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Accidents du travail

La France, mauvaise élève de l’Europe ?

D’après les statistiques, le taux de fréquence hexagonal des accidents de travail mortels est l’un des plus élevés d’Europe, comparable à celui de Malte ou de la Roumanie. Et pour les AT non mortels, la France est en queue de peloton. Comment expliquer ce piètre résultat ?

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Corinne Soulay - 04/04/2024
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Démarche de déclaration d'accident du travail en ligne.

« Chaque jour, deux personnes meurent au travail et plus de 100 sont blessées gravement. » Tel est le message choc que les Français ont pu découvrir, en septembre dernier, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation lancée par le ministère du Travail. Un constat alarmant corroboré par les derniers chiffres d’Eurostat : l’Office statistique de l’Union européenne indique qu’en 2021, 2,88 millions d’accidents non mortels ayant entraîné au moins quatre jours d’arrêt de travail et 3 347 accidents du travail (AT) mortels ont été recensés dans l’Union européenne (UE). Et, sur ces deux points, la France fait figure de mauvaise élève. Pour les AT non mortels, elle arrive même en queue de peloton, enregistrant 3 364 AT pour 100 000 salariés. En outre, avec 674 décès au travail comptabilisés en 2021, son taux de fréquence, de 3,3 pour 100 000 employés, dépasse de loin la moyenne européenne (1,76). Des chiffres qui placent l’Hexagone dans les derniers du classement, aux côtés de Malte, la Lituanie et la Lettonie.

Gaphique représentant le nombre d'accidents du travail mortels en 201 par pays européen

Comment expliquer ces résultats ? Raphaël Haeflinger, directeur d’Eurogip, pointe des disparités dans les systèmes de déclaration, de reconnaissance et d’indemnisation des AT : « Il n’y a pas d’harmonisation européenne : chaque système est le fruit de l’histoire sociale et économique du pays. En France, il y a une présomption d’imputabilité très stricte qui fait que tout accident survenant au lieu et temps du travail est présumé lié au travail et déclaré comme tel. Dans les autres pays, il faut toujours établir un lien de causalité entre le travail et le sinistre. » Par ailleurs, le taux minimum pour avoir droit à une indemnisation diffère : en France et en Belgique, le salarié est indemnisé dès 1 % d’incapacité, contre 20 %, par exemple, en Allemagne ou en Autriche, 33 % en Espagne, voire 50 % en Bulgarie. Des conditions qui pourraient s’avérer moins incitatives à la déclaration.

À chaque pays, sa méthode de calcul

Les méthodologies de déclaration sont aussi disparates concernant les AT mortels. Là encore, en France, nul besoin de démontrer le lien de causalité entre le travail et le décès : dès lors qu’un décès intervient sur le lieu de travail, il est présumé être un AT mortel. Les statistiques françaises englobent ainsi les « malaises » (infarctus, AVC…) survenus sur le lieu de travail. Ailleurs, les décès dont l’origine professionnelle n’est pas démontrée ne sont pas reconnus, bien qu’ils aient pu intervenir sur le lieu de travail ou pendant l’activité du salarié. Ainsi, selon Eurogip, en 2021, en Italie, 619 déclarations de décès, dont 370 pour absence de lien de causalité, ont été rejetées par l’Institut national d’assurance contre les accidents sur le travail.

Autre paramètre différentiel, aux Pays-Bas, pour être comptabilisé comme un AT mortel, le décès doit avoir lieu le jour même de l’accident, en Allemagne, dans les trente jours… alors qu’en France, comme en Belgique ou en Grèce, il n’existe pas de délais officiels pour la survenue du décès. D’autre part, au-delà des questions d’assurance, une étude d’Eurogip de fin 2023 pointe un phénomène de sous-déclaration des AT d’un pays à l’autre avec des niveaux très hétérogènes allant de 10 % à 100 %.

Poursuivre les efforts en prévention

Tous ces facteurs expliquent en partie la place de l’Hexagone dans les classements Eurostat. « Eurogip a réalisé une étude comparative entre l’Allemagne et la France, sur les AT non mortels : à champs équivalents, les résultats étaient tout à fait comparables, et l’Allemagne fait partie des bons élèves, souligne Raphaël Haeflinger. Même chose pour les AT mortels : si la France ne reconnaissait pas les décès sans lien établi avec le travail, comme les autres pays, elle se trouverait en début de classement. »

Pour autant, deux AT mortels par jour, cela reste un chiffre encore trop élevé. Si le nombre d’AT mortels a baissé considérablement en France pendant 50 ans, il stagne depuis 2005. « Une action offensive sur les accidents graves et mortels est nécessaire », conclut le directeur d’Eurogip.

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