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Rééducation fonctionnelle

Des actions curatives à la culture d’entreprise

Depuis huit ans, au centre mutualiste neurologique Propara de Montpellier, les risques professionnels sont pris à bras-le-corps. D’abord focalisées sur les TMS, les actions se généralisent, avec la récente création d’un comité de prévention. Objectif : faire de cette approche une véritable culture d’entreprise.

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Corinne Soulay - 22/02/2023
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« Une politique de prévention, ça ne se décrète pas, ça se construit... et ça se coconstruit ! », martèle Jean-Marc Barbin, chargé de prévention au centre mutualiste neurologique Propara, à Montpellier, dans l’Hérault. Dans quelques jours, l’homme prendra sa retraite et il se réjouit du chemin parcouru. Car Propara revient de loin. Fin 2014, lorsque le centre change de gouvernance, le constat est amer : le dialogue social est rompu, la sinistralité est forte… Quant à la prévention, elle est quasi inexistante.

La structure regroupe trois établissements sur le même site : un centre de rééducation fonctionnelle pour des patients atteints d’affections neurologiques, une maison d’accueil spécialisée (MAS) et une unité de consultation pour les personnes en situation de handicap. Médecins, infirmiers, aide-soignants, brancardiers, kinésithérapeutes… À l’époque, chez les 200 salariés, le turn-over est important, et les risques professionnels sont légion, en particulier ceux liés à la manutention manuelle, aux troubles musculosquelettiques et aux chutes.

Renouer le dialogue social 

Première étape : avec l’appui de la Carsat Languedoc-Roussillon, la nouvelle direction lance un diagnostic sur les risques psychosociaux. Sans surprise, la situation se révèle délétère avec un manque de communication dans les équipes et entre services, des violences verbales entre soignants… « Il y avait aussi une grande détresse liée au rythme de travail, basé sur des journées de sept heures, et une demande forte de passer sur des journées de douze heures, afin d’alterner trois jours de travail et congés. C’est l’une des premières mesures que nous avons prises », se rappelle Gaël Brux, le nouveau directeur général.

Dans la foulée, les choses s’accélèrent : le dialogue est renoué avec le CHSCT et les délégués du personnel, le document unique d’évaluation des risques professionnels est révisé, Jean-Marc Barbin, cadre responsable du pôle APA (activité physique adaptée), est nommé chargé de prévention et un premier contrat de prévention est signé avec la Carsat. « L’objectif était d’abord de diminuer les risques liés à la manutention manuelle lors de la mobilisation des patients, notamment par l’achat d’équipements, mais aussi de former des formateurs Prap », détaille la contrôleuse de sécurité de la Carsat, Marie-Astrid Kervellec.

Il suffit d’arpenter les couloirs du centre de rééducation, où la plupart des patients sont en fauteuil, pour constater les avancées mises en œuvre. Il est huit heures du matin et, au rez-de-chaussée, c’est l’heure de la douche pour Tristan, un jeune homme atteint d’une myopathie, sous respirateur artificiel. Une opération qu’Audrey, l’infirmière, appréhende sereinement. Ici, pas besoin de transférer manuellement le patient sur un chariot plat, puis de tirer et pousser l’encombrant dispositif jusqu’à la douche, et de le réitérer au retour : la douche se fait directement au lit, le patient installé dans une housse imperméable, grâce à un chariot rempli d’eau – chauffée par une résistance – et doté d’une pompe pour aspirer l’eau usée. « Il y a un chariot de ce type dans les trois services du centre », précise Max Cobos, brancardier, délégué du personnel et formateur Prap, amené à prendre le relais de Jean-Marc Barbin à son départ.

« L’objectif était d’abord de diminuer les risques liés à la manutention manuelle lors de la mobilisation des patients. »

Suite de la visite : chaque chambre, est équipée d’un rail en H, qui permet de déplacer le patient à n’importe quel endroit de la pièce. À tous les étages, deux chaises percées électriques, qui se règlent en hauteur et s’inclinent, sont aussi mises à disposition. « Les patients tétraplégiques sont parfois parcourus de spasmes. Pouvoir incliner le dossier permet de réduire l’effort du soignant pour l’empêcher de tomber et donc de limiter son stress », argumente Max Cobos. La MAS aussi bénéficie d’équipements ergonomiques. En particulier, des lits qui basculent latéralement pour faciliter les transferts. Mieux : un lit muni d’un dispositif de retournement est actuellement en test dans la chambre d’un patient de plus de 100 kg, pour qui le moindre mouvement s’avère douloureux. Le couchage intègre, de chaque côté, un rouleau motorisé, autour duquel s’entoure un long drap : en actionnant successivement ces rouleaux, le drap s’enroule et se déroule, déplaçant ainsi le patient en douceur... avec très peu de manutentions manuelles pour le binôme, aide-soignant/infirmière, en charge des soins.

« Si on met à disposition de nouveaux outils, aussi utiles soient-ils, sans formation, les équipes ne se les approprient pas. Or, ce dispositif nécessite d’actionner plusieurs télécommandes, ce qui demande un peu d’entraînement. Le lit a donc d’abord été placé dans une chambre vide pendant plusieurs jours pour que les soignants puissent se faire la main, prendre confiance, avant d’y installer le patient », indique le brancardier. Adopté. Propara devrait prochainement en faire l’acquisition.

Des exosquelettes pour patients et soignants

Pour les patients, une grande partie de la journée est dévolue à la rééducation. L’occasion d’observer que, dans le cadre des thérapies aussi, les conditions de travail se sont améliorées. Pendant trois heures, sept patients vont se succéder à la piscine pour pratiquer une activité physique, soutenus par la poussée d’Archimède. Un bassin à fond mobile est en projet pour faciliter leur transfert, mais, en attendant, un harnais relié à une potence est utilisé pour les déplacer et les immerger ou les sortir de l’eau. En outre, les soignants ou brancardiers peuvent être soulagés en portant un exosquelette.

C’est le choix qu’a fait Max. « Cet appareillage réduit l’effort sur le dos, mais il m’oblige aussi à fléchir les genoux sans me pencher », glisse-t-il. À quelques encablures, dans la salle de kinésithérapie, les patients ne sont pas les seuls à utiliser des exosquelettes, les soignants s’en servent aussi. Les premiers pour réapprendre à marcher, les seconds pour les assister en cas de postures délétères. « Je l’ai d’abord testé car j’avais des douleurs à l’épaule, explique Sandrine Galara, cadre de rééducation. Mais, aujourd’hui, on le propose aussi aux kinésithérapeutes sans problème de santé. L’idée est de leur éviter des pathologies dans dix ans. »

« D’une prévention corrective on se dirige vers une prévention primaire », se réjouit Marie-Astrid Kervellec. De fait, l’exosquelette est actuellement réquisitionné par Camille, 32 ans. En moins d’une minute, la thérapeute est harnachée. Pendant une demi-heure, elle doit retenir par les épaules un patient plus grand qu’elle, lui-même alourdi d’un exosquelette de 25 kg, pendant qu’il déambule dans la pièce. Aussitôt retiré, aussitôt réemprunté : l’une de ses collègues s’en équipe pour mobiliser l’épaule de son patient, des rotations qui nécessitent de placer ses bras à plus de 90 degrés.

Attenante à la salle de rééducation, se niche une pièce dédiée à la recherche. À l’intérieur, des patients bardés de capteurs sont suivis par dix caméras et leurs mouvements retranscrits en 3D sur ordinateur afin d’analyser la qualité de leur marche. « Nous envisageons de nous en servir aussi pour faire des études sur les soignants, confie Gaël Brux. Ici, les dispositifs conçus au départ pour améliorer la santé des patients bénéficient aussi aux salariés. »

Intégrer les RPS

Et les aménagements en faveur de la prévention ne sont pas réservés qu’au personnel de soin. Dans un local technique, nous avisons un opérateur de maintenance occupé à réparer un appareil placé dans le faux plafond. Surprise, lui aussi est équipé d’un exosquelette pour l'assister dans les activités réalisés bras en élévation. Côté administratif, Jean-Charles, l’économe, bénéficie d’un bureau à hauteur réglable pour lutter contre les postures sédentaires. Et, à chaque bureau du pôle administratif, deux écrans à support directionnel ont été installés pour faciliter une bonne ergonomie au poste de travail. À l’heure des repas, des chariots, légers et maniables, ont remplacé les précédents, au moteur intégré, donc plus lourds.

Parallèlement à tous ces aménagements, Propara s’est engagé dans la démarche TMS Pros en 2019 et un nouveau contrat de prévention a été signé en 2020 avec la Carsat. « Cette fois, nous avons souhaité y intégrer la thématique des RPS », précise Marie-Astrid Kervellec. Dans cette optique, une formation a été proposée aux cadres. « Traditionnellement, ceux-ci sont issus d’une évolution interne, ils sont plus superviseurs que managers et ont notamment du mal à déléguer, explique Grégory Kouchit, psychologue du travail et formateur. L’idée est de développer leurs compétences managériales, d’améliorer leur capacité à faire confiance et à faire monter en compétence leurs équipes et créer une véritable équipe de cadres, capables de travailler ensemble et de trouver des solutions pour améliorer la qualité de vie au travail. »

« Les dispositifs conçus au départ pour améliorer la santé des patients bénéficient aussi aux salariés. »

Progressivement, la prévention s’organise chez Propara. « Aujourd’hui, 130 salariés sont formés Prap. Ils sont capables de réaliser les manutentions de personnes en sécurité et d’analyser les situations de travail à risque, mais aussi de transmettre à leurs collègues ce savoir-faire », explique Max Cobos. À terme, l’ensemble des salariés aura suivi cette formation. « Côté sinistralité : nous observons une baisse de 76 % des accidents du travail sur cinq ans et de 95 % des arrêts liés à ces accidents », s’enthousiasme Gaël Brux. Pour ces différents efforts, le centre a par ailleurs été récompensé en 2021 par la caisse régionale.

« Depuis huit ans, la direction et les équipes avancent pas à pas vers plus de prévention, elles se montrent volontaires, testent des outils (grille d’autoévaluation Prap…) et participent à des événements en lien avec la Carsat (témoignages d’entreprise…) », résume Marie-Astrid Kervellec. Et cette année, une nouvelle étape va être franchie : Max Cobos va suivre une formation pour devenir animateur prévention pour le secteur sanitaire et médicosocial (SMS) – du temps dédié lui sera accordé pour ces fonctions –, et le directeur et les cadres bénéficieront d’une formation dirigeant SMS. Un comité de pilotage prévention regroupant toutes les parties prenantes – directeur, membres du CSE, animateur prévention, responsable RH, assistante de direction, cadres… – vient également d’être créé, voué à se réunir trois fois par an.

Un pas important, selon Jean-Marc Barbin : « C’est mon cadeau de retraite. Jusqu’à maintenant, aidé de Max qui me remontait des informations de terrain, on réagissait en mettant en place des actions en lien avec la direction, mais on n’anticipait pas. Avec ce comité, il y aura un programme annuel de prévention et des groupes de travail. Ça va permettre de porter un discours commun, de mettre en place des protocoles, d’évaluer les actions mises en œuvre et de favoriser l’amélioration continue. Bref, de créer une véritable culture d’entreprise. »

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