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Les établissements et services d’aide par le travail (Esat)

Jouer pour améliorer ses compétences

Les Esat stéphanois Ithac et AIMCP ont accueilli des étudiants de l’école des Mines de Saint-Étienne dans le cadre du challenge SuPerForm, lancé par la Carsat Rhône-Alpes et les Alliances des grandes écoles Rhône-Alpes-Auvergne (Agera). Une collaboration qui a abouti à la création d’ESATtention, un serious game qui a vocation à faire monter en compétences en santé et sécurité les travailleurs en situation de handicap.

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Damien Larroque - 02/11/2022
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Travailleurs de l'Esat ITHAC

À Saint-Étienne, Ithac réunit une entreprise adaptée de 250 salariés et un Esat employant 50 bénéficiaires souffrant de déficiences intellectuelles, de handicaps psychiques ou de troubles du comportement. Ceux-ci font de l’assemblage pour l’industrie de l’armement, de la confection textile, du reconditionnement ainsi que de la collecte et du tri de déchets de bureau. « Depuis plusieurs années, nous faisons évoluer les conditions de travail de nos équipes, explique Jean-Bernard Villemagne, responsable social et emploi chez Ithac. La réduction du nombre de postes, pour gagner de l’espace et éviter que les palettes d’approvisionnement n’encombrent le passage et ne provoquent des chutes, illustre cet engagement. » Tout comme l’installation progressive de postes modulables, pour s’adapter aux changements de tâches, selon les clients.

Cet intérêt pour la santé et sécurité au travail (SST) n’est pas étranger à la collaboration de l’entreprise avec Nadine Dubruc, enseignante-chercheuse en psychologie du travail à l’école des Mines de Saint-Étienne (Emse), qui y mène régulièrement des études depuis 2011. « En 2021, je venais de finir une étude pour l’agence régionale de santé sur le travail dans les Esat, quand j’ai entendu parler du challenge SuPerForm organisé par la Carsat Rhône-Alpes, se remémore-t-elle. J’ai donc proposé aux équipes d’Ithac de s’engager avec deux de mes étudiants dans ce projet qui consiste à créer un serious game sur le thème de la SST. »

« Il y a beaucoup de choses à savoir. En s’amusant, c’est plus facile de les retenir »

L’enseignante embarque dans l’aventure un second établissement stéphanois, lui aussi en quête de nouveaux moyens pour sensibiliser ses usagers à la prévention des risques professionnels : l’Esat de l’AIMCP Loire. Ses 76 travailleurs atteints de paralysie cérébrale avec ou sans trouble associé (cognitif, déficience auditive ou visuelle...) conditionnent – matériel électrique, visserie… –, assemblent – des sièges de douche, du matériel de puériculture… –, découpent, percent ou poinçonnent des pièces mécaniques. « Nous n’avons pas les mêmes métiers qu’Ithac, et nos usagers sont atteints de handicaps différents. Ces divergences sont intéressantes pour la création d’un jeu car il doit être utilisable par n’importe quel Esat », estime Fabrice Greco, chef d’atelier.

Un travailleur de l'Esat de l'AIMCP.

« Même si nous avons suivi des formations, l’une sur les techniques de ludification et l’autre, dispensée par l’INRS, sur la SST, nous étions au départ un peu perdus, reconnaît Juliette Hortemel, étudiante en troisième année à l’Emse. Heureusement, le challenge SuPerForm prévoyait d’intégrer au groupe de travail des consultants extérieurs. Les deux ergonomes que nous avons rencontrés chaque semaine pendant les quatre mois du projet nous ont mis sur de bons rails. » « L’enjeu était d’amener les étudiants à comprendre que la SST ne se construit pas qu’avec des consignes de sécurité. Si celles-ci sont nécessaires, il faut aussi comprendre le travail réel, pour s’assurer que ces consignes sont adaptées et qu’elles ne constituent pas un frein aux logiques de travail des professionnels, comme lorsque le port de gants complique la manipulation de vis », souligne Sophie Claude, ergonome fondatrice de Pertinence Strategik qui insiste également sur l’importance d’impliquer le personnel dans les démarches de prévention.

LE CHALLENGE SUPERFORM

Organisé et financé par la Carsat Rhône-Alpes et l’Agera, le challenge SuPerForm s’adresse aux étudiants des grandes écoles. Il consiste à créer un serious game pour promouvoir la santé, la sécurité, la qualité de vie au travail. « Cette initiative vise à sensibiliser les écoles à ces sujets afin qu’elles leur fassent une place dans leurs programmes, explique Didier Cote, ingénieur-conseil et pilote des relations avec l’enseignement supérieur à la Caisse régionale. L’objectif étant que les futurs managers et décideurs prennent conscience de l’importance de la prévention des risques professionnels et qu’ils soient armés pour l’intégrer à leurs actions professionnelles. » Les étudiants participants rejoignent un groupe de travail qui, outre leur responsable, comprend une ou plusieurs entreprises qui sont la cible des jeux, et des consultants extérieurs qui leur apportent leur expertise. Tous les serious games sont libres de droit et seront mis en ligne pour être diffusés le plus largement possible.

Juliette Hortemel et son camarade Hakim Kausmally passent donc plusieurs jours dans les ateliers des deux Esat pour comprendre leurs activités et élaborer les questions sur le travail, la sécurité ainsi que les jeux qu’ils soumettront par la suite aux équipes. Une certitude se dégage de ces phases d’observation et d’échanges : le jeu doit être simple. Car tous les joueurs n’ont pas le même niveau de compréhension de lecture ou d’expression orale. « Les parties menées avec la première version ont montré que celle-ci était encore trop compliquée, raconte Juliette. Nous avons retiré les cartes “mime” que nous avions créées pour leur côté ludique mais qui se sont avérées contre-productives. » En outre, certaines questions ont été réécrites car leurs tournures pouvaient porter à confusion.

Engager la discussion

La version remaniée est un succès. Constitué de quatre types de cartes – « quiz », « situation », « chance » et « piège » –, le jeu ouvre la discussion autour de la SST et pousse à la réflexion. « Situation !, annonce Nora (certaines personnes n’ont pas souhaité donner leur nom), une usagère qui vient de tirer une carte. Marie n’a pas mis ses bouchons d’oreille alors que la machine fait beaucoup de bruit. Que faire ? » « Il faut lui dire de les mettre », lance Carminda. « Et lui expliquer pourquoi elle doit les porter », ajoute Richard après quelques instants de réflexion. « En effet, mais on peut aussi se demander pourquoi elle ne les a pas mis… », relance Isabelle Beaune, monitrice de l’atelier Esat d’Ithac qui a endossé le rôle de maître du jeu. « Peut-être que les bouchons ne lui vont pas ou qu’ils l’empêchent d’entendre son collègue sur le poste à côté », avance Sandor. « Et alors, que peut-on faire dans ce cas-là ? », interroge Isabelle avec la volonté de faire émerger des solutions.

ESATTENTION, LE JEU

Les règles sont simples : répondre aux questions qui figurent sur des cartes pour les remporter. L’équipe gagnante est celle qui accumule le nombre de cartes défini en début de partie ou celle qui en a le plus au terme du temps choisi par les participants. Si, avec leurs questions ouvertes, les cartes « situations » sont celles qui poussent le plus à la réflexion, celles comportant un quiz donnent à la partie le rythme indispensable pour garder les joueurs en haleine. « Les cartes “chance” (faites deviner votre date d’anniversaire) et “piège” (vous êtes enlevé par des aliens) dynamisent et renforcent le côté ludique, explique Juliette Hortemel, étudiante à l’Emse et conceptrice du jeu. Quant aux cartes vierges, elles autorisent les Esat à ajouter des questions spécifiques à leurs activités. » À terme,  une typographie adaptée aux dyslexiques viendra rendre le jeu encore plus accessible.

L’encadrant qui anime les échanges a à sa disposition un document qui regroupe les pistes de réflexion pour orienter les débats lorsque les réponses peinent à être formulées. Il veille aussi à ce que tous puissent s’exprimer et que les plus expansifs ne monopolisent la parole. Les joueurs sont en tout cas conquis. « Il y a beaucoup de choses à savoir. En s’amusant, c’est plus facile de les retenir », note Olivier. « On ne se rend même pas compte qu’on apprend », renchérit Annick. Au-delà de la sensibilisation des travailleurs, ESATtention – le nom donné au jeu – devrait permettre, par le biais du dialogue qu’il instaure, d’augmenter le nombre de remontées de terrain. En libérant la parole des opérateurs, il permet de mettre le doigt sur des thématiques de santé qui seraient restées autrement sous les radars. 

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