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Travaux ferroviaires

Ponts de Chartres et Gallardon à Massy : un chantier à l'organisation sans faille

Afin de moderniser le réseau ferroviaire national, la RATP et SNCF Réseau ont initié, en 2020, de vastes travaux à Massy dans l’Essonne. Point d’orgue de ce chantier, l’opération de dépose de deux ponts centenaires et d’installation des nouvelles structures a nécessité une organisation au millimètre, pensée en amont avec tous les acteurs, pour limiter au maximum la coactivité, ainsi que la mise en œuvre de solutions techniques pour préserver la sécurité des salariés.

8 minutes de lecture
Lucien Fauvernier - 30/10/2023
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Opération Chagal. C’est sous ce nom de code digne d’un film d’action – contraction de Chartres et Gallardon – qu’est désigné, depuis septembre 2020, le grand projet de modernisation du réseau ferroviaire des RER B et C, à proximité de la gare Massy-Verrières. Au cœur de ce chantier, le renouvellement de deux ponts centenaires, nommés… Chartres et Gallardon. Pour mener à bien ces travaux, de nombreux savoir-faire ont dû être mobilisés par le biais d’un groupement d’entreprises avec Demathieu Bard Construction en tant que mandataire, Botte Fondations pour les fondations des nouveaux ouvrages et de la grue et, enfin, Berthold pour les charpentes métalliques.

En matière de prévention, cette multiplication d’acteurs a nécessité une réflexion collective en amont, avant le démarrage des travaux, afin de mettre en place une organisation optimale destinée notamment à limiter la coactivité et les risques associés. L’occasion de prévoir un plan de circulation, la planification des tâches, la séparation des voies de circulation, le nombre et le gabarit des engins utilisés…

Se coordonner pour réaliser des opérations techniques complexes 

La coordination était d’autant plus essentielle que les opérations techniques à réaliser étaient particulièrement complexes. « Depuis le début des travaux, le chantier suit un calendrier très précis où chaque acteur doit tenir son rôle défini lors des réunions préparatoires. Une attention particulière a été portée aux zones de circulation avec des zones piétons délimitées à l’aide de chaînes de chantier », explique Guillaume Gudefin, directeur d’exploitation adjoint chez Demathieu Bard Construction.

Pour procéder au remplacement des ponts, il ne suffisait pas de déposer les anciens et de mettre les nouveaux à la place. Les anciens ponts, construits directement sur le site, étaient simplement posés au sol et maintenus par leur propre poids, mais les nouveaux standards de calcul de structures imposent que les nouveaux ouvrages soient fondés sur des pieux en béton. Cette opération, réalisée durant les étés 2021 et 2022, à l’occasion de coupures des voies, a véritablement marqué le coup d’envoi des travaux : au total 22 pieux d’1,2 m à 1,5 m de diamètre ont été installés à 40 m de profondeur.

C’est en septembre 2021 qu’a débuté l’assemblage des deux nouveaux ponts sur le site d’un terrain de foot attenant au chantier. Dans l’attente de leur pose, les deux ouvrages flambant neufs laissaient deviner leurs remarquables dimensions : 1375 t et 86 m de long pour le pont de Chartres et 950 t pour 57 m de long pour Gallardon. Des échafaudages ont été installés au niveau des quatre oreilles de chaque pont afin que tout soit prêt pour les opérations d’élingage le jour de la pose, et les risques liés à des interventions ultérieures sur ouvrage ont été anticipés : « Pour plus de sécurité, décrit Guillaume Gudefin, il a été décidé que les oreilles seraient coupées une fois les ponts installés afin qu’elles ne puissent pas être réutilisées par facilité, sans que leur solidité soit assurée, pour d’autres opérations de levage à l’avenir. »

Installation d'une grue géante 

Durant toute l’année 2022, d’importants travaux de terrassement ont occupé les équipes du chantier : construction du mur de soutènement et de la plate-forme de la grue nécessaire aux déplacements des ponts, travaux préparatoires à l’arrivée de la grue et poursuite des fondations des futurs ponts. Autant d’activités qui ont nécessité un renforcement des équipes de Demathieu Bard tout en conservant des exigences de sécurité élevées : « Nous avons dû nous renforcer, pour travailler en poste 3 x 8, 7 jours sur 7, avec près de 50 intérimaires sur une période d’un mois, déclare Guillaume Gudefin. Ceux-ci ont bénéficié de différentes formations, et pas seulement aux règles de sécurité. Notre politique interne est de former tous nos compagnons y compris les intérimaires à l’utilisation des outils électroportatifs. Nous avons donc organisé des cessions supplémentaires afin que tous puissent être formés et évalués. En fonction des résultats de l’évaluation de chacun, le chef de chantier donne l’autorisation ou non d’utiliser de l’électroportatif. »

Vue d'ensemble de la Sarens Giant Crane 90.

Au printemps 2023, tout était fin prêt pour accueillir la pièce maîtresse du chantier sans laquelle rien n’aurait pu se jouer : la grue SGC-90 (Sarens Giant Crane), surnommée « Little Céleste » par les opérateurs de l’entreprise Sarens. D’un poids total de 4 600 t – dont 2 700 de contrepoids – et dotée d’une flèche de 100 m de longueur, cette gigantesque grue à mât en treillis peut soulever jusqu’à 1 650 t à 60 m, à l’aide de quatre treuils disposant chacun d’1,8 km de câble d’un diamètre de 52 mm et mouflé dix fois. Son installation a nécessité sept semaines. Pas moins de 220 camions ont acheminé l’intégralité des éléments de la grue sur le site et trois autres grues, plus petites, ont été mobilisées pour réaliser son assemblage final. « Pour accueillir un tel mastodonte, nous avons dû construire un anneau en béton de 35 m de diamètre – constitué de 64 pieux et 700 m3 de béton – afin qu’elle puisse reposer dessus en toute sécurité », précise Guillaume Gudefin.

Le choix des engins n’a pas non plus été réalisé au hasard. Pour optimiser les flux, limiter le nombre de véhicules circulant au même endroit, les interférences et les risques liés à la manœuvre des engins, au pied de la grue a été installée une solution de transport constituée de quatre remorques automotrices, couplées hydrauliquement et synchronisées appelées SPMT (Self-Propelled Modular Transporter).

Interruption temporaire de circulation

Doté de 24 essieux avec une capacité de charge de 40 t par essieu et d’une vitesse de 300 m/h, cet engin hors norme, piloté à distance ce qui éloigne le conducteur des risques, doit prendre en charge chacun des anciens ponts. Ils seront ensuite déposés sur une zone du chantier réservée à leur démantèlement, mais trop éloignée pour être atteinte par la grue. « L’objectif est que les anciens ponts soient déconstruits d’ici fin novembre 2023, explique Guillaume Gudefin. C’est une opération délicate, car les deux ponts contiennent de la peinture au plomb, et l’un des deux contient également de la peinture amiantée. Tersen, l’entreprise missionnée pour réaliser ces travaux, prévoit de procéder à la dépollution de certaines zones des ponts directement sur le site du chantier afin de pouvoir procéder à leur découpe en sécurité. Ils pourront par la suite être transportés entièrement sur un site dédié de l’entreprise. »

Été 2023. Près de trois ans après le début du chantier, la dépose des anciens ponts peut se dérouler, comme prévu, les 18 et 19 juillet. « Notre fenêtre de tir est assez restreinte, remarque Guillaume Gudefin. En effet, si nous avons pu interrompre le trafic des RER sur une période de plus d’un mois, nous avons dû demander deux interruptions temporaires de circulation (ITC) de la ligne à grande vitesse Atlantique qui passe sous les ponts. Ces ITC exceptionnelles sont de 52 heures chacune pour les opérations de dépose des anciens ponts et de pose des nouveaux ponts. Nous n’avons pas le droit à l’erreur et au retard. »

Là encore, et face à des nombreux risques éventuels liés à l’importance du chantier – coactivité, collision engin-piéton, écrasement - l’organisation sur le chantier a été tirée au cordeau : une fois les opérations de levage débutées, seuls quelques compagnons et encadrants, tous équipés de tenues haute visibilité (THV) obligatoires sur les chantiers SNCF, sont autorisés dans la zone d’action de la grue. « Réduire le nombre de personnes présentes permet une meilleure visibilité sur les actions menées et donc plus de sécurité. Nous menons plus globalement cette politique sur l’intégralité du chantier où l’identité de chaque compagnon est contrôlée en entrée de site », commente Guillaume Gudefin. Des précautions qui avaient été prises également lors du montage de la grue : seuls les salariés de l’entreprise Sarens étaient autorisés sur zone. « Sur un chantier d’une telle ampleur, le timing, l’anticipation et la prévention font forcément partie intégrante du projet, ce qui participe à son succès », observe Claudine Barge, contrôleuse de sécurité à la Cramif.

Il est finalement 17 heures, mardi 18 juillet, lorsque la dépose du pont de Gallardon est officiellement lancée. Le ballet est réglé au millimètre. À 17 h 45, la grue effectue ses premiers mouvements. « Nous avons tout fait pour limiter le risque que le pont se torde lorsque nous allons le lever. Nous utilisons une technique de berceau qui permet de moins solliciter la structure lors du levage. De même, les ponts ont déjà été légèrement surélevés de quelques millimètres, à l’aide d’un système de vérins pour les décoller de leurs appuis. Ils n’ont montré aucune faiblesse particulière. »

Réaliser des tests de charge 

Il faudra près d’une heure à la grue pour se positionner convenablement. Il est en effet 18 h 45 lorsque les compagnons montent aux échafaudages préalablement installés sur le pont de Gallardon pour fixer les élingues. À 19 heures, une partie des échafaudages est désinstallée afin de faciliter et sécuriser les manœuvres une fois le pont soulevé. C’est finalement à 20 h 20, après de nombreuses opérations de stabilisation des élingues et de levage, millimètre par millimètre, que le pont prend véritablement son envol. « On a pu observer que le grutier a pris son temps pour effectuer des tests de charge, indique Claudine Barge. Même si la grue est largement dimensionnée pour soulever le pont, il est essentiel, avant d’engager totalement le levage, de réaliser ces tests par mesure de sécurité. »

Pour assurer la stabilité de l’ouvrage et afin que celui-ci ne se mette à tourner, quatre cordes reliées à chaque coin du pont sont manœuvrées par les compagnons. Une technique de guidage qui peut sembler dérisoire face aux proportions gigantesques du pont : « En réalité, grâce à l’effet de levier, il suffit d’exercer une force d’environ 80 kilos depuis le sol pour orienter le pont convenablement, explique Guillaume Gudefin. Ici, pour que tout se déroule comme prévu, il faut que les équipes soient bien coordonnées et attentives à chaque instant du déplacement. »

Il est finalement 21 h 40 lorsque le pont de Gallardon est déposé sur la remorque motorisée en pied de grue. Le lendemain au matin, l’opération se répète pour le pont de Chartres. Et dans la nuit du 7 au 8 août, le nouveau pont de Chartres a pu être installé sans encombre, suivi du nouveau pont Gallardon durant la matinée. Fin du chantier prévu en mars.

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