collectivité à renforcer sa connaissance du sujet. Comme le confirment les chargées de relation sur la plate-forme d’accueil téléphonique qui centralise tous les appels d’usagers. « Nous avons les fiches de signalement pour informer des problèmes rencontrés et la formation nous a permis de débattre, d’échanger sur nos pratiques entre nous et avec les cadres, explique Shaeena Moddsar, l’une d’entre elles. Et l’ambiance dans l’équipe est très bonne, on se soutient beaucoup, on en discute, on en rigole ensemble pour dédramatiser les situations vécues. »

Depuis l’année dernière, les fiches de signalement font l’objet d’analyses post-incident pour comprendre les facteurs déterminants d’un passage à l’acte. « On peut ainsi identifier des facteurs récurrents (zone dans un bâtiment, heures de la journée, facteurs irritants…) qui aident à cibler les actions de prévention. », souligne encore Noémie Philippart. Cela se fait sur le même principe que l’analyse des accidents du travail. « À travers l’acquisition de ces bonnes pratiques, cette démarche contribue également à un meilleur bien-être au travail et à conserver les agents aux mêmes postes dans la durée », conclut Daisy Luczak.

UNE MOBILISATION MASSIVE

Le conseil départemental de Seine-et-Marne compte environ 5 000 agents. Collèges, maisons des solidarités et services de l’autonomie, routes départementales, aménagement du territoire, transports, prise en charge des mineurs non accompagnés relèvent des missions de gestion d’un département. La phase pilote de gestion des violences externes a impliqué trois directions et trois maisons des solidarités, ce qui représente entre 250 et 300 personnes directement concernées. Une trentaine d’agents a été formée et une dizaine de personnes a suivi le module des managers. La plate-forme d’appels téléphoniques, qui centralise tous les appels, peut recevoir quotidiennement plus de 2 000 appels, traités par les quinze chargées d’accueil. Les formations ont été délivrées par le Centre national de la fonction publique territoriale pour un premier niveau (communication non violente et gestion du stress) et par un organisme en gestion de crise pour un second niveau, sur la gestion d’un passage à l’acte.

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