Depuis des siècles, les villages de France se réveillent au son des clochers. Des édifices dont les campanistes assurent la restauration, l’entretien et l’installation. En perpétuant leur savoir-faire de génération en génération. Niché à Ibos, à quelques kilomètres de Tarbes, dans le nord des Hautes-Pyrénées, Laumaillé est l’un d’entre eux. L’entreprise a quatre siècles d’histoire. Restée dans la famille Dencausse pendant plusieurs générations, elle est devenue Fourcade en 1921 puis Laumaillé en 1974.
L’établissement de 22 salariés a été repris en 2019 par Eurydice Bled, qui s’est très vite laissé emporter par la passion du métier. « C’est un vrai métier d’art. Autrefois, nous étions fondeurs de cloches. Depuis, l’entreprise intervient sur l’horlogerie d’édifice et la construction de la charpente autour de la cloche », précise-t-elle. À Ibos, l’établissement a gardé son vieil atelier de fabrication bois. Un espace qu’occupe Christophe Mongin, le charpentier, pour un quart de son temps.
4,7 tonnes : c'est le poids du futur bourdon Laumaillé-Lussault, sonnant un sol au 2e octave, pour l’abbaye royale de Fontevraud, prévu pour être mis en place en 2026.
« Lorsque l’on doit intervenir sur un chantier un peu complexe et qu’il y a des pièces de bois à refaire, j’accompagne le chargé d’affaires pour l’état des lieux, explique Alexandre Francingues, ingénieur au bureau d’études. Je prends les cotes qui me serviront pour préparer le plan des pièces fabriquées dans l’atelier. » Un espace qu’Eurydice Bled a souhaité moderniser, en associant le charpentier à sa transformation. « Nous avons l’un des derniers ateliers à bénéficier d’une structure capable de faire les beffrois en atelier, entièrement à la main. On milite pour conserver cet aspect artisanal », insiste-t-elle.
Ici sont fabriqués les beffrois, les jougs et les abat-sons. Le beffroi est une charpente, généralement en bois de chêne, qui supporte les cloches. Le joug, en forme de T, est le contrepoids de la cloche, qui permet de créer l’effet d’élan et de balancier. Enfin, comme leur nom l’indique, les abat-sons orientent vers le sol le son des cloches.
Agir contre les poussières de bois
Lorsque l’on pénètre dans l’atelier, l’œil est immédiatement attiré par la succession de patrons couvrant les murs. Ce sont les modèles à partir desquels l’artisan travaille. Les machines, une raboteuse-dégauchisseuse, une scie à ruban, une toupie, une mortaiseuse et une scie radiale portent, elles aussi, toute l’histoire de la maison. Ces machines à bois produisent des sciures, des copeaux et aussi des poussières en quantité importante, dont les effets sur la santé peuvent être graves. Celles qui sont inhalées peuvent notamment entraîner une inflammation de la muqueuse nasale et, dans le cas d’une exposition prolongée, provoquer un cancer de l’ethmoïde et des sinus de la face.
En 2019, après en avoir parlé avec le médecin du travail, la dirigeante se rapproche de la Carsat Midi-Pyrénées. Elle est consciente de la nécessité d’une installation de dépoussiérage et recherche une aide technique et des possibilités de financement. Le contrôleur de sécurité de l’époque, Pascal Pouponneau, vient interroger le charpentier sur sa façon de travailler et la fréquence d’utilisation des machines. Tout est mis à plat. « Je venais de commander une table à rouleaux pour réduire les manutentions des pièces, qui peuvent être très lourdes », reprend Eurydice Bled. Là aussi, les émissions de copeaux, qui se prennent dans les rouleaux, nuisent à l’efficacité du dispositif. Le seul bras aspirant présent est clairement insuffisant. Un contrat de prévention est alors signé pour l’achat et la mise en place d’une installation de captage des poussières de bois sur les machines et leur équipement. Laumaillé travaille avec l’entreprise Lasserre, qui conçoit l’installation sur mesure.

« Les machines avaient pour certaines l’âge de leurs artères ! Aucune aspiration n’était prévue, se souvient Christophe Lasserre, le dirigeant. Je suis venu étudier la situation avec le charpentier. Il fallait comprendre sa façon de travailler, éviter qu’il soit gêné par les carters. On était présent avec lui de la conception à la mise en service. C’est important quand on introduit une contrainte : sur la raboteuse-dégauchisseuse, par exemple, il doit positionner le capteur, brancher le tuyau, ouvrir la trappe. Il faut que pour lui le bénéfice soit clair. » Ainsi, tout un réseau est constitué, avec des bouches d’aspiration pour capter les poussières à la source, des diamètres de tuyaux proportionnés aux besoins en air. Les copeaux lourds arrivent dans un pot de décantation (conteneur étanche) à l’extérieur du bâtiment. La poussière fine est arrêtée par un filtre et l’air est rejeté dehors.
REPÈRES
L'entreprise a été ciblée par la Carsat Midi-Pyrénées dans le cadre du programme national Risques chimiques Pros, qui propose une démarche allant de l'évaluation des risques à la planification et au suivi des actions pour réduire les risques chimiques.
« Cette expérience montre que même avec des machines anciennes, que l’entreprise ne peut pas se permettre financièrement de remplacer, il est possible de s’adapter, souligne Didier Durrieu, contrôleur de sécurité à la Carsat Midi-Pyrénées. Le charpentier a été impliqué et voit ce qu’il y gagne. Nous avons fait intervenir le centre de mesures physiques pour l’évaluation du système de captage des poussières de bois, qui est efficace. Le concepteur s’est adapté, se servant par exemple des rigoles initialement présentes dans l’atelier pour le réseau, qui n’a pas nécessité l’installation de tuyaux au plafond. »
« Je respire moins de poussières, je l’ai bien compris, affirme Christophe Mongin. Avant, lorsque je rabotais une pièce, il y en avait partout. Aujourd’hui, cela permet d’avoir un atelier plus propre. » Inclus dans le dispositif, un détecteur indique le niveau de remplissage du pot de décantation. À l’extérieur du bâtiment, il peut être récupéré, vidé et remplacé à l’aide d’un chariot à fourche limitant les manutentions contraignantes. « Reste le bruit... », conclut le charpentier. Si celui-ci porte des protections individuelles, l’idéal serait bien sûr un traitement acoustique de l’atelier. « La nuisance reste limitée, je suis ici en début de matinée, le plus souvent, après, je vais sur chantier », explique-t-il. En moyenne, une trentaine de chantiers avec de grosses pièces en bois sont préparés dans l’atelier chaque année. n
IDENTITE
Nom : Laumaillé
Lieu : Ibos (Hautes-Pyrénées)
Activité : campaniste, spécialiste de la conception, de l’installation, du fonctionnement, du mouvement d’horlogerie et de l’entretien des cloches et clochers ; chantiers emblématiques récents : abbaye royale de Fontevraud, église de Plaisance-du-Gers…
Effectif : 22 salariés