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Les salariés intérimaires

Une population plus exposée et plus vulnérable

Les salariés intérimaires sont victimes d’accidents du travail plus souvent que les travailleurs permanents. Pour autant, cette situation est loin d’être une fatalité. En se coordonnant sur différents sujets – organisation de la mission, formation, accueil au poste… –, agences d’emploi et entreprises utilisatrices peuvent garantir à ces derniers de bonnes conditions de travail. Et ce, en dépassant la relation commerciale qui les lie.

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Céline Ravallec - 02/06/2023
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Deux salariés dont une intérimaire en situation de travail.

« La force du travail temporaire, c’est la réactivité. » Jean-Marc Soulodre, directeur développement et communication au Fonds d’action sociale du travail temporaire, résume l’un des principaux intérêts de l’intérim : pourvoir très rapidement aux besoins d’entreprises qui n’ont pas les compétences en interne pour les couvrir, et ce, sur une durée limitée. En 2021, 2,8 millions de salariés ont effectué au moins un contrat en intérim, représentant l’équivalent de 784 000 temps plein. Les secteurs d’activité qui y ont recours sont en premier lieu le BTP, l’industrie (métallurgie, réparation automobile…) et la logistique. Mais tout employeur peut avoir à faire appel à l’intérim pour un besoin temporaire. On rencontre ainsi des intérimaires scaphandriers, cordistes, couturiers, paysagistes, soignants, etc.

La durée des missions est extrêmement variable, de quelques jours à plusieurs mois. « Le recours à l’intérim est strictement encadré par le Code du travail, explique Marie Boisserolles, chargée d’études juridiques à l’INRS. Une entreprise ne peut y recourir que dans des cas précis, comme remplacer un salarié absent, faire face à un accroissement temporaire d’activité ou dans le cadre d’un emploi saisonnier. L’emploi d’un intérimaire ne doit jamais avoir pour motif et pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice. »

Les missions d’intérim s’organisent autour d’une relation triangulaire impliquant une personne, une agence d’emploi (AE) et une entreprise utilisatrice (EU). L’intérimaire est salarié par l’agence d’emploi et mis à disposition pour effectuer sa mission dans l’entreprise utilisatrice, qui est cliente de l’AE. Cette collaboration fait l’objet d’un contrat commercial. La présence de ces deux acteurs autour de l’intérimaire constitue l’une des spécificités du travail temporaire, et aussi l’un des freins en matière d’organisation de la prévention des risques.

Deux salariés dont un intérimaire en situation de travail.

Si les rôles et responsabilités des unes et des autres dans la relation tripartite sont a priori bien définis par la réglementation, « la pluralité des intervenants et l’existence d’une relation commerciale entre AE et EU peuvent compliquer la tâche de la prévention, poursuit Marie Boisserolles. En effet, il y a beaucoup d’acteurs à mobiliser autour de ce sujet pour rendre la démarche de prévention efficiente. » L’AE doit ainsi s’engager à mettre à disposition une personne possédant les compétences professionnelles demandées, avec les formations éventuellement requises, au poste ciblé. Une entreprise utilisatrice ne doit, pour sa part, pas se servir de l’intérim pour externaliser un risque qu’elle ne veut pas faire prendre à ses propres salariés.

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L’importance de la préparation

La capacité de réactivité du secteur de l’intérim, présentée comme un atout, constitue aussi un handicap. Car dans les faits, les intérimaires se retrouvent le plus souvent en position de nouvel embauché, dans un environnement de travail mal maîtrisé, au sein d’une entreprise dont ils ne connaissent pas nécessairement la culture. Ils se retrouvent ainsi plus exposés aux risques professionnels et constituent une population vulnérable. Commencer une mission dans les heures ou jours qui suivent la demande ne doit pas être synonyme d’improvisation. Bien au contraire.

Toute mission nécessite une préparation et une concertation préalables entre AE et EU afin de limiter l’exposition aux risques des intérimaires. La sécurité se joue alors à différentes phases : préparation en amont de la mission, formation, accueil et intégration au poste, suivi de l’intérimaire tout au long de sa mission… Autant d’étapes qui doivent être formalisées puis mises en œuvre.

Aller au-delà de la relation commerciale

Une bonne connaissance entre l’agence de travail temporaire et l’entreprise cliente, des relations fluides et régulières, installées sur le long terme, sont des gages de réussite. De plus en plus d’AE fonctionnent sur un mode partenarial avec leurs clients, à l’image de cette agence francilienne spécialisée dans la menuiserie. « Nous ne pouvons pas être présents sur les chantiers pour voir dans quelles conditions travaillent nos intérimaires, c’est donc parfois difficile de se rendre compte de la réalité de la mission, témoigne sa directrice, qui souhaite garder l’anonymat. C’est pourquoi nous avons instauré des échanges téléphoniques réguliers avec nos clients au préalable. Nos chargés d’affaires sont formés aux questions liées à la prévention des risques, ils savent quelles questions poser sur tel ou tel poste. C’est une étape clé : savoir ce que va faire l’intérimaire, dans quel cadre, avec qui, seul ou en équipe, connaître l’état du chantier, etc. »

« C'est parfois difficile de se rendre compte de la réalité de la mission a priori. »

Des visites préalables des AE dans les EU, et en particulier aux postes de travail qui nécessiteront la mise à disposition de salariés intérimaires, sont aussi plus souvent organisées. Néanmoins, sur le terrain, les délais sont souvent contraints. « S’il est parfois difficile de faire des visites avant le début de la mission du fait de l’urgence du besoin, une visite est le plus souvent possible pendant la prise de poste, poursuit-elle. L’atout d’une petite structure comme la nôtre est sa grande flexibilité et sa proximité avec les entreprises utilisatrices. On essaye de s’installer plus sur le registre de la collaboration avec nos clients. Avoir des contacts réguliers avec tout le monde (chef de chantier, intérimaire…) contribue à collecter un maximum d’informations. Ça facilite aussi la transmission de messages sur la sécurité. Et on porte une attention particulière en présence d’un nouveau client ou d’un nouvel intérimaire. »

DES RESPONSABILITÉS PARTAGÉES

La mise à disposition d’un salarié intérimaire au sein d’une entreprise utilisatrice relève d’une relation tripartite entre l’entreprise de travail temporaire, l’entreprise utilisatrice et l’intérimaire. Chacun a un rôle à jouer dans le déroulement de la mission mais également dans la protection de la santé et de la sécurité du salarié. D’un point de vue légal, l’obligation de prévention des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs intérimaires incombe tant à l’agence d’emploi qu’à l’entreprise utilisatrice. La première doit notamment proposer à son client une personne possédant les compétences requises et les formations nécessaires pour le poste à pourvoir. La seconde doit assurer la mise en place de mesures de protection collectives mais également apporter au salarié les informations relatives à sa sécurité ainsi que les éventuels équipements de protection individuelle. Quant au salarié, acteur à part entière de sa propre sécurité, il doit alerter son employeur (l’entreprise de travail temporaire) en cas de danger et, le cas échéant, exercer son droit de retrait.

L’accueil au poste est une autre étape décisive dans le bon déroulement d’une mission. « Généralement, un défaut d’accueil et d’intégration favorise la survenue d’un accident, constate Dominique Delcourt, directrice des affaires juridiques chez Prism’emploi, syndicat professionnel. On sait que la sécurité passe par la répétition et encore la répétition des messages de prévention, c’est la clé. » Un levier majeur d’amélioration pour la sécurité des intérimaires est que l’EU consacre un temps à expliquer clairement au nouvel arrivant ce qu’il a à faire au cours de sa mission, à lui présenter l’entreprise, et à lui fournir les informations liées à la sécurité.

Des travailleurs sur un chantier de BTP.

Autre point de vigilance : il n’est pas rare de constater des changements de poste en cours de mission. Alors qu’un intérimaire a été missionné pour une tâche précise définie dans son contrat, on lui demande d’en réaliser une toute autre, sans rapport avec le poste voire avec ses compétences. L’intérimaire mis face à de telles situations peut plus facilement les refuser lorsque son AE est sensible à ce sujet. « C’est très déplaisant de constater que l’EU a pu confier à l’intérimaire des tâches plus à risque que ce qui était prévu dans le contrat, précise encore la directrice d’agence d’emploi spécialisée. C’est pourquoi on met nos intérimaires à l’aise par rapport au droit de retrait en leur rappelant qu’ils peuvent l’exercer à tout moment. Mieux vaut s’arrêter que faire une bêtise ou avoir un accident si une situation de travail n’est pas conforme. Ils peuvent nous appeler à tout moment pour signaler un dysfonctionnement. »

La question des responsabilités financières

La sinistralité parmi la population intérimaire reste une préoccupation de premier plan (lire l’encadré). Les accidents du travail (AT) recensés dans l’intérim sont plus fréquents et plus graves que la moyenne. Force est de constater que les actions de prévention des risques réalisées ne sont pas parvenues à faire progresser durablement la sécurité des intérimaires. Un programme national d’action concertée (Pnac), mené entre 2009 et 2012 par l’Assurance maladie-risques professionnels, avait impulsé une dynamique auprès des acteurs du secteur. Mais il n’a pas été suivi d’effets durables. Comme l’illustre ce dossier, des initiatives fructueuses en prévention se mettent en place, des partenariats se nouent, mais il est encore compliqué d’installer un mouvement de grande ampleur sur la durée dans le secteur.

Un salarié intérimaire en situation de travail au froid.

Dans le cas d’un AT grave à l’origine d’un décès ou suivi d’une incapacité permanente partielle supérieure ou égale à 10 %, la prise en charge des frais est partagée entre l’AE et l’EU : 2/3 pour la première et 1/3 pour la seconde. Dans les autres cas d’AT aux conséquences moins dramatiques, c’est l’AE qui finance l’intégralité de la réparation de l’accident. Pour certains observateurs, cette situation contribue à un statu quo sur les initiatives de prévention et freine la mise en œuvre de la sécurité. « Ce qui peut faire bouger les lignes, c’est un réel impact financier pour les EU », considère Dominique Delcourt. Un point de vue partagé par Didier Dozas, ingénieur-conseil régional adjoint à la Carsat Sud-Est. « Il n’est pas normal que l’impact financier suite à un accident du travail soit encore externalisé en 2022. C’est un frein énorme à la prise de responsabilité des entreprises utilisatrices, estime-t-il. Ça n’aide pas à les mobiliser dans des démarches de prévention complètes. »

Les difficultés de recrutement actuelles sur un marché de l’emploi en tension pourraient néanmoins s’avérer une opportunité pour la prévention. Le contexte met en effet les intérimaires en position de force : ils ont aujourd’hui le choix de l’agence d’emploi avec laquelle ils vont travailler, ou la possibilité de questionner les agences sur les conditions de travail proposées par les entreprises. Celles qui offrent de bonnes conditions de travail avancent des arguments de poids pour les fidéliser. Et un plan d’action national Intérim piloté par l’Assurance maladie-risques professionnels sur cinq ans va se lancer incessamment. Une nouvelle occasion de mobiliser l’ensemble des acteurs du secteur et de la prévention pour faire avancer la sécurité des intérimaires.

ANALYSE DES ACCIDENTS DU TRAVAIL

« En matière d’analyse de l’accidentologie, une nouveauté est apparue depuis fin 2022, présente Dominique Delcourt, directrice des affaires juridiques chez Prism’emploi, syndicat professionnel. La Cnam a présenté aux partenaires sociaux un état des accidents du travail (AT) des salariés intérimaires pour chaque comité technique national, dans les principaux secteurs utilisateurs, portant sur 80 % des déclarations d’accidents du travail identifiant l’agence d’emploi et le numéro de Siret du client où est survenu l’accident. Il est ainsi possible de comparer la sinistralité par secteur pour tous les AT des intérimaires et pas uniquement les AT graves. » Ce qui apporte une information beaucoup plus fine dans l’analyse des situations et permet de cibler les secteurs où il s’avère que l’intérim recense le plus d’accidents du travail. Ainsi, dans le CTN métallurgie, les intérimaires représentent 15 % des travailleurs et 17,6 % des AT. Dans le secteur du BTP, ils représentent 12,4 % des effectifs et 28,4 % des accidents. En logistique et transports, ils représentent 10 % des salariés et 28 % des accidents. « On observe que la logistique rejoint le BTP en taux de fréquence, souligne Dominique Delcourt. Si on dénombre 2 000 accidents graves (mortels ou avec incapacité permanente) dont les coûts sont les plus importants, on recense 45 000 accidents sans IP, souligne encore Dominique Delcourt. L’ensemble de ces accidents sont pertinents à cibler en matière de prévention. »

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