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Les établissements et services d’aide par le travail (Esat)

Handicap : un monde du travail à part entière

En dehors de leur spécificité liée à leur mission d’accompagnement par le travail de personnes atteintes de handicap, les Esat (établissements et services d’aide par le travail) se différencient peu des entreprises classiques. Il s’agit de structures dont les types d’activité tendent à se diversifier et qui, le plus souvent, se retrouvent confrontées aux mêmes questions de santé et sécurité au travail que l’ensemble du monde professionnel. À ceci près que les capacités intellectuelles ou psychiques de leur personnel demandent une écoute et un soutien particuliers.

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Céline Ravallec, Katia Delaval, Lucien Fauvernier, Damien Larroque - 02/11/2022
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Travailleurs dans l'Esat ACAIS

Près de 1 500 établissements répartis sur toute la France pour 120 000 équivalents temps plein – soit 122 000 à 125 000 personnes. Tout un monde. Un monde du travail particulier, mais un monde du travail à part entière. Anciennement centres d’aide par le travail (CAT), les Esat (établissements et services d’aide par le travail) sont des lieux de production et de services aux activités professionnelles très variées. Ils se différencient des entreprises classiques par l’emploi à 100 % de personnes atteintes de handicap au sein de leurs ateliers de production ou de services. Structures médico-sociales de travail protégé, les Esat visent, à travers un accompagnement par le travail, l’insertion ou la réinsertion professionnelles.

En moyenne, un Esat compte autour de 85 places de travailleurs handicapés pour huit activités différentes, avec néanmoins d’importantes disparités. Les travailleurs de ces établissements ne dépendent pas du Code du travail mais du Code de l’action sociale et des familles. Ils ne sont donc pas salariés, mais « usagers » ou « bénéficiaires », et perçoivent une rémunération – non un salaire – complétée par l’allocation adulte handicapé. Les encadrants, moniteurs, administratifs de ces Esat relèvent quant à eux du régime général et sont donc salariés.

« Aujourd'hui, les Esat sont des acteurs de l'économie locale »

« Si la loi de 2005, qui a transformé les CAT en Esat, a défini le statut juridique des travailleurs en Esat, celui-ci est hybride, souligne Didier Rambeaux, président de l’association de directeurs d’Esat Andicat et directeur du pôle industriel de l’Adapei (Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales) de la Meuse. Il y a tout un tas de vides juridiques. Pourtant, il existe un lien de subordination, une rémunération garantie, et ils produisent un travail. Ce sont des acteurs de la vie économique et des citoyens à part entière. »

Les vides juridiques peuvent d’ailleurs être à l’origine d’interprétations, de biais, d’abus parfois, mais c’est là un autre sujet… « Les travailleurs en Esat n’ont certes pas le statut de salarié, mais ils ont quand même des droits en tant qu’assurés, notamment à l’Assurance maladie, à la retraite, au CPF, c’est donc à ce titre qu’ils bénéficient de nos conseils », observe Jean-Sébastien Béjard, contrôleur de sécurité à la Carsat Centre Ouest.

Des activités qui se diversifient

Dans les années 1990, de nombreuses industries, qui étaient les donneurs d’ordres des CAT, se sont délocalisées. « Il a fallu repenser la politique économique de ces structures, envisager un virage à 180° », relate Didier Rambeaux. Les CAT ont alors commencé à revoir leur politique industrielle, à se positionner sur des marchés concurrentiels. « Aujourd’hui, les Esat sont des acteurs de l’économie locale, poursuit-il. Ils répondent à des appels d’offres, développent des compétences pour y répondre, d’où la diversité des activités et des métiers que l’on y observe de plus en plus. Ils se lancent dans de nouvelles activités et en arrêtent d’autres. L’anticipation et l’adaptation sont incontournables dans la vie des Esat. » Actuellement, les Esat sont structurés en quatorze filières, représentant plus de 200 métiers : artisanat, construction et bâtiment, impression/reprographie/marquage, restauration/hébergement/services touristiques, communication et marketing, prestations intellectuelles, services généraux/prestations administratives, production alimentaire…

Travailleuses dans l'ESAT des Ateliers de la forêt

Parallèlement, on assiste également à une évolution du public accueilli depuis une quinzaine d’années. « Avec les progrès de la médecine et la reconnaissance du handicap psychique dans la loi de 2005, on rencontre de plus en plus d’usagers souffrant de troubles ou maladies psychiques, de l’ordre d’un quart à un tiers des effectifs, poursuit Didier Rambeaux. On approche d’un moment de bascule où la majorité des travailleurs en Esat souffriront de pathologies psychiques et non plus de handicap mental, ce qui représentait initialement l’essentiel du personnel des CAT. » S’y retrouvent ainsi des personnes qui ont connu des accidents de vie, ont parfois vécu dans la rue, mais avec une expérience professionnelle en milieu ordinaire. Ce sont par conséquent souvent des personnes qui présentent des compétences, sont diplômées (parfois d’études supérieures), ont le permis de conduire, mais ne sont plus à même de travailler dans le milieu ordinaire.

Face à ces évolutions de fond, l’accompagnement des missions des Esat s’appuie aujourd’hui sur deux grands piliers : l’élévation du niveau de compétences, par la formation, et l’amélioration des conditions de travail. « Ces deux dernières années, sept structures sur dix ont fait évoluer leur appareil de production, ont investi dans la recherche et développement ou obtenu des certifications (NDLR : selon l'Observatoire national économique 2020-2021 des achats responsables auprès des Esat-EA), détaille Yohan Rey, chef de projet au réseau Gesat, association qui met en relation les Esat et les clients, publics et privés. Et près de la moitié ont investi dans des formations professionnelles des travailleurs handicapés. »

Multiactivité, multirisque

Des formations sur tous les sujets, mais notamment en santé et sécurité au travail (SST), sont en effet de plus en plus délivrées aux publics des Esat. Christine Babouillard, formatrice en SST à l’Irfa (Institut régional de formation des adultes) de Bourgogne-Franche-Comté, a constaté ces évolutions : « Depuis le début des années 1990, il y a une demande de formations pour les travailleurs handicapés, que ce soit sur l’autonomisation dans la vie quotidienne, l’orientation professionnelle ou sur des sujets de santé et sécurité. » Elle a d’ailleurs eu l’occasion d’intervenir dans le cadre de formations Prap (prévention des risques liés à l’activité physique) en Esat ces dernières années. En veillant à adapter les formats de sessions aux capacités de compréhension ou de lecture de ce public sans toucher au contenu.

« On organise des intersessions de 2 jours + 1 jour (au lieu de 2 jours dans le format classique), en petits groupes, afin que les parties théoriques soient rapidement suivies de mises en pratique, explique-t-elle. Des études de poste sont réalisées en atelier, pour rester dans le concret, verbaliser et permettre l’évaluation formative. Le côté certifiant est une reconnaissance aussi pour les travailleurs. »

UN PEU D’HISTOIRE

Créés par un décret en 1954, les centres d’aide par le travail (CAT), devenus en 2005 les Esat, relevaient souvent de l’activité occupationnelle. Fondés par des associations de parents d’enfants handicapés, ils visaient à assurer à ces derniers une activité et une vie sociale dans un environnement protégé. Les handicaps présents alors étaient souvent lourds : déficience mentale, trisomie, handicap moteur… « Il s’agissait beaucoup de sous-traitance, remarque Didier Rambeaux, président de l’association Andicat qui regroupe près de 90 % des dirigeants d’Esat et lui-même directeur du pôle industriel Adapei Meuse. Ce n’était pas toujours le travail le plus épanouissant, car il s’agissait de tâches simples et répétitives, comme du conditionnement de pièces. » Ces activités traditionnelles de sous-traitance ont progressivement évolué vers davantage de prestations de services et de productions.

Pour autant, un Esat étant un lieu de travail durable, se pose de façon conjointe la question de la qualité de vie au travail des personnes accueillies. Là aussi, les choses bougent. « Les travailleurs sont les mieux placés pour prendre en charge leurs conditions de travail, insiste encore Didier Rambeaux. Ce sont eux qui connaissent le mieux leur activité, d’où l’importance de leur donner la parole. On a trop longtemps parlé à leur place. »

L’amélioration des conditions de travail constitue un effort continu, de longue haleine. Au début, le processus s’était plutôt traduit, parfois par facilité, par l’attribution d’équipements de protection individuelle. Désormais, avec l’approche plus industrielle des activités des Esat, et le travail réalisé par les équipes et l’encadrement, les démarches de prévention conduisent davantage à des solutions de protection collective. Et en améliorant les conditions de travail, la productivité progresse, même si ce n’est pas le but recherché. La plupart des travailleurs d’Esat ont des projets professionnels sur trois à cinq ans.

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