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Construction automobile

Stellantis : le travail à la chaîne fait sa révolution

Le site historique Peugeot de Sochaux, devenu Stellantis, a fait l’objet d’un réaménagement ambitieux de sa ligne de montage. Baptisé Sochaux 2022, ce projet visait à moderniser l’outil de production pour les prochaines générations de véhicules multi-énergies et à optimiser les flux sur le site. L’ergonomie a également été prise en compte sur un maximum de postes de travail.

8 minutes de lecture
Céline Ravallec - 10/06/2023
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[Article paru dans le numéro de Travail & Sécurité de mars 2023]

Sur la nouvelle ligne de montage du site Stellantis de Sochaux, dans le Doubs, les 3008 et 5008 – les deux modèles de Peugeot fabriqués ici – survolent les postes de travail, comme en lévitation. Sous l’éclairage de puissantes leds, suivant une avancée continue et inexorable, les balancelles défilent de poste en poste. La ligne, de près de 2 km de long, s’étire et serpente suivant sept bras. Chaque véhicule en devenir prend progressivement forme au fil des 180 postes qu’il traverse. Il faut compter 3 h 30 entre l’entrée et la sortie de la ligne, soit une minute par poste. Lancée officiellement le 7 février 2022, la nouvelle ligne est montée en puissance durant tout le premier semestre 2022. Les trois équipes (matin, après-midi et nuit) y ont basculé l’une après l’autre.

Cette nouvelle ligne a vu le jour dans le cadre du projet Sochaux 2022, initié en 2015 et lancé en 2017, dans l’optique de doter le site d’un outil de production performant pour les futurs SUV multi-énergies. Ce projet visait aussi à rationaliser les flux sur le site. Depuis sa création en 1912, le site historique de Sochaux n’a fait que s’étendre au fil des années et des besoins, atteignant une superficie de 210 hectares. L’organisation des activités a peu à peu perdu en optimisation. Les phases de montage étaient réparties sur plusieurs lignes éloignées et des opérations qui s’enchaînent se retrouvaient géographiquement distantes. L’acheminement des pièces nécessitait de recourir à des camions pour aller d’un point à un autre.

Le projet Sochaux 2022 est venu raccourcir les distances et recentrer l’activité. Alors qu’une pièce pouvait parcourir jusqu’à 1 km dans l’ancienne organisation, elle ne se déplace plus « que » sur 200 mètres entre son lieu de stockage et le poste où elle sera assemblée. Et la superficie du site a été réduite de 44 hectares. Un seul bâtiment héberge désormais les activités montage-logistique-qualité.

Balancelles et kitting

Ce projet a offert l’opportunité de prendre en compte les aspects ergonomiques aux postes de travail. « L’ancienne ligne de montage datait des années 1970, explique Manuel Gentile, directeur de l’usine montage. Avec cette nouvelle ligne, on garde la même cadence – 60 véhicules/heure –, les mêmes postes de travail, en veillant à faire un bond sur les aspects ergonomiques et en intégrant plus d’aides aux postes. » Déjà présents dans d’autres usines de montage du groupe, les skillets ont fait leur apparition à Sochaux. Ces plates-formes mobiles sur lesquelles sont embarqués le véhicule et les pièces à installer par les opérateurs, ainsi que l’outillage, contribuent à optimiser l’espace de travail et à libérer de la place. Les caisses reposent sur des supports à hauteur variable. Les servantes, sur lesquelles est disponible tout l’outillage nécessaire aux opérations, sont manipulées suivant un système de tirer-pousser. Pour les plus lourdes, un système de contrepoids leur permet de coulisser de façon autonome le long de rails en hauteur pour compenser l’avancée du skillet.

En parallèle, des HEMS, grandes balancelles suspendues, transfèrent les caisses de poste en poste à certaines phases du montage. Elles aussi sont ajustables en hauteur. « Il y a en général deux personnes sur un poste. Quand elles ne mesurent pas la même taille, on opte pour une hauteur moyenne », poursuit Manuel Gentile. Afin de fluidifier l’acheminement des pièces détachées au plus près du poste de montage, l’organisation a opté pour du kitting : toutes les pièces détachées à poser sont rassemblées dans un kit. Ces kits sont préparés manuellement par d’autres salariés en amont, puis sont acheminés vers chaque poste par des AGV (automated guided vehicle), petits robots guidés par des bandes magnétiques disposées au sol.

Cette organisation présente l’avantage pour l’opérateur d’avoir tout le nécessaire sous la main, et de ne plus devoir courir après les pièces. Cela contribue à améliorer la fluidité et la sérénité sur la ligne de montage. « Chaque kit est unique pour chacun des 1 200 véhicules qui sortent en une journée », observe Manuel Gentile. Il existe quatre zones de préparation des kits (montage véhicule, habillage caisse, planches de bord, portes). Un système d’affichage lumineux indique au préparateur dans quel bac prendre des pièces, suivant un ordre bien déterminé. Ce système existait déjà avant, mais il fonctionne désormais en wifi et non plus en filaire. L'emplacement des caisses de pièces a été pensé en fonction des besoins. « Les pièces positionnées en bas sont celles qui ont une faible consommation, qui représentent moins de 15 % des besoins, pour limiter la fréquence des postures contraignantes », remarque-t-il.

DES TESTS EN IMPRESSION 3D

Certaines opérations nécessitent l’utilisation de marteaux vibrants qui, à la longue, génèrent des contraintes au niveau des membres supérieurs. « Nous menons actuellement des essais à partir d’imprimantes 3D pour concevoir des manches plus souples qui atténuent, voire absorbent, les vibrations, présente Cédric Duvernois, responsable ingénierie à l’usine de montage. Des ajustements sont encore nécessaires mais les premiers retours de la part des opérateurs sont encourageants. »

C’est cette organisation qui explique en partie l’espace gagné autour des postes de travail. Il n’y a plus besoin de stocker à proximité de la ligne de montage de grands volumes de pièces. « C’est beaucoup plus lumineux sur la ligne, et beaucoup plus spacieux autour de chaque poste, confirme Marie-Noëlle Ratieuville, opératrice polyvalente au montage depuis un an et demi, et qui avait travaillé auparavant pendant dix ans à la peinture. Avant, il y avait de gros bacs en bords de ligne, désormais l’approvisionnement par kitting est pratique. La hauteur de travail étant réglable, on est moins penchés dans les caisses, c’est moins usant pour le dos. Et je tourne sur quatre postes, la polyvalence c’est top pour varier les gestes ! »

Adéquation hommes-postes

La proximité retrouvée contribue également à une meilleure communication au quotidien. « Avec cette nouvelle organisation, tout est plus proche, le matériel, les personnes, souligne Aurélie Lambert, team leader depuis février 2022. La proximité aide à traiter les problèmes, il y a beaucoup plus de communication avec les fonctions d’appui (qualité, maintenance…). Ça a simplifié les discussions, tout est traité plus vite et plus facilement, notamment en ce qui concerne les sujets de sécurité. »

La fonction de team leader a été créée avec la nouvelle ligne. Ce rôle de chef de module, auparavant appelé moniteur, a été renforcé en compétences managériales notamment et permet de traiter au plus près du terrain les questions de santé et sécurité. « Je commence ma journée par un tour de terrain, explique Aurélie Lambert, afin de repérer d’éventuelles anomalies (caisses au sol, outils mal rangés…). Il y a des échanges aux briefings de postes, on applique la politique sécurité du groupe, à travers une chasse aux risques, des déclics sécurité, des audits Stop – observations de postes de travail que l’on réalise à deux pour croiser les regards. » La fonction de team leader contribue à susciter de l’amélioration continue, selon Cécile Chamagne, ingénieure santé et conditions de travail : « Ça encourage les échanges et les remontées de terrain de la part des opérateurs qui connaissent le mieux leurs postes », explique-t-elle.

« Avec cette nouvelle organisation, tout est plus proche, le matériel, les personnes. La proximité aide à traiter les problèmes, il y a beaucoup plus de communication avec les fonctions d’appui. »

La nouvelle ligne a permis de réintégrer en interne des activités qui avaient été externalisées par le passé. « L’usine de Sochaux était déjà incluse dans le programme TMS Pros lorsqu’a été initié le projet, commente Benoît Balland, contrôleur de sécurité à la Carsat Bourgogne-Franche-Comté. Il est venu le réorienter et apporter une nouvelle dimension. » Ce projet a également contribué à réintégrer dans l’activité des personnes ayant des restrictions médicales. « Sur les 2 000 personnes qui travaillent au montage, 80 présentent des restrictions médicales importantes pour lesquelles l’adéquation aux postes est complexe, souligne Manuel Gentile. Cette nouvelle ligne a permis de réintégrer 20 d’entre elles sur des postes comme la garniture des plafonds, la préparation des planches de bord, le kitting… »

« Les conditions de travail ont été prises en compte assez tôt dans le projet, considère Pascal Brugnoni, secrétaire du CSE, dans l’usine depuis plus de 40 ans. Et les risques accidentogènes présents dans les différentes zones de la ligne de montage ont été bien appréhendés. » Selon lui, deux avancées notables sont à souligner : le poste de coiffage et le poste de remplissage des fluides. « Sur le premier, où est réalisé l’assemblage des organes mécaniques et de la caisse, la zone de travail est maintenant de plain-pied, explique-t-il, et la hauteur de travail est ajustable grâce aux HEMS. Avant, il y avait un podium avec différents niveaux et un escalier à gravir. Quant au poste de remplissage des fluides, le déplacement des nacelles en bordure de ligne générait des heurts, des chocs au niveau des membres inférieurs. Désormais, elles sont en hauteur et ce sont des bras qui s’abaissent à la demande. C’est une très nette amélioration. »

Dans une telle activité où le moindre grain de sable peut venir perturber un rythme bien rodé, la gestion des flux des pièces détachées s’avère un exercice de haute volée. C’est donc dans la logique d’une meilleure fiabilité et d’une plus grande réactivité qu’a été réorganisée la logistique du site. Toute la gestion est désormais automatisée. C’est dans un transstockeur, une immense tour de 25 mètres de haut, que sont stockées toutes les références. Et des butlers – robots motorisés capables de soulever une tonne sur une hauteur de 10 cm – se déplacent partout dans la zone, suivant un ballet bien orchestré, transportant des caisses pleines, d’autres vides.

À voir aussi en diaporama sonore
Stellantis - Ligne de montage Sochaux

La zone de 60 000 m2, qui reçoit 250 à 300 camions de livraison chaque jour, compte plus de 45 000 colis. « Ce système nous apporte une grande flexibilité, et une sérénité absolue même si la journée ne se passe pas du tout comme prévu, se félicite Julien Monclin, directeur de la logistique. Auparavant, lorsqu’il y avait un imprévu – ce qui est le cas plusieurs fois par jour – et qu’il fallait réagir en urgence aux besoins du montage, c’était du stress permanent, beaucoup de manutentions supplémentaires. Désormais, une palette peut être sortie en 6 minutes du transstockeur. » Si cette organisation a réduit le nombre de caristes, elle a créé de nouveaux métiers, comme celui de conducteur du transstockeur. Ces innovations et investissements, qui pérennisent l’outil de production sochalien pour plusieurs décennies, devraient être suivis d'autres aménagements, tels qu’un nouvel atelier ferrage ou encore une nouvelle ligne de peinture. Avec, là aussi, une attention toute particulière aux conditions de travail aux différents postes.

UNE POLITIQUE NOUVEAUX EMBAUCHÉS

Tout nouvel entrant dans l’entreprise (CDI, CDD, intérimaires) fait l’objet d’un accueil de deux semaines, quelle que soit la durée de son contrat. Il existe ainsi une école de formation en interne. Elle reçoit également le personnel de ligne en cours de réorientation. En 2022, 1 500 personnes sont formées, soit une quarantaine de personnes par semaine. « On travaille sur l’accueil au sens large, on aborde tous les sujets en lien avec la vie de l’entreprise, le métier, et ça inclut aussi une partie sécurité au travail, explique Elsa Pattarozzi. On aborde notamment l’ergonomie (comment bien se positionner au poste de travail) ou le réveil musculaire. » Il y a également une zone S Box, où sont traités trois sujets en lien avec la sécurité au travail : prévention des risques, réagir face au danger, savoir identifier les risques.


©Gaël Kerbaol pour l'INRS/2023

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