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Métallurgie

Des actions d'amélioration pour éviter les gestes répétitifs

L’entreprise Caillau, à Romorantin dans le Loir-et-Cher, fabrique des systèmes de fixation et d’étanchéité pour l’automobile, une activité qui engendre des gestes répétitifs. Après avoir réalisé une photographie des postes les plus sollicitants pour ses employés, l’entreprise s’est emparée du sujet pour cibler des actions d’amélioration.

8 minutes de lecture
Delphine Vaudoux - 07/05/2024
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Romorantin, dans le Loir-et-Cher…, fief historique de deux grands noms de l’industrie française, Caillau et Matra. Aujourd'hui, alors que Matra a cessé définitivement toute activité en 2003, ne subsiste que Caillau. L'entreprise de métallurgie de précision, plus que centenaire, bénéficie d’une nouvelle usine construite en 2018 au sein de laquelle ont été transférées les activités de trois sites industriels. « Les locaux historiques étaient vétustes et incompatibles avec la dynamique de l’entreprise : trop petits, plafonds bas, flux complexes, espaces de travail exigus, mauvaises conditions thermiques », décrit le directeur des opérations, Nicolas Blagojevic.

Sur le nouveau site de 28 000 m2, situé sur la même commune, 600 personnes travaillent, parmi lesquelles 100 intérimaires. Elles réalisent essentiellement des colliers de serrage – avec une capacité de 2 millions de colliers par jour – pour le secteur automobile, mais également pour l’aéronautique. En 2021, Caillau a repris l’entreprise AdiWatt, spécialisée dans les systèmes de fixation de panneaux solaires. Autant d’activités pour lesquelles les gestes sont souvent répétitifs, les ports de charge fréquents…

Aussi la prévention des TMS est un sujet pris à bras-le-corps par le service HSE (hygiène, sécurité, environnement), l’infirmière du travail, le service méthodes ainsi que les managers et la direction. Auxquels vient s'ajouter l’expertise d’acteurs externes comme l’APST 41 ou encore la Carsat Centre-Val de Loire. « On discute avec tout le monde, explique Benjamin Marty, le responsable méthodes industrielles. On intervient lors de l’industrialisation de nouveaux produits, mais aussi lorsque de nouvelles machines arrivent. » Les actions sont multiples, mais, comme le précise Fabrice Lucas, contrôleur de sécurité à la Carsat, « la démarche s’est encore plus structurée en 2019 avec l’intégration de Caillau à la démarche TMS pros de l’Assurance maladie-risques professionnels ».

Cette même année est mis en place un outil de veille, s’appuyant sur l’enquête Evrest réalisée dans l’entreprise. « Elle constitue une photographie de la santé des salariés en 2019, explique Olivia Pierre, infirmière du travail. Elle nous a permis d’identifier et de cibler des actions sur les ports de charges, les gestes et postures, et le travail sur écran. » Pour avancer sur ces sujets, une apprentie ergonome rejoint l’équipe HSE et un partenariat se noue avec l’ergonome de l’APST 41, Fabrice Perbet. Un comité mensuel est instauré, avec un suivi de la démarche ergonomique.

Afin d’en voir les réalisations concrètes, direction les postes de production 2248 et 2249. Pour y parvenir, il faut traverser l’immense bâtiment, en prenant soin de bien respecter les allées piétonnes parfaitement identifiées pour séparer les flux, les engins étant nombreux. Un peu partout, une trentaine de chariots réglables en hauteur sont disposés aux extrémités des lignes afin d’éviter le port des cartons. Ils peuvent supporter de 80 à 200 kg et sont beaucoup moins encombrants que des transpalettes électriques.

Au loin apparaît un petit train qui effectue sa tournée. Il circule toutes les heures dans une partie de l’usine, pour approvisionner notamment en visserie les différents postes. S’il fait gagner du temps et limite les déplacements ainsi que les flux, une étude a révélé que l’opérateur qui le conduisait était amené à manutentionner entre 2,5 et 3 tonnes quotidiennement. Ce travail a débouché sur un aménagement des rayonnages du petit train, une meilleure répartition des charges – en mettant les plus lourdes au milieu – et un test d’exosquelette. « Mais il ne s’est pas avéré concluant, compte tenu de l’encombrement des arceaux : l’exosquelette apportait de nouvelles contraintes », souligne Fabrice Perbet.

Accompagner le changement

Parmi les postes analysés dans le cadre de la démarche TMS Pros, les fameux 2248 et 2249. « Nous avions aussi eu des remarques d’opératrices travaillant sur ces postes », précise l’infirmière du travail. Il s’agit de postes d’assemblage de colliers et de joints, afin de constituer des colliers de serrage, avec un cycle de sertissage de quelques secondes réalisé en sécurité grâce à la présence d’une barrière immatérielle. L’ergonome de l’APST 41 a identifié de fortes contraintes posturales, notamment des torsions importantes pour prendre les joints, et des gestes répétitifs. Avec l’aide du service méthodes, de plans en 3D et la participation des opérateurs lors de tests virtuels, de nouveaux postes ont été conçus. « Ils ont bénéficié de six à sept allers-retours avec le fournisseur avant d’être mis en production », remarque Fabrice Perbet.

Maintenant que le 2249 est opérationnel, un accompagnement s’avère nécessaire : les cartons de composants doivent désormais être renversés dans un bac situé devant l’opératrice, afin qu’elle travaille à la bonne hauteur, sans torsion du buste, et assise… Mais la salariée au poste le jour du reportage affirme qu’elle préfère travailler debout. « Nous sommes en phase d’accompagnement au changement, explique Olivia Pierre. Il faut le faire progressivement et démontrer aux opératrices l’intérêt de cette nouvelle configuration, tout en leur laissant le choix. »

Autre poste ayant bénéficié d’une étude, la sortie de ligne des colliers grand format. Jusqu’en 2021, ils étaient mis en vrac dans les cartons, qui étaient ensuite pesés afin d’avoir une évaluation du nombre de colliers. « Une personne occupait ce poste, avec des cartons lourds à porter, de l’ordre de 20 à 25 kg. On obtenait une évaluation peu précise de l’état des stocks, la pesée ne remplaçant pas un comptage des colliers. Ce qui donnait des distorsions importantes dans les stocks », explique Benjamin Marty.

En 2022, la ligne est transformée, avec l’installation d’une GCA, pour « gestion comptage automatisé ». Désormais, une cellule compte le nombre de colliers mis en cartons et jusqu’à huit cartons peuvent s’accumuler sur le tapis, avant qu’un opérateur ne les fasse glisser depuis le tapis convoyeur jusqu’aux palettes. Le port de charges est ainsi nettement réduit et le régleur n’intervient que toutes les heures, son poste étant mutualisé sur deux machines. Reste à améliorer l’amas de colliers dans les cartons appelant parfois une intervention de l’opérateur pour les répartir correctement.

Partout, des aides à la manutention sont à disposition des salariés. Si, à l’unité, les pièces ne sont pas très lourdes, les cartons pèsent plusieurs kilos, sans parler des tables d’outillage. Huit ponts roulants sont destinés à déplacer les éléments les plus lourds. Au secteur outillage où sont assurés le nettoyage et la maintenance des outils, l’opérateur, équipé de lunettes de sécurité à sa vue, s’en sert tous les jours pour déplacer des éléments pouvant avoisiner les 400 kg.

À la logistique aval, un opérateur manipule entre 7,5 et 10 tonnes par jour. Pour les cartons classiques (ceux qui ne sont pas en cloche), un préhenseur à ventouses est peu utilisé car jugé peu efficace. « L’étude a montré que la barre à laquelle le préhenseur est accroché est surdimensionnée et qu’un système de frein est nécessaire. Du coup, la solution de l’exosquelette est apparue comme une alternative », souligne l’ergonome de l’APST 41. Il est en cours de test par Jérôme Poeuf : « L’exosquelette me soulage bien et évite toute douleur au dos, expliquetil. » Juste à côté de lui, un autre opérateur déclare avoir fait le choix de ne pas le porter… Quant à la potence, elle reste à disposition et des améliorations au niveau du système de levage sont en cours afin de faciliter son utilisation par les opérateurs. De même que les deux exosquelettes, « mais ils ne doivent pas être portés toute la journée », précise Olivia Pierre.

Limiter le port de charges

Après le rachat d'AdiWatt, Caillau a dû acquérir une toute nouvelle profileuse de 55 m de long pour réaliser les profilés destinés à son nouveau partenaire. Pour ce faire, les bobines de feuillards sont livrées à plat puis stockées verticalement, ce qui limite les manutentions de ces bobines pouvant dépasser 2 000 kg. Par ailleurs, les flux autour de cette partie du bâtiment ont été revus pour pouvoir expédier les profilés qui peuvent faire jusqu’à 13 mètres de long.

La précision des outils, à 5 microns près, demande qu'ils soient régulièrement rectifiés. Une activité source de poussières d’aluminium. « Avant, les machines étaient carénées, mais le capot ne tenait pas et nous gênait pour le travail de précision », explique un rectifieur. Ils ont été remplacés en 2019 par de nouveaux systèmes d’aspiration, des bouches au plus près de l’activité, dont l'efficacité a été validée par le centre de mesures physiques de la Carsat.

Enfin, le service de métrologie, essentiel dans cet univers hyperpointu pour son expertise sur les moyens de contrôle de la production, a également bénéficié d'améliorations. À l'occasion d’une réunion de sensibilisation sur le travail sur écran, les membres de l'équipe se sont rendu compte que leurs postes étaient perfectibles. « La solution a été trouvée avec eux, explique Paul Denis, le responsable de ce service qui compte cinq personnes. On a fait un jeu de chaises musicales, en déplaçant certains salariés pour qu’ils ne soient plus face au mur, et on a effectué des réglages de chaises, d’écran, etc. »

En 2024, une nouvelle enquête Evrest va être lancée. Pour prendre une nouvelle photographie et lancer de nouvelles actions.

PRÉVENTION DE LA DÉSINSERTION PROFESSIONNELLE

Le maintien dans l’emploi fait partie intégrante de la démarche ergonomique de l’entreprise. Le cas d’Anael, arrivée en 2018 comme opératrice, est à ce titre emblématique. En 2021, elle subit une opération puis est arrêtée. Pendant son arrêt, elle rencontre CapEmploi et l’infirmière du travail pour envisager une reconversion professionnelle. « Mais je n’étais pas prête », avoue-t-elle. Elle reprend début 2022 en temps partiel thérapeutique sur un poste adapté, mais souffre toujours de douleurs importantes. Après avoir été reconnue travailleuse handicapée, Anael accepte de bénéficier d’un conseil en évolution professionnelle, porté par CapEmploi. Compte tenu de sa formation initiale, il lui est proposé un contrat de rééducation par l’entreprise (CRPE). Objectif : former, sur une année, la jeune femme pour être assistante comptable : « Je savais qu’il fallait que je trouve une solution, sinon j’allais être déclarée inapte. J’ai suivi une année de formation, ça n’a pas été facile, surtout avec de jeunes enfants, mais j’ai eu mon diplôme. » « Il y a eu un bon concours de circonstances, ajoute Fabrice Lucas, le contrôleur de sécurité à la Carsat : car dans le même temps, Caillau a annoncé que ses services comptables, qui étaient à Issy-les-Moulineaux en région parisienne, étaient rapatriés à Romorantin. » Un bel exemple de reconversion et de montée en compétences. « Mais il faut des salariés volontaires, motivés… », note l'infirmière du travail, Olivia Pierre. Et, surtout, cela prend du temps, mobilise de nombreux partenaires et doit être aussi porté par la direction.

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