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Démantèlement ferroviaire

Des innovations au service de matériels en fin de vie

Ouverte il y a deux ans, l’usine de dépollution et de démantèlement de matériels roulants et non roulants de DI Environnement présente de nombreuses innovations sur l’ensemble de son process. Avec en point d’orgue une cabine de dépollution entièrement robotisée.

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Céline Ravallec - 16/06/2023
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[Article paru dans le numéro de Travail & Sécurité de janvier 2023]

Aux commandes d’un engin mécanique, un opérateur désosse l’intérieur d’une voiture d’un vieux train Corail à travers les fenêtres dont les vitres ont été préalablement déposées. Délicatement mais fermement, il extrait des fauteuils et les éléments de bardage en aluminium. La carcasse de la voiture grince, craque, oscille au gré des manipulations, des résistances rencontrées. « C’est parfois dur à démonter, explique Luis Carvalhais, le conducteur de la pelle. On réalise que ces trains ont été très bien pensés et construits pour que tout tienne en cas de déraillement. Ce que l’on retire ici à la pelle allège ensuite énormément la charge de travail des collègues. Ils auront beaucoup moins à porter et à manipuler. Ça les expose à moins de risques. »

Nous sommes sur le site de l’usine de démantèlement ferroviaire de DI Environnement, sur la commune de Chalindrey, en Haute-Marne. L’histoire et la culture ferroviaire y sont très ancrées, avec la présence d’un nœud ferroviaire entre les réseaux de l’est, du sud et du nord de la France. Ces dernières années, cette commune a vu arriver cette nouvelle activité de démantèlement de trains. L’usine a été conçue sur mesure pour l’activité, et calibrée en fonction des volumes prévisionnels de production. « Quand j’ai découvert l’existence de la brochure ED 950 de l’INRS, j’ai mieux dormi », raconte en souriant Vernon Dollander, directeur du site.

Au cœur de l’activité se trouve une étape clé : la dépollution des trains. C’est elle qui définit l’ensemble du process ainsi que les contraintes associées en matière de santé et sécurité au travail, de sécurité du site (incendie, intrusion…), d’environnement, etc. En activité depuis tout juste deux ans, l’usine apporte de nombreuses innovations techniques dans le traitement des trains en fin de vie. Et, de fait, améliore les conditions de travail des salariés. Avec une innovation majeure : la robotisation complète de la dépollution des voitures.

Curage vert et curage rouge

« Les éléments constituant les cabines de décapage sont des produits catalogue, souligne Vernon Dollander. Mais la conception, l’assemblage et l’utilisation des éléments, propres à DI Environnement, sont totalement novateurs. » Grâce à ce procédé, il n’y a plus besoin de présence humaine pour réaliser l’opération, donc plus aucune exposition aux polluants chimiques CMR (cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction) lors de la phase la plus critique.

L’usine, qui compte actuellement 26 salariés, possède deux lignes de démantèlement, mises en service à six mois d’intervalle afin, progressivement, de monter en charge et de bénéficier sur la seconde du retour d’expérience de la première. Lorsque les trains arrivent ici, ils ont fait l’objet d’un ATS (avant-travaux spécifiques) de radiation : les batteries, les fluides calorifiques et les extincteurs ont été préalablement retirés. Hormis ces composants, tout ce qui constitue les anciens trains Corail est encore présent. Le traitement se déroule ensuite suivant deux phases : un curage vert et un curage rouge.

Le curage vert consiste à retirer tous les éléments qui ne sont pas au contact de polluants dangereux pour la santé : vitres, rideaux, sièges, porte-bagages, câblages électriques… Cette phase se décompose en trois étapes : l’ébauche, qui est effectuée par un engin mécanique depuis l’extérieur ; la semi-finition, qui consiste à intervenir à l’intérieur de la voiture à l’aide d’une autre minipelle aux dimensions adaptées ; enfin, la finition intérieure, au cours de laquelle les composants résiduels sont retirés manuellement.

Le curage rouge qui suit est réalisé en « zone blanche ». Celle-ci s’étend sur 100 mètres linéaires. La zone, totalement hermétique, est mise en dépression, avec renouvellement d’air à raison de 200 000 m3/h. Le curage rouge se décompose aussi en trois phases. La première concerne le retrait des éléments au contact de polluants, notamment la laine de verre, accolée à des revêtements bitumineux. L’intervention ici est réalisée manuellement. Les opérateurs doivent suivre un protocole de sécurité adapté, être équipés de combinaisons intégralement étanches, de masque à ventilation assistée ou à adduction d’air et passer sous les douches de décontamination en fin de chaque vacation.

Un air essoré

Une fois cette étape réalisée, la voiture passe en cabine de grenaillage. C’est ici qu’intervient le robot de décapage. Un bras robotisé 8 axes, fixé sur un pont roulant, réalise l’opération sur l’ensemble des parois où est présent l’insonastic, une peinture bitumineuse insonorisante et antivibratile qui peut contenir de l’amiante. La présence humaine n’est plus nécessaire dans cette cabine. Tout est contrôlé à distance, sur écran. Le robot intervient suivant un programme développé au préalable en interne. Toute l’usine a été construite autour de cette cabine de grenaillage. C’est elle qui régit l’ensemble de l’activité et qui donne le tempo.

Enfin, le contrôle libératoire consiste à vérifier l’absence de tout polluant CMR avant la sortie de la voiture de la ligne. Une fois sortie de la cabine de grenaillage, la voiture reste dix heures dans un flux d’air continu qui « essore » l’air ambiant pour l’assainir et le débarrasser des fibres résiduelles. « Les mesures en zone ont montré qu’au bout de deux heures, on est à zéro fibre, mais on laisse les voitures y séjourner pendant dix heures », explique le directeur. Au terme de ce contrôle, les carcasses d’acier des voitures sortent de l’usine et sont prises en charge par un prestataire qui les découpe et récupère l’acier pour le revendre.

Les réflexions sur la mise au point de la cabine de grenaillage remontent à plus de cinq ans. Il s’agit d’une première en France, et même au monde, selon les dires du directeur de site. La modélisation informatique de l’intervention du bras robotisé est programmée en se basant sur une maquette 3D réalisée à l’échelle 1 en interne, à partir de relevés sur la voiture. « Cela demande une dizaine d’heures de programmation pour chaque configuration de voiture », explique Florian Leclerc, sasman, devant son écran d’ordinateur. L’usine reçoit 70 types de voitures. Selon le sens dans lequel elles entrent dans le bâtiment, cela représente 140 configurations possibles.

« Dans les premiers temps, le robot demandait une attention permanente et, parfois, il était nécessaire de repasser après, commente-til. Aujourd’hui, un contrôle visuel suffit pour s’assurer de l’absence d’enduits sur les aciers traités. On a fait beaucoup de progrès par rapport aux débuts sur l’utilisation du robot, mais aussi sur sa maintenance, sa programmation. Il a été conçu initialement pour des opérations de peinture, ou de grenaillage classique. Nous sommes les seuls à l'avoir adopté et à l’utiliser pour dépolluer. »

Outre la soustraction au risque, cet outil procure aujourd’hui un gain de productivité significatif : ce qui est fait en une douzaine d’heures par le robot nécessiterait quatre journées de travail par quatre ou cinq opérateurs. Et, point essentiel, « avec cette organisation, on produit jusqu’à 30 fois moins de déchets qu’avec des outils classiques, insiste Vernon Dollander. Outre les déchets issus du décapage, dont le volume est bien inférieur qu’avec du sablage, il n’y a plus besoin des équipements de protection individuelle pour les opérateurs, qui doivent être jetés à la fin de chaque vacation, et représentent des volumes de déchets non négligeables. »

Au-delà des risques engendrés par le retrait des polluants, la conception de l’usine a pris en compte l’ensemble des risques professionnels. Son infrastructure a été réalisée en fonction du process. Ainsi, la façade comprend une alternance de grandes et de petites portes pour positionner des bennes de récupération des différents composants : aluminium, cuivre, déchets industriels banals. « Le process mis en place supprime un grand nombre de manutentions manuelles, ainsi que les risques de chutes », constate Régis Fenard, contrôleur de sécurité à la Carsat Nord-Est. Le nombre de manutentions manuelles, estimé à 10 000 avec un mode opératoire classique, serait réduit de moitié ici grâce à l’ensemble des équipements.

« Il n’y a pas d’école pour démonter des voitures Corail, pas de plan existant sur des véhicules qui ont plus de 50 ans d’âge, explique Vernon Dollander. C’est pourquoi, depuis deux ans et demi, on n’arrête pas de chercher de nouvelles techniques pour s’améliorer. » En témoigne l’utilisation de la minipelle dont les dimensions permettent de la faire entrer à l’intérieur des voitures à désosser. Un seul modèle avec de telles dimensions existe en France, et avec les caractéristiques nécessaires : petit gabarit, moteur électrique, puissance suffisante. Il a fallu trouver ses marques et, dans les premiers temps, il y a eu beaucoup de casse de matériel.

Une prime à la bonne idée

« Avant d’acquérir cette minipelle, nous avions commencé à envisager l’utilisation d’un exosquelette, relate Vernon Dollander. Mais ça n’était pas au point par rapport à nos besoins et cela demande encore des développements avec les fabricants. » Les réflexions continuent à être menées tous azimuts. Un travail permanent de veille est réalisé pour trouver les outils adaptés et répondant aux spécificités et contraintes de l’activité. Outre la mini-pelle, on peut citer un tracteur dédié pour positionner les voitures en zone blanche, sans risque de contamination entre les zones de curage vert et de curage rouge.

Couloir technique de la zone de curage rouge.

Tout le personnel est associé aux réflexions. « On peut proposer des idées d’amélioration, témoigne Luis Carvalhais, opérateur pelle. On a par exemple récemment suggéré un système pour mieux bloquer les roues des voitures sur les rails en début de ligne. » Car les secousses sont nombreuses lorsque la pelle tente de désolidariser les différents éléments des voitures. « Depuis le début de l’activité ici, il y a une dynamique de réflexion ininterrompue pour améliorer constamment l’outil de travail : tout le monde peut proposer des idées. Si l’une d’entre elles est retenue, il y a une présentation du principe, une validation par les équipes, et une prime à celui qui l’a apportée. En plus, il devient garant de la technique auprès des copains. » En témoigne par exemple le carter installé sur le bras de la minipelle pour protéger les flexibles et le vérin, qui a été adopté par tous.

L’entreprise tire des enseignements permanents de ses expériences, pour alimenter une amélioration continue. Le marché actuel de l’usine de Chalindrey porte sur 1 300 voitures Corail à traiter en dix ans. Et l’horizon devrait assez rapidement s’élargir vers d’autres matériels roulants tels que des métros, des tramways. Voire d’autres types de véhicules, « tant qu’ils peuvent entrer dans le bâtiment », conclut le directeur.

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