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Les établissements et services d’aide par le travail (Esat)

Quand diversité d'activités rime avec sécurité

Depuis plusieurs années, l’Esat Acais de Cherbourg-en-Contentin diversifie ses activités et innove dans ses procédés de fabrication. Cela se traduit par l’acquisition de nouveaux matériels et s’accompagne de formations, intégrant l’amélioration des conditions de travail des usagers.

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Céline Ravallec - 02/11/2022
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Travailleurs dans l'Esat Acais

Toute l’équipe de l’atelier d’impression numérique de l’Esat Acais, à Cherbourg-en-Cotentin, dans la Manche, a à cœur de nous présenter son activité. Florian, Marie-Thérèse, Vincent, Christine, Lucien, Joris, Bruno et leur animatrice Élodie (certaines personnes n’ont pas souhaité donner leur nom) nous accueillent avec enthousiasme. Ils réalisent ici depuis cinq ans des impressions sur adhésif et des flocages de tee-shirts pour des entreprises locales. À une extrémité de l’atelier trône l’imprimante numérique. Cette grande machine digne d’une imprimerie professionnelle fonctionne avec des encres aqueuses, sans solvant.

« Quand on s’est lancé dans cette activité, on n’y connaissait pas grand-chose, se remémore Nathalie Sarge, directrice de l’Esat. La première machine fonctionnait avec des encres à solvants. À la suite d’un incendie, nous avons dû racheter tout le matériel et avons alors opté pour des encres à eau. » « Un choix bénéfique pour la qualité de l’air intérieur, précise Jacques Betton, chef de service ateliers. Il n’y a plus d’émanations en intérieur, ça évite d’avoir à installer des aspirations et les personnes peuvent travailler à proximité. »

UN ESPACE DE VENTE SUR PLACE

Afin de diversifier ses activités, l’Esat Acais a inauguré en janvier 2021 une boutique ouverte au public. Dans cet espace de vente, on trouve des produits alimentaires locaux ainsi que des créations réalisées par les équipes de l’établissement dans une optique de recyclage. Sacs conçus à partir de poches d’élevage d’huîtres, objets décoratifs en bois issus de palettes... « Ce “créatelier” résulte des réflexions du groupe-projet Développement durable qui a cherché des solutions pour recycler des déchets, en créant des objets détournés », explique Nathalie Sarge, la directrice de l’Esat. Un logiciel de caisse a été spécialement adopté. Ce métier de vente permet un contact et des échanges avec du public. « Nous sommes tout en haut de la presqu’île du Cotentin, sur un territoire restreint, poursuit-elle. À travers ces nouveaux métiers, nous souhaitons créer de l’attractivité et de l’innovation en contribuant au tissu économique local. »

Mais c’est surtout la machine positionnée à l’autre extrémité de l’atelier qui a dernièrement amélioré les conditions de travail de toute l’équipe. Cette presse semi-automatique à double plateau est en effet installée ici depuis Noël 2021. Elle sert à thermocoller des logos sur des tee-shirts et a remplacé l’ancienne presse manuelle, toujours fonctionnelle mais désormais mise à l’écart. « On n’a plus besoin de tirer sur l’appareil, ni de rester à appuyer », indique Marie-Thérèse, une travailleuse en situation de handicap qui nous fait une démonstration. Les efforts physiques sollicitent beaucoup moins les bras et le dos. Il suffit d’appuyer simultanément sur deux boutons pour actionner la presse qui se meut ensuite toute seule.

« Avant, seules quatre personnes utilisaient l’ancienne presse, explique Élodie Leroy, monitrice d’atelier. Aujourd’hui, tout l’atelier est volontaire. Et ça permet de travailler beaucoup plus en équipe, grâce aux deux plateaux. » Avec la double commande, il n’y a pas de risque de brûlure. Sans oublier l’ambiance sonore fortement atténuée, alors que l’ancienne machine émettait un bruit mécanique sourd. L’équipe peut ainsi préparer une trentaine de tee-shirts par heure, avec beaucoup moins de fatigue. « Ça n’était pas l’objectif visé, mais ça a augmenté la productivité de l’atelier », constate Nathalie Sarge.

Une bénéficiaire de l'Esat Acais dans l'atelier de broderie.

« Cette acquisition pourrait alimenter le dossier de l’établissement dans son programme TMS Pros, car elle contribue à réduire le risque de troubles musculosquelettiques », observe Benoît Louazel, contrôleur de sécurité à la Carsat Normandie. D’autres aménagements sont en projet dans cet atelier. La machine de découpe, qui s’avère bruyante, va être bientôt complétée par une deuxième plus petite pour d’autres formats. La direction commence à réfléchir à aménager un espace à part où les installer toutes les deux, et les isoler avec une cloison.

Impression numérique et broderie industrielle

Comme beaucoup d’autres établissements, l’Esat Acais doit diversifier ses prestations et sortir des activités traditionnelles des Esat comme le conditionnement ou les espaces verts. Pour ce faire, il s’équipe des outils nécessaires et forme ses travailleurs. Parmi les activités émergentes, un atelier de broderie industrielle a vu le jour. Il propose des prestations à des entreprises locales, pour des événements ou des opérations commerciales. Aujourd’hui, ce sont des tours de cou en polaire qui sont brodés avec un logo commémorant le 50e anniversaire d’une structure voisine. Près de 300 pièces sont en cours de production.

La machine à broder, à 4 têtes, a été installée ici en 2019. Elle est isolée dans un local afin de limiter les expositions sonores lorsqu’elle tourne. Lise et Élodie, usagères, supervisent le bon déroulement du programme. À raison de 1 000 points/minute, les cycles durent 8 minutes, durant lesquels se forme progressivement le motif multicolore. Lorsque des arrêts intempestifs surviennent, comme des fils qui se rompent, elles interviennent rapidement pour relancer la machine. Cette machine à broder - est venue remplacer une précédente machine, sur laquelle les cadres mécaniques devaient être posés manuellement. Cela demandait de la force et des gestes secs pour plaquer le cadre.

L’ESAT ACAIS

L’Esat Acais, créé en 1965, accueille 200 travailleurs présentant des déficiences intellectuelles. Il est sous gestion de l’Acais (Association en Cotentin d’accompagnement inclusif et solidaire) qui occupe 15 hectares sur la commune déléguée de La Glacerie à Cherbourg-en-Cotentin. L’Acais est également présent sur deux autres sites dans le Cotentin, à Valognes et aux Pieux. Ayant un statut d’association, l’Acais emploie environ 400 salariés et accompagne entre 800 et 900 personnes handicapées. Outre les activités en atelier sur site, l’Esat compte neuf équipes en prestations de services en milieu ordinaire, en extérieur (blanchisserie industrielle, espaces verts, entretien de mobilier urbain…), ainsi que des personnes mises à disposition en entreprise. L’établissement mise beaucoup sur la formation, avec une moyenne de 10 à 15 jours de formation délivrés par an et par personne :  plus de la moitié des travailleurs bénéficient d’une action de formation chaque année.

« Au début, on ne s’était pas projetés sur les bonnes postures de travail à adopter, se souvient Nathalie Sarge. La machine imposait des postures contraignantes et peu de personnes y avaient accès. Des réflexions ont été menées avec l’ergonome du service de santé au travail pour améliorer les postes de travail. » « Avant ça faisait mal, il fallait forcer avec les mains et les poignets », précise Élodie. Désormais, un système de cadre magnétique vient se positionner seul et supprime un des gestes les plus pénibles. « Je préfère travailler avec cette machine, c’est beaucoup mieux », confirme Lise.

Ces progrès tendent à créer une émulation dans les équipes. « C’est chouette quand des idées viennent du terrain, que ce soient des monitrices ou des travailleurs, commente Nathalie Sarge. Ça montre qu’ils veulent progresser malgré les difficultés qu’ils peuvent rencontrer au quotidien. C’est parfois plus compliqué pour eux mais ils n’ont pas peur de prendre la parole, de proposer des choses. À travers ces métiers, on sort des activités plus classiques rencontrées dans les Esat. Même si nous devons veiller à assurer des activités pour les personnes les moins autonomes. Car certains nouveaux métiers s’avèrent trop élitistes, donc réservés à une catégorie de personnes. » C’est ainsi qu’attenant au local de la machine à broder, un atelier de cartonnage consistant à plier des emballages d’échantillons de parfum occupe une dizaine de travailleurs handicapés.

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