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Analyse

Comment les machines influent sur le travail

Le Conseil national du numérique publie un dossier intitulé « Humains & Machines. Quelles interactions au travail ? ». Le point avec l’une des co-autrices, Justine Cassell, directrice de recherche à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria).

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Corinne Soulay - 01/02/2023
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Robot de l'entreprise Boston Dynamics.

Travail & Sécurité. Comment avez-vous élaboré ce dossier ?

Justine Cassel. Il y a actuellement beaucoup de discussions autour de l’avenir du travail à l’ère du numérique. Pendant un temps, on a même pensé que le travail allait disparaître. En réalité, il évolue. Il se transforme. Quels changements induisent les nouvelles technologies ? Quel est leur impact sur les relations entre personnes et entre la personne et la machine ? Voilà ce que nous avons voulu étudier dans ce dossier. Pour ce faire, nous avons mené une quarantaine d’entretiens auprès de professionnels très différents : sociologues, économistes, cadres, employés de plates-formes logistiques.

Quelles sont vos conclusions ?

J. C. La relation aux machines diffère selon le secteur d’activité et selon que l’on est cadre, profession intermédiaire ou simple employé. À l’usine par exemple, les nouvelles technologies sont plutôt utilisées pour surveiller, pour contrôler, et ont alors un impact sur l’autonomie du travailleur. De même chez les chauffeurs-livreurs, elles induisent des pressions qui entraînent des risques professionnels : les travailleurs – s’ils veulent respecter les échéances dictées par l’algorithme – n’ont par exemple plus le temps d’attacher leur ceinture. Dans le secteur du soin, des applications sur le téléphone contrôlent le temps passé avec chaque patient et cela influe sur l’empathie, l’humanité du soignant. D’autres dispositifs, comme les exosquelettes, ont des effets contrastés : s’ils sont perçus comme une aide pour certains, d’autres se sentent déshumanisés, dépourvus de l’intentionnalité et de l’autonomie de leur tâche. Ils n’ont plus l’impression de faire du bon travail car c’est la machine qui le fait, et ils peuvent avoir l’impression d’être eux-mêmes des machines.

Pour les cadres, confrontés aux nouvelles technologies de visio-conférence, il y a la nécessité d’adopter un nouveau langage avec des personnes qui ne sont plus en présentiel, mais chez elles. Les managers sont dépassés. Plus globalement, c’est difficile de montrer à quel point on est investi dans son travail, derrière un écran. En outre, quel que soit le secteur, lorsqu’on introduit une machine sur le lieu de travail, c’est toute l’organisation qui est impactée. D’autant plus si l’outil ne fonctionne pas bien. Prenons l’exemple du robot Spoon qui avait pour mission d’accueillir les clients et de les guider en fonction de leurs besoins dans une boutique Orange à Paris. L’idée était d’alléger le travail des salariés. Mais ils ont d’abord dû s’organiser pour « intégrer » ce nouvel arrivant. Et, en pratique, le robot s’est montré incapable de s’approcher des clients et de lier conversation avec eux. Les conseillers devaient donc faire le lien entre les clients et le robot, et gérer les clients frustrés par la machine. Ce qui, au final, a augmenté leur charge de travail.

Vous proposez des leviers pour que les travailleurs deviennent acteurs de leur relation aux outils numériques, quels sont-ils ?

J. C. Il existe souvent un décalage entre les intentions présidant à la conception des outils et leurs usages effectifs. L’une des pistes serait d’impliquer les travailleurs en amont, dès la conception des machines, puis de s’assurer qu’il y a des retours continus sur la façon dont elles influent sur les conditions de travail, et de les modifier en fonction de ces retours. Il est aussi nécessaire de former toutes les parties prenantes (travailleurs, managers, partenaires sociaux, médecins du travail…) à leur usage et de favoriser un dialogue social ouvert sur ce sujet. Il faut aussi s’assurer que les droits des travailleurs sont bien maintenus, notamment en matière de surveillance au travail, et bien sûr approfondir la recherche sur les outils numériques et leurs apports et impacts sur les travailleurs.

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