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Fabrication de deux-roues

Le travail à la chaîne se met dans la roue de la modernité

L’usine Yamaha de Rouvroy, dans l’Aisne, fabrique des scooters et des motos. Les activités sont particulièrement variées au sein de ses différents ateliers. Chacun a fait l’objet de réflexions et d’actions mises en œuvre pour améliorer les conditions de travail.

8 minutes de lecture
Céline Ravallec - 05/05/2023
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Pour les nostalgiques et amoureux de belles bécanes, l’année 2023 marque le centenaire de Motobécane. Initialement spécialisée dans la fabrication de vélos, la marque a suivi les évolutions de la société, passant à la production de mobylettes dans les années 1950, puis de scooters dans les années 1980 et enfin de motos. Le site de Rouvroy, dans l’Aisne, ouvert au début des années 1960, a été témoin des transformations de l’activité. Aux plus grandes heures, jusqu’à un million de mobylettes en sortaient chaque année, et jusqu’à 5 000 salariés y travaillaient (contre 700 aujourd'hui).

Rebaptisée MBK dans les années 1980, l’entreprise a été rachetée par Yamaha en 1986. « La firme japonaise a apporté ses techniques de production (Kanban, Poka-Yoke, suivi de qualité) et s’est orientée vers des produits plus haut de gamme… », explique François Mazure, directeur général. Aujourd’hui, trois grandes familles de produits sortent du site de Rouvroy : des maxi scooters, des motos de cylindrée 125 cm3 et 700 cm3.

Trois lignes d’assemblage leur sont dédiées. Si toutes les pièces constituant les deux-roues ne sont pas fabriquées ici, l’usine héberge une large diversité d’activités et de nombreux métiers : injection plastique pour des pièces de carénage, soudage pour la fabrication des cadres métalliques, peinture, assemblage, logistique. Le site a été ciblé il y a quelques années par le programme national TMS Pros. « Nous avons travaillé avec la Carsat Hauts-de-France sur ce sujet, mais nous avions déjà la méthode. Le programme TMS Pros est surtout venu nous conforter dans notre approche », explique Catherine Lafitte, infirmière du travail sur le site.

Réorganisation et rotation

L’activité de peinture compte deux ateliers, l’un automatisé et l’autre en application manuelle. Dans la partie robotisée, après avoir été accrochées sur les mâts, les pièces suivent un circuit fermé pendant un cycle de quatre heures, qui se termine par un contrôle visuel. « Tous les ans, le service sécurité, la CSSCT et le service de santé organisent une analyse des risques », observe Sébastien Delebarre, agent de maîtrise sur l’installation robotisée.

Dans le cadre du plan régional santé 2017-2018, Catherine Lafitte a effectué une étude sur l’exposition aux troubles musculosquelettiques (TMS) des épaules chez les peintres manuels. Cette étude a été réalisée à l’autre atelier peinture, à partir d’observations aux postes et d’entretiens infirmiers. « Il en a résulté une réorganisation de l’activité, avec instauration d’une rotation aux postes toutes les deux heures, afin de varier les gestes, les postures, les sollicitations des articulations et des membres supérieurs, remarque-t-elle. Quelques réticences ont été exprimées dans les premiers temps, mais aujourd’hui l’organisation est bien adoptée. »

À l’autre bout du bâtiment, l’atelier de soudure a fait l’objet d’un projet de réduction des émissions de fumées de soudage. Ici sont soudés les différents éléments métalliques composant les cadres des motos et des scooters. L’atelier compte 45 personnes, en grande majorité des soudeurs. Les cabines de soudage – robotisées ou manuelles – sont alignées. « Nous avons cherché à mener de front plusieurs actions pour aboutir à un résultat satisfaisant », explique Benoît Trouillet, le directeur de production. Celles-ci se sont appuyées sur quatre axes : dégraisser en amont les pièces pour éviter la présence d’huile et, ce faisant, l’émission de fumées lors des opérations de soudage ; améliorer la performance des aspirations de fumée ; s’équiper de générateurs (cold metal transfer) à l’origine de moins d’émissions de fumées ; enfin mettre à disposition des protections individuelles de qualité.

« C’était nécessaire de mener les quatre en parallèle car si on n’avait pas fait l’ensemble, on ne serait pas arrivés aux mêmes résultats », poursuit-il. À la laveuse, les pièces passent dans un bain de lavage, puis un bain de rinçage avant le séchage, suivant un cycle de sept minutes. L’opérateur doit manipuler les bacs de pièces détachées pour alimenter la machine. « Dans une optique d’amélioration continue, on travaille à réduire ces manutentions, commente Francis Niarquin, le chef d’atelier. Une des idées pour l’avenir est de déballer directement les pièces sur la ligne, afin de supprimer cette manutention intermédiaire. »

« Ça n’a pas été simple pour tout le monde, mais on ne pourrait plus s’en passer aujourd’hui ! »

Au niveau des cabines de soudage, les aspirations de fumées ont été optimisées avec l’aide d’une société extérieure, qui a refait les calculs et les équilibrages d’aspiration. Dans les cellules avec robots, afin de permettre d’assainir l’air de la cabine avec l’aspiration, l’ouverture du rideau n’intervient que quelques secondes après la fin de l’opération. Le port de cagoule, nécessaire pour le soudage manuel, est également imposé lors du chargement et du déchargement des pièces dans les cabines. « On a tous été équipés de cagoules ventilées, souligne Gérald Dessaint, soudeur et secrétaire de la CSSCT depuis le début de l’année. Il a fallu s’adapter au début… Ça n’a pas été simple pour tout le monde, mais on ne pourrait plus s’en passer aujourd’hui ! »

L’injection plastique est l’une des activités les plus récentes du site. L’atelier, mis en service en mars 2015, fabrique des pièces de carénage et quelques pièces structurelles. Il comporte deux presses à injection : une de 1 000 tonnes et une de 1 800 tonnes. Le process est très automatisé, avec protections intégrées aux machines. Les interventions humaines se limitent essentiellement au pilotage de machine et au contrôle. Les changements de moules se font au pont roulant. L’opération de contrôle et d’ébavurage en sortie de ligne, restée manuelle, bénéficie d’éclairages adaptés. « Sur les nouvelles activités, une analyse des risques a priori est intégrée », insiste Raphaël Pessey, le responsable des services généraux.

Trois lignes de montage

Une fois toutes ces étapes de fabrication réalisées, les pièces convergent vers les lignes d’assemblage. Elles ont aussi fait l’objet d’aménagements ces dernières années. Objectif : réduire les manutentions de pièces et l’exposition aux TMS pouvant résulter des gestes répétitifs et de cadences soutenues. Environ 300 personnes travaillent – à deux par poste – sur les trois lignes, soit près de la moitié de l’effectif total du site de Rouvroy. Afin de limiter les sollicitations des membres supérieurs, des palans ont été installés pour manutentionner les éléments les plus lourds. Des chariots, portant les sous-ensembles de pièces à monter, sont préparés puis disposés au plus près des postes sur la ligne. Certains sont acheminés par des AGV (véhicule à guidage automatique), des robots autonomes.

Sur la ligne B, les motos de 125 cm3 se succèdent sur 18 postes, passant entre les mains de 36 opérateurs et opératrices, avec une moyenne de 3 minutes par poste. Certains outils (les visseuses-dévisseuses, par exemple) sont suspendus pour permettre des manipulations à gravité zéro. Les postes bénéficient d’un éclairage adapté. « Il y a plusieurs niveaux d’éclairage, explique Vincent Berteaux, le responsable de production : les globes, positionnés le plus haut, pour un éclairage large des lignes ; les néons, plus orientés vers les postes sur la ligne ; et enfin un éclairage directionnel aux tables de préparation. »

À ces postes de préparation, des tables ergonomiques à hauteur variable ont été disposées. Au plus près de la ligne, des prototypes de servantes, servant à la fois de porte-outils et de réserve de petites pièces pour visserie, ont été réalisés en interne et ont fait l’objet de tests. Les outils y sont disposés dans l’ordre de leur utilisation. « Les essais étant concluants, ces servantes ont été déployées sur la ligne C, et on a passé commande pour les déployer sur les autres lignes », poursuit-il. Stéphane Bussy, un monteur, a suivi une formation d’ergonomie en 2022. À cette occasion, il a acquis les connaissances pour mener des études aux postes de travail.

« Pour prévenir les TMS, on est attentifs aux poids portés et aux hauteurs de travail, témoigne-t-il. J’ai pu réaliser des analyses complètes, après observation de certains postes de travail – vidéos, chronométrages, grilles de ressenti, discussions avec les opérateurs. On cote les postes sur différents critères, et les résultats obtenus nous aident à hiérarchiser les actions à mener. » Le réaménagement des bords de la ligne C est en cours, puis ce sera le tour de la ligne E. « Les postes de préparation aux abords des lignes sont encore à organiser sur certains secteurs, et l’espace disponible nous impose de repenser et optimiser nos modes de fonctionnement », considère encore Vincent Berteaux.

Changement de culture

« Depuis quelques années, on constate un changement de culture en interne, estime Catherine Lafitte. Le service méthodes prend en compte les sujets d’ergonomie et de conditions de travail dès que se lance un projet d’aménagement. Les méthodistes se sont approprié la question dans leurs réflexions. » Ainsi, cinq groupes de travail ont spontanément vu le jour sur plusieurs sujets de réaménagement : bureaux, peinture, logistique... Un comité de pilotage a été créé en 2016 pour coordonner les différentes actions qui émergent au sein de l’entreprise et en assurer un pilotage plus centralisé. « Dans l’atelier roues, le circuit des pièces a été rationnalisé, explique Gérald Dessaint. Là où les roues étaient positionnées à 1 , 70 m de hauteur, il a été décidé de refaire tous les chariots pour que les roues soient plus bas et donc plus faciles à saisir. »

UN ATELIER DE VÉLOS ÉLECTRIQUES

Un nouvel atelier d’assemblage de vélos électriques est ouvert depuis novembre 2022. Trois types de vélos électriques y sont assemblés. La ligne, flambant neuve, sous un éclairage puissant, voit défiler les cadres de vélo sur des convoyeurs aériens. L’atelier est en cours de montée en puissance. Actuellement, 88 vélos sont assemblés chaque jour et prêts à repartir : roues avant, selle, sonnette, gonflage des pneus. « Avant, c’était un lieu de stockage. On a créé un atelier dans l’atelier, explique Gérald Dessaint, totalement refait à neuf, avec bardage chauffé. » Dix personnes, dont sept dédiées à la ligne, travaillent ici. Les hauteurs de travail et angles d’inclinaisons sont ajustables à chaque poste par la personne qui l’occupe. Les supports vélos sur les convoyeurs se lèvent, se baissent, s’inclinent et pivotent à la demande. « C’est bien, mais tout se fait en manuel pour manipuler les supports, témoigne Amandine Dacquet, une opératrice. Ça aurait été encore mieux de pouvoir faire les réglages en appuyant sur un seul bouton. »


© Gaël Kerbaol/INRS/2023

Depuis le début de l’année, des minutes sécurité-environnement-énergie sont également instaurées tous les jours en début de poste, animées par les agents de maîtrise. « Chaque fin de semaine, on sait quels seront les sujets à aborder la semaine suivante. Ça nous donne un cadre, c’est bien, commente Nicolas Radix, agent de maîtrise sur la ligne E. On discute ainsi de divers risques liés aux postes de travail : manutentions, chutes de plain-pied, chutes de hauteur… Ça oblige à aborder au moins une fois par jour le sujet, ça suscite des questions et éveille les esprits à ces thèmes. »

De nouveaux projets d’activité se profilent également, à l’image d’un futur atelier de production de petits moteurs électriques, dont l’ouverture est prévue au premier trimestre 2024. « La sécurité y sera intégrée, remarque François Mazure. Nous avons un budget annuel consacré à la réduction de la pénibilité du travail. Mais ça demande du temps. Nous avons hérité de bâtiments anciens. Quand il y a création de nouveaux ateliers ou arrivée de nouvelles activités, nous essayons d’installer des équipements de dernière génération. » Pour ce futur atelier de moteurs électriques, le service méthodes étudie déjà les flux de pièces et réfléchit à rationaliser les flux de production et optimiser les conditions de travail.

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