Ce site est édité par l'INRS
Les établissements et services d’aide par le travail (Esat)

La prévention des risques intégrée dès la conception des locaux

À Tinqueux, dans la Marne, les Ateliers de la Forêt ont ouvert une légumerie. Dès la conception, la prévention des risques professionnels a été au cœur du projet. Et les travailleurs ont été accompagnés dans l’apprentissage de cette nouvelle activité.

5 minutes de lecture
Katia Delaval - 02/11/2022
Lien copié
Des travailleurs de l'Esat Les ateliers de la forêt.

Pommes de terre, carottes, oignons et poireaux cultivés localement sont préparés dans la toute nouvelle légumerie des Ateliers de la Forêt. Sur le site de Tinqueux, dans la marne, 18 travailleurs, accompagnés de trois moniteurs, s’emploient à les préparer afin qu’ils puissent être cuisinés en restauration collective. Deux salles de production – équipées d’une ligne d’épluchage et de découpe automatisée –, une laverie et trois chambres froides : 400 m2 sont dédiés à cette activité. La structure fait partie de l’Esat des Papillons Blancs en Champagne qui propose également des travaux de blanchisserie, de cartonnage, des petits travaux de rénovation, d’entretien de locaux et d’espaces verts… « Les travailleurs présentent des handicaps mentaux et des niveaux d’autonomie différents : on s’efforce de trouver avec eux les métiers qui leur correspondent », explique Hervé Monard, directeur de l’Esat.

L’idée d’ouvrir une légumerie naît en 2017, quand le prestataire de restauration de l’établissement en recherchait vainement une dans le département. « J’ai vu que des Esat proposaient ce type de prestations », se souvient Loïc Flamand, directeur du pôle travail et insertion professionnelle des Papillons Blancs en Champagne, l’association qui gère l’Esat. La visite de trois légumeries le convainc de la faisabilité du projet, compte tenu des potentialités des travailleurs et de l’espace disponible. Elle permet aussi de repérer les pièges à éviter en matière de sécurité et de conditions de travail, et de réfléchir à des adaptations possibles aux capacités des usagers. « Dans les légumeries que nous avons visitées, l’évacuation de l’eau par exemple y était difficile, présentant un risque de glissade, souligne-t-il. Et beaucoup de raclage était nécessaire. » Autant de sollicitations physiques inutiles. Pour éviter cela, deux caniveaux à grilles crantées et trois bouches d’évacuation ont été prévus dans les deux salles de production.

UNE ASSOCIATION À MULTIPLES VOCATIONS

Les Papillons Blancs en Champagne est une association de parents de personnes déficientes intellectuelles, polyhandicapées ou atteintes de troubles envahissants du développement. Elle soutient plus de 1 000 enfants et adultes, au sein de 28 établissements et services. Elle intervient dans les domaines de l’éducation, du travail et de l’hébergement, médicalisé ou non. Son pôle travail et insertion professionnelle accompagne dans l’emploi près de 340 personnes en situation de handicap dans deux Esat – Les Ateliers de la Forêt et Les Ateliers de la Vallée – et dans deux entreprises adaptées. Aux 185 travailleurs en situation de handicap s’ajoutent 40 salariés sur les sites de Tinqueux et de Pouillon des Ateliers de la Forêt. « Si la rentabilité économique est une nécessité pour l’établissement, notre vocation est d’accompagner nos travailleurs, dans leur vie professionnelle et personnelle », souligne Loïc Flamand, le directeur du pôle travail  et insertion professionnelle de l’association.

Le port de charges ressortait également comme un point de vigilance. La prévention des risques, en particulier des troubles musculosquelettiques (TMS), était en effet un point central du projet. L’ergonome du service de santé au travail et un consultant en agroalimentaire ont notamment contribué à leur bonne prise en compte, dès la conception, tout en répondant aux exigences d’hygiène de l’activité : organisation des locaux selon le principe de marche en avant, revêtements de sols antidérapants et facilement nettoyables… Lors d’une réunion organisée en 2019, chaque poste de travail est passé en revue afin de s’assurer que tous les risques professionnels ont bien été identifiés et réduits au maximum. Le contrôleur de sécurité de la Carsat Nord-Est, le médecin du travail, l’inspecteur du travail et les membres du CHSCT apportent certaines améliorations au projet avant le lancement des travaux.

Un processus rodé

Dans la première salle, dédiée au lavage et à l’épluchage, quatre travailleurs coupent les extrémités des carottes sur une table équipée de deux trémies d’évacuation des déchets. Ils récupèrent les légumes dans une cagette et les posent éboutés dans une autre. Le tout est à hauteur et sur roulettes. Cela permet de déplacer les produits sans les porter, depuis les chambres froides ou vers la ligne entièrement automatisée d’épluchage et de découpe, et évite des gestes répétitifs. Le chargement de la ligne, pour l’instant manuel, est amené à être automatisé, quand les volumes seront plus importants. D’abord prélavés, les légumes sont emportés par un convoyeur vers la parmentière pour être épluchés.

À l’issue de cette opération, les carottes sont déversées sur un autre convoyeur où les usagers isolent celles qui sont insuffisamment épluchées, pour les reprendre manuellement avec un économe. « Nous sommes en train d’optimiser les cycles de la machine pour réduire les reprises, sources potentielles de TMS, tout en limitant les pertes de matière », indique Loïc Flamand. Une fois passé le contrôle qualité, les légumes atteignent le bac de lavage. Après le lavage, les légumes arrivent en bout de ligne, de l’autre côté de la cloison vitrée dans l’un des trois paniers à essorage.

« On s'efforce de trouver avec les travailleurs des métiers qui leur correspondent »

Les quatre travailleurs de cette seconde salle s’occupent de l’essorage, de la pesée et du découpage. Puis l’un d’eux verse les rondelles dans un sachet tenu par ses collègues sur la balance, positionnée à hauteur de coudes. Les légumes sont conditionnés par sacs de 5 kg. Le moniteur Yannick Lestrat s’occupe de l’étiquetage des sachets scellés, tâche pour laquelle les travailleurs sont encore en cours d’apprentissage. « On teste pour voir ce que les équipes peuvent prendre en charge », explique-t-il.

Des travailleurs de l'Esat Ateliers de la forêt nettoient l'espace de travail.

À la fin de la production, les équipes effectuent le lavage des machines, des ustensiles et des locaux. Deux enrouleurs évitent aux tuyaux de traîner au sol et une centrale de dilution des produits de nettoyage a été installée dans chaque salle. Les clients, comme les producteurs de légumes, étant situés dans un rayon de 30 km, les livraisons sont pour le moment assurées par un travailleur et un moniteur, « le temps de réfléchir à des solutions pour les manutentions sur les sites extérieurs », indique Virginie Roch, responsable des activités de production.

UN ACCOMPAGNEMENT PROFESSIONNEL PERSONNALISÉ

Les postes à la légumerie ont été proposés aux travailleurs et aux moniteurs sur la base du volontariat. Beaucoup d’usagers étaient partants pour ce projet qui a été réfléchi avec eux lors de l’élaboration de leurs objectifs professionnels annuels, qui fait partie de leur accompagnement professionnel personnalisé. Le médecin du travail, qui suit chacun d’entre eux tous les deux ans, a été sollicité pour prendre en compte les possibilités de chaque individu, en fonction des conditions particulières de l’activité (travail debout, en atmosphère froide et humide notamment). Une visite de légumerie a été organisée au préalable pour que les volontaires visualisent la nouvelle activité. « Dans le cadre de leur projet personnalisé d’accompagnement, ceux qui le souhaitent ont également la possibilité de travailler sur les deux sites ou dans plusieurs ateliers », précise Loïc Flamand, directeur de pôle.

À l’ouverture de la légumerie, en avril 2021, des formations adaptées respectivement aux moniteurs et aux usagers ont été réalisées par le consultant en agroalimentaire, qui avait déjà accompagné d’autres légumeries. « Il nous a expliqué tranquillement et les moniteurs nous montrent plusieurs fois comment faire », témoigne Jean-Marie Stoessel, qui travaille en salle de découpe. « On apprend beaucoup de choses. C’est un peu plus compliqué mais c’est intéressant », apprécie pour sa part Noémie Thiour, qui travaillait précédemment au cartonnage. « C’est un nouveau métier pour tous », insiste Hervé Monard.

La légumerie ne fonctionne pas encore à plein régime : à terme, jusqu’à 400 tonnes de légumes par an pourront y être préparées. La demande locale est forte mais l’idée est d’y aller progressivement. « On leur laisse le temps d’acquérir les gestes, comme on avait fait pour la blanchisserie, qui traite aujourd’hui quotidiennement 500 kg de linge », conclut Virginie Roch.

Partager L'article
Lien copié
Les articles du dossier
Les établissements et services d’aide par le travail (Esat)

Sur le même sujet