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Le secteur agroalimentaire

Mieux communiquer pour de meilleures conditions de travail

En plaçant l’humain au cœur de ses préoccupations, la direction de l’entreprise Agis, basée à Tarare, a initié un changement de culture sur les questions en santé et sécurité. Davantage de dialogue et de transversalité, une meilleure prise en compte des remontées de terrain et une meilleure identification des irritants permettent d’améliorer progressivement l’outil de production et les conditions de travail qui en découlent.

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Céline Ravallec - 04/11/2022
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Ligne de conditionnement dans l'entreprise Agis.

Nems, samossas, beignets de crevettes, acras, plateaux indiens, plateaux thaïs… le vaste univers des produits exotiques frits est la spécialité du site de production d’Agis à Tarare, dans le Rhône. Toutes ces préparations sont produites ici en grandes séries pour être ensuite vendues à travers la France dans la grande distribution. La crise sanitaire a fait gagner à Agis de nouveaux clients et la croissance ne retombe pas depuis. Résultat, l’entreprise cherche à adapter son outil de production en s’agrandissant et l’usine, située en périphérie de la ville, fait actuellement l’objet d’une extension.

Tarare est l’un des trois sites de production de l’entreprise avec celui d’Avignon, dans le Vaucluse, et celui d’Herbignac, en Loire-Atlantique. En moyenne, 250 personnes travaillent ici, et jusqu’à 350 avec le renfort d’intérimaires et de CDD lors des pics saisonniers, qui ont lieu au moment du Nouvel An chinois et de la fête de la Lune. Les conditions de travail y sont exigeantes : cadences soutenues, température ambiante entre 4 et 6 °C, gestes répétitifs, bruit, manutentions fréquentes… La présence de plusieurs facteurs de risques exposant le personnel à des troubles musculosquelettiques (TMS) a assez logiquement conduit le site à être ciblé par le programme national TMS Pros en 2014.

CATHERINE SCOMPARIN, AGENT DE CONDITIONNEMENT ET ÉLUE CSE

« En treize ans, j’ai vu beaucoup de changements à la production. Si les conditions de travail restent difficiles, du fait des cadences, du froid, des charges portées, elles se sont nettement améliorées. Il y a eu des ajustements à différents niveaux. La manutention des rouleaux de film plastique qui forment les opercules a été facilitée. Grâce à des supports spéciaux, on a pu installer des rouleaux plus gros, qui ne nécessitent plus d’être remplacés aussi souvent qu’auparavant, et peuvent être portés sans plus d’efforts. Le dialogue avec les équipes a également été développé. Tous les jours, le chef d’équipe soumet un court questionnaire de cinq questions. Il y a aussi une réunion hebdomadaire, et des causeries sécurité mises en place depuis quatre ans. Par ces remontées de terrain, les salariés se sentent écoutés. »

« Une personne ressource TMS a alors été nommée, décrit Marjorie Poupet-Renaud, contrôleuse de sécurité à la Carsat Rhône-Alpes. Elle s’est bien approprié le sujet, en allant plus loin que la seule approche biomécanique, et en explorant également le volet psychosocial dont la charge mentale, qui participe à la survenue de TMS. » Ce premier programme a été suivi du déploiement du programme régional « Lean et santé » dans l’agroalimentaire à partir de 2018. « Dans le cadre de TMS Pros, nous avons réalisé beaucoup de mises en situation, de modélisations 3D, échangé avec les fabricants, remarque Marie Durdilly, coordinatrice santé-sécurité, notamment sur la ligne samoussas. Ça nous a permis de mettre les wagons dans le bon ordre, de définir les priorités, de travailler ensemble sur des enjeux communs. »

Construire une culture commune

« Un des maux de l’agroalimentaire est d’avoir voulu pousser trop loin le lean, au point d’arriver en contradiction avec la santé des salariés », constate Olivier Camout, directeur du site. Un travail commun avec la Carsat, l’association Arag (Auvergne-Rhône-Alpes Gourmand) et d’autres entreprises de l’agroalimentaire a initié des questionnements multiples sur ces sujets. « L’humain doit être placé au cœur de la réflexion. S’il ne va pas bien, tout flanchera derrière, poursuit-il. D’où la nécessité de parler ensemble de performance. »

Un axe de progrès identifié portait sur l’amélioration de la communication entre les services. « Certains services travaillaient en parallèle, sans bien se connaître, relate Marjorie Poupet-Renaud. À notre niveau, nous avons cherché à décloisonner, à faire en sorte qu’ils apprennent à se connaître et échangent plus. » Des entretiens collectifs, pluridisciplinaires, ont été organisés. « On a créé un questionnaire pour avoir un baromètre sur l’état d’esprit des salariés, explique Alix Carpentier, la responsable du service conditionnement-mise en cartons. ça permet d’identifier des signaux faibles qu’il est important de prendre en compte. »

« Il faut prendre le temps pour ne pas créer de nouveaux risques »

Ces consultations ont abouti à la définition d’indicateurs liés à la performance et à la santé. « La première transformation a été ce changement de culture, en allant vers plus de pluridisciplinarité et de communication, poursuit-elle. La seconde a été d’acquérir une vraie méthodologie grâce à la Carsat et à un consultant en amélioration continue. »

Des salariés emballent les produits en fin de ligne.

À l’atelier mise en cartons, plusieurs aménagements ont ainsi vu le jour. « Le poste de contrôle de l’étiquetage se trouvait dans un virage sur la ligne, et à une hauteur inadaptée, décrit Mathilde Demeyer, conductrice de ligne ayant elle-même souffert d’une tendinite de la coiffe des rotateurs du fait des sollicitations à ce poste. Il y avait eu plusieurs arrêts à cause de problèmes aux épaules dus au mouvement associé à la rotation du tronc. »

Le travail sur la nouvelle implantation a impliqué les équipes et tenu compte des différents points de vue, besoins et contraintes. La hauteur de la ligne a été abaissée par une pente douce. Le virage a été remplacé par un angle droit. Des ajustements ont été nécessaires après coup, comme la pose de guides sur la ligne. « La réflexion a porté sur l’intégralité de la ligne pour bien maîtriser les réglages, commente Marie Durdilly. Cela a mobilisé jusqu’aux équipes de maintenance, qui ont fait preuve d’une grande réactivité dès qu’il a fallu des ajustements rapides. »

Accorder du temps au dialogue

À la ligne de conditionnement des nems, un système d’aspiration a été installé en octobre 2021. Des miettes de chapelure viennent fréquemment se poser sur la zone de soudure entre barquette et opercule, et peuvent en compromettre l’étanchéité une fois scellées. Les personnes en bout de ligne ont donc pris l’habitude de balayer de la main les bordures des barquettes pour qu'elles restent nettes. Une sollicitation des membres supérieurs, du tronc, et une demande de concentration sans valeur ajoutée. « Grâce à l’aspirateur, c’est plus pratique, il y a moins de reprises, commente Hanane Leghouil, une opératrice. Mais c’est plus bruyant. » Le moteur de l’aspiration a pourtant été placé dans un caisson isolé, derrière une cloison.

« Les réajustements font partie de la continuité d’un projet, estime Marie Durdilly. Rien n’est jamais clos, il faut prendre le temps, ne pas aller trop vite, pour ne pas créer de nouveaux risques. » Et « l’extension en cours des locaux va être l’occasion d’appliquer sur les futures lignes cette nouvelle méthode de travail », conclut Alix Carpentier.

EXTENSION DU SITE DE TARARE

L’actuel site de production de Tarare, construit en 2004, fait l’objet d’une importante extension. L’entreprise travaille au développement d’une nouvelle gamme et d’une diversification afin de sortir des produits frits. « La création de l’extension de 3 000 m2 est vraiment l’occasion d’intégrer les questions de SST à la conception de ces futurs espaces de travail, commente Marie Durdilly, coordinatrice santé-sécurité. La ligne la plus récente va servir de pilote pour la suite. Nous allons mettre à profit tous les enseignements tirés de notre expérience récente sur ce projet. Il est important dès le départ de partir sur un projet pluridisciplinaire, associant les personnels techniques et les personnes de terrain. Traiter les irritants, trouver des solutions est une spirale vertueuse de la performance, en rendant les opérateurs acteurs des transformations de leur environnement de travail. »

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