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Le secteur agroalimentaire

Relever le défi de la prévention

L’agroalimentaire présente une sinistralité particulièrement élevée. Les chiffres sont liés à la nécessité de transformer des aliments dans des ambiances particulières au plus près d’outils souvent dangereux avec des matières premières qui empêchent parfois l’automatisation. Sans oublier des contingences d’hygiène parfois en contradiction avec la prévention des risques professionnels.

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Damien Larroque, Céline Ravallec, Delphine Vaudoux - 03/11/2022
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Un salarié d'une fromagerie range des fromages sur un stockage.

Dans un pays comme la France, qui a fait des plaisirs de la table une part de son identité, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’agroalimentaire constitue le premier secteur industriel en nombre de salariés. Que ce soit dans des grands groupes ou dans des entreprises artisanales, près de 500 000 professionnels transforment du poisson, de la viande, des fruits, des légumes ou des céréales, confectionnent des boissons ou des plats… Le secteur connaît une sinistralité particulièrement élevée liée à différents facteurs spécifiquement en relation avec l’activité.

Le travail au froid, au chaud, dans des ambiances humides, les manutentions manuelles répétitives, les ports de charge, les postures contraignantes, l’utilisation d’outils tranchants, la présence d’huiles, de graisses, de microorganismes pathogènes… sont autant de facteurs de risques qui conduisent à bon nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Les chutes et glissades représentent la première cause d’accidents, suivies des coupures. Les machines sont, quant à elles, à l’origine de 9 à 10 % de ces accidents.

Sans surprise, les troubles musculosquelettiques (TMS) sont ultra-majoritaires pami les maladies professionnelles, dont ils constituent 95 % des cas. Dans les 5 % restant, se trouvent notamment les allergies, comme l’asthme du boulanger ou celles liées aux produits de nettoyage ou aux moisissures, qui peuvent se déclarer tout au long de la carrière, ainsi que, plus rarement, les zoonoses (maladies transmises à l’homme par l’animal).

Des matières premières variables

« À ce large panorama, il faut ajouter les multiexpositions qui peuvent faciliter l’apparition de pathologies ou les aggraver, souligne Séverine Demasy, experte conseil technique à l’INRS. Par exemple, le travail répétitif dans le froid augmente la survenue de TMS. Ces expositions multiples peuvent aussi être génératrices d’accidents comme lorsque le froid engourdit les mains qui manipulent des couteaux. »

Autre particularité de l’agroalimentaire, la non-uniformité des matières premières qui ne permet que rarement une automatisation aussi poussée que dans d’autres secteurs. Une absence de calibrage qui impose aux professionnels de rester en contact avec le produit, de le travailler manuellement pour s’adapter à ses variations, ce qu’une machine est incapable de faire. Cela implique des efforts physiques, des gestes répétitifs… et parfois de s’exposer à des risques mécaniques par exemple lorsque le poste est situé sur des convoyeurs à l’entrée ou à la sortie de machines.

ANTHONY JOUANNO, CHARGÉ DE PRÉVENTION SST DU GROUPE AGROMOUSQUETAIRE

« Jusqu’en 2015 et la création d’un service santé et sécurité au travail (SST) centralisé, chacun de nos sites menait sa démarche de prévention de manière autonome, avec plus ou moins de réussite. Si cette centralisation a eu des effets positifs sur le nombre d’accidents, notamment grâce à la mise en œuvre d’un référentiel de sécurité commun, l’impact sur les TMS fut moindre ou insuffisant. Ce constat a conduit le groupe à proposer, en 2021, un partenariat à la Carsat Bretagne pour mettre en place une démarche de prévention pérenne grandement inspirée par le programme TMS pros et dont les contours ont été définis par un comité de pilotage pluridisciplinaire. L’objectif est de permettre une prévention des TMS efficace sur l’ensemble de nos sites avec un accompagnement au plus près des acteurs engagés. »

« La meilleure façon de s’assurer de l’accès en sécurité aux produits est d’intégrer le plus en amont possible la prévention des risques professionnels, c’est-à-dire dès la conception de la machine, insiste Séverine Demasy. Lors de l'acquisition, le cahier des charges doit bien préciser toutes les spécificités comme l’utilisation de matériaux résistant aux produits corrosifs tels que les poissons ou les épinards, sous peine de détérioration rapide. » L’experte rappelle également la nécessité de tenir compte des phases hors production, comme le nettoyage et la maintenance, en intégrant des solutions qui les sécurisent et les facilitent. D’autant que ces opérations s’effectuent souvent de nuit ou dans l’urgence, entre deux prises de poste, avec en plus le stress lié aux vérifications du service qualité, indispensables pour maintenir un bon niveau d’hygiène.

L’hygiène, un atout contre la Covid

Il faut d’ailleurs mentionner que les obligations réglementaires en matière d’hygiène apportent des contraintes supplémentaires. Elles peuvent être en contradiction avec les injonctions relatives à la santé et la sécurité au travail, ce qui ne facilite pas toujours la tâche des entreprises. Citons à titre d’exemple la problématique des sols. D’un côté, la prévention des chutes milite pour un revêtement rugueux, tandis que les considérations visant à empêcher la prolifération des bactéries et moisissures plaident pour une surface la plus lisse possible. La solution réside dans un compromis entre la glissance du sol et sa capacité à être aisément nettoyé.

A contrario, l’habitude de la gestion des contraintes liées à l’hygiène a été un atout dans la mise en place de protocoles visant à limiter les contaminations par le virus de la Covid. Les masques, les lavages réguliers de mains, les sens de circulation… autant de pratiques bien ancrées que les entreprises de l’agroalimentaire n’ont eu qu’à adapter et à étendre.

COMME UN POISSONNIER DANS SA REMORQUE

« Les conditions de travail des poissonniers sur les marchés sont compliquées. Leurs remorques manquent d’espace, les câbles traînent au sol, il faut chercher des bassines d’eau…, explique Christine Fernandes, ergonome à la Carsat Bretagne. Beaucoup d’entreprises disparaissent car peu de jeunes sont tentés par ce métier difficile. Face à ce constat, nous avons travaillé avec la Fédération des poissonniers pour élaborer  Une remorque nouvelle génération . Ouverture assistée des panneaux par vérins, profondeurs de l’étal et plans de découpe adaptés, Automatisation, cuve à eau équipée d’une pompe… Cet outil de travail a été pensé pour répondre aux exigences de santé et de sécurité tout en améliorant l'efficacité. » Dans le cadre d'une acquisition, les entreprises de moins de 50 salariés de la région peuvent faire une demande d’aide financière auprès de la Carsat Bretagne.

De manière générale, les conditions de travail difficiles ont conduit ces dernières années à l’apparition de difficultés de recrutement de plus en plus prégnantes pour les acteurs du secteur qui se retrouvent parfois, de ce fait, freinés dans leur dynamique de progression. Un mal pour un bien, pourrait-on être tenté de dire face aux prises de conscience provoquées par cette situation. Gageant que de bonnes conditions de travail représentent un puissant levier de fidélisation des effectifs, de nombreuses entreprises s’engagent en prévention en mettant en place des démarches structurées et pérennes qui s’avèrent en outre bénéfiques pour leurs performances.

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