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Menuiserie patrimoniale

À risques multiples, solutions adaptées

Malbrel Conservation est une entreprise spécialisée dans la restauration de monuments historiques, souvent confrontée au plomb ou aux poussières de bois notamment. Le dirigeant de l’entreprise, avec l’aide de la Carsat, a su s’approprier ces sujets afin d’améliorer les conditions de travail de ses menuisiers.

8 minutes de lecture
Delphine Vaudoux - 20/02/2024
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« Ici, les machines à commandes numériques s’appellent Jérôme, Teddy, Bruno… » [NDLR. Ce sont les prénoms de menuisiers de l'entreprise] À travers cette boutade, Charles Vallet, P-DG de Malbrel Conservation, une entreprise de 40 personnes spécialisée dans la peinture murale, la restauration de tableaux, l’ébénisterie, la ferronnerie et la menuiserie patrimoniales, insiste sur ce qui différencie son entreprise : « Nous faisons tout à la main, sans machines à commandes numériques, comme plusieurs artisans sur un même site. » Des artisans dont les conditions de travail ont été soignées, l’entreprise ayant bénéficié, sur l’un de ses sites, des conseils techniques et aides financières de la Carsat Midi-Pyrénées, pour, entre autres, l’aspiration sur les machines de travail du bois, et des conseils de la Carsat Aquitaine sur un chantier bordelais présentant du plomb.

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La ventilation chez Malbrel Conservation, menuiserie patrimoniale

Malbrel Conservation a été créée en 1989 par Mathieu Malbrel. Deux années plus tôt, il s’était lancé dans la restauration d’un tableau acheté sur une brocante… puis ce féru d’art se formera avant de créer son entreprise, et ensuite de s’adjoindre les services d’un doreur, d’un ébéniste, d’un peintre polychrome… En 2007, il réoriente une partie de son activité vers la menuiserie patrimoniale. Rachetée il y a environ un an par Charles Vallet, qui y travaillait depuis vingt ans, Malbrel Conservation a su trouver son équilibre entre différentes activités dans la restauration de patrimoine : un atelier de restauration et conservation d’œuvres d’art, à Capdenac, dans le Lot ; une menuiserie patrimoniale, à Saint-Julien-d’Empare, dans l’Aveyron ; et, enfin, des chantiers en région Occitanie et départements limitrophes. Seule l’activité de la vingtaine de menuisiers sera abordée dans cet article.

Un protocole plomb revu

Qui dit travail sur les monuments historiques dit présence possible de plomb. Or l’exposition régulière à ce métal peut avoir des conséquences graves sur la santé. Sur le chantier de réhabilitation du musée des Arts décoratifs et du Design, à Bordeaux, devant s’achever en juin 2024, les trois menuisiers de Malbrel Conservation ont pour mission d’enlever les fenêtres, portes, dormants, volets intérieurs et lucarnes, soit environ 50 menuiseries. Pour les opérations réalisées en présence de plomb, l’entreprise a mis au point trois niveaux de protocole, dont l'un d'eux a été appliqué sur ce chantier.

Mais, après quelques semaines de travaux, des prélèvements surfaciques, demandés par la Carsat Aquitaine et la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (Ddets), révèlent une contamination au plomb dans la base vie. « Nous nous sommes réunis avec la Ddets, la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets), ainsi qu’avec M. Vallet, pour chercher des solutions, en tenant compte des contraintes du site et de l’activité », explique Pascal Babin, contrôleur de sécurité à la Carsat Aquitaine. En accord avec le maître d’ouvrage, l’entreprise opte pour la location d’une unité mobile de décontamination (UMD) qui sera installée dans la cour du musée.

Bien que déjà formés au risque plomb, les menuisiers sont informés du nouveau protocole. Partout, des affichettes le rappellent. Ils doivent ainsi enfiler une combinaison à usage unique, porter des gants et des chaussures de sécurité, ainsi qu’un masque à cartouche P3 avec protection des yeux. Il est aussi indiqué la méthodologie pour déposer les menuiseries contenant du plomb, ainsi que l’interdiction de manger, boire, fumer pendant le travail et dans l’emprise du chantier.

Dans le musée, les zones de travail pouvant exposer au plomb sont identifiées. Désormais, devant chaque fenêtre amenée à être démontée, une bâche plastique est étendue au sol afin de réceptionner la menuiserie, qui sera ensuite numérotée et emballée. « Les éventuelles écailles de peinture tombent dans la bâche que nous fermons avec du scotch », précise l’un des menuisiers. « J’ai été un peu surpris par le nouveau protocole, reconnaît Charles Vallet. Il nous a fait perdre trois semaines sur le planning initial, mais au final, il est satisfaisant pour tous… »

Une fois les menuiseries déplacées, l’équipe de Malbrel Conservation aspire les poussières ou écailles tombées au sol avec un aspirateur à filtration totale. Des prélèvements surfaciques seront à nouveau réalisés dans la base vie pour confirmer l’efficacité de la nouvelle organisation. Les menuiseries emballées seront livrées à un sous-traitant qui les décapera, avant de revenir dans l’atelier Malbrel. Là, elles seront séchées, puis restaurées ou refaites à l’identique.

Une aspiration à cyclone haut rendement

À Saint-Julien-d’Empare, où se situe l’atelier de menuiserie patrimoniale, impossible de rater le cyclone rutilant de 10 m de haut, à l’extérieur du bâtiment, et sa benne jaune. « Cet équipement chargé de l'aspiration des poussières constitue l’aboutissement d’une démarche complète de prévention », selon Emmanuel Blin, contrôleur de sécurité à la Carsat Midi-Pyrénées. « Lors de nos premiers contacts, j’étais un peu perdu, reconnaît Charles Vallet. J’ai beaucoup appris avec M. Blin et je pense avoir acquis une certaine connaissance sur le sujet. » Tous deux contemplent, satisfaits, cet équipement doté d’un piège à cale, pour détourner les plus gros éléments aspirés ; de clapets Atex anti-retour ; d'un moteur de 38 kW ; de filtres ; d’un ventilateur et d’un silencieux. « Installés dans cet ordre, pour respecter les préconisations de l’INRS », insiste Emmanuel Blin.

Les poussières récupérées sont expédiées dans la benne, puis elles seront transformées en briquettes dans l'Aveyron. « Des réflexions sont en cours pour nous équiper d’une machine à compresser les poussières, d’une chaudière et d’un silo », explique Charles Vallet. Une prise d'air de compensation garantit les vitesses de transport des poussières dans le réseau, en aspirant de l'air frais en extérieur.

Le bois est stocké sous forme de palettes ou de plots de planches. À l’entrée du bâtiment de 1 000 m2, le niveau sonore avoisine les 80 dB à l’usinage, grâce à un traitement acoustique. « Les salariés en CDI bénéficient de bouchons d’oreilles moulés, précise le dirigeant. Sur chaque machine, est affichée une notice expliquant les risques et ce qu’il faut porter comme équipement de protection individuelle. »

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Toutes les machines de la menuiserie sont reliées à un système d’aspiration à haut rendement, certaines disposant à la fois d’un captage haut et d’un captage bas. « Avant, il fallait mettre l’aspiration en marche, elle tournait tout le temps, explique José Dominguez, un menuisier. On oubliait de l’arrêter ou il n’y avait parfois pas assez de débit. Maintenant, l’aspiration se met en marche en même temps que la machine, et cela aspire mieux. »

Le nettoyage est assuré à l’aide de bouches spécifiques sur le réseau, et complété par des dispositifs d'aspiration à Venturi, plus performants. « Il y a sept systèmes à Venturi dans l’atelier, pour que toutes les zones de l’atelier concernées par les poussières de bois soient couvertes, grâce à leurs 5 mètres de rayon d’action, remarque Emmanuel Blin. Peu après leur installation, les Venturi étaient peu utilisés, car les menuisiers trouvaient qu’ils manquaient de puissance. L’entreprise a fait intervenir son fournisseur qui s’est rendu compte qu’une pièce avait été montée à l’envers… »

Prise de conscience

Jérôme Morais supervise l’ensemble de l’atelier de fabrication des fenêtres : « On a dû modifier les coudes des tuyaux qui étaient trop importants et nuisaient à l’efficacité. Maintenant, il n’y a quasiment plus de poussières dans l’air, ce qui nous permet de réduire le temps de nettoyage. » L’éclairage a également été amélioré, passant de 200 à 500 lux, et 700 lux en finition. L’entreprise étant amenée à fabriquer des pièces cintrées, elle doit réaliser des gabarits courbes, à l’aide d’une toupie. Là, l’efficacité du dispositif était moindre : à la double aspiration, il a fallu ajouter une « lunette » à la toupie, pour améliorer le captage et protéger l’opérateur de la machine en mouvement.

« L'accompagnement du projet aspiration a bénéficié de la prise de conscience des dirigeants, qui se sont lancés dans une démarche plus large de prévention des risques professionnels », apprécie le contrôleur de sécurité. Côté usinage, un pont roulant, et côté finition, une poutre roulante réduisent la manutention de pièces pouvant atteindre 200 kg. À la finition, deux tables réglables en hauteur ont été acquises, permettant « de toujours être à la bonne hauteur et de relever les fenêtres pour poser les vitres », explique Sonia Lopes qui travaille à ce poste.

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La très grande majorité des pièces sont ensuite peintes. La cabine de peinture a été équipée d’un convoyeur aérien, permettant de déplacer et retourner les pièces pour les peindre, puis de les stocker pour les faire sécher, sans les porter. Les deux moteurs pour ventiler la cabine ont été traités acoustiquement sur les conseils de la Carsat pour réduire leur niveau sonore. Pour parfaire ses connaissances sur le risque Atex (atmosphère explosive), le P-DG a suivi, avec l’un de ses menuisiers, une formation délivrée par la Carsat.

Il s’est lancé dans la mise à jour de son DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels), avec l’aide d’un organisme extérieur, et a demandé que le DRPCE (document relatif à la protection contre les explosions) soit élaboré en parallèle et annexé au DUERP. « J'ai toujours occupé des postes techniques, explique le dirigeant. J’apprécie d’aller sur les chantiers et dans l’atelier, mais je passe près de 50 % de mon temps à communiquer auprès de mes équipes, notamment sur la prévention. »

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