Ce site est édité par l'INRS
Fonderie

De la prévention découle la qualité

Dans le cadre du programme national Risques chimiques Pros, la fonderie Rollinger s’est engagée dans une démarche structurée d’amélioration des conditions de travail. Celle-ci a porté sur le risque chimique mais aussi, plus largement, sur la prévention des troubles musculosquelettiques et la réduction des ports de charges.

8 minutes de lecture
Céline Ravallec - 13/06/2024
Lien copié
Partager l'article
Lien copié

Des crémones de fenêtres pour immeubles haussmanniens, des jeux de palets bretons, des grilles d’aération… Les produits sortant de la fonderie Rollinger sont variés dans leurs formes et leurs usages. Cette PME de 23 salariés, basée à Nouvion-sur-Meuse, dans les Ardennes, fabrique principalement des petites pièces de quincaillerie décorative en fonte pour l’habitat : « Poignées de portes, ornements de portails, butoirs de portes cochères, garnitures de rampes d’escaliers… Nos productions vont de 20 grammes à 10 kilos, explique Jérôme Théret, gérant de l'entreprise organisée en Scop (Société coopérative de production). Nos clients sont des revendeurs spécialisés en quincaillerie, chez qui viennent se fournir les artisans et professionnels du bâtiment. » Si la majorité des pièces fabriquées sont en fonte, certaines sont en laiton. Il s’agit essentiellement de petites et moyennes séries, sauf pour les crémones dont 40 000 unités sont fabriquées chaque année.

Créée en 1898 – ce qui en fait l’une des plus anciennes fonderies des Ardennes –, l’entreprise a connu des hauts et des bas. Après sa reprise par un petit groupe ardennais en 2007, elle a traversé une période économiquement difficile à la fin des années 2000, et déposé le bilan en 2010 à la suite de la crise des subprimes. En 2012, elle a été relancée sous la forme d’une Scop.

À l’époque, 17 des 24 salariés poursuivent l’aventure. Les machines et le process historique sont conservés. Ce dernier consiste à fondre des lingots de fonte dans des fours, puis à couler la matière fondue à plus de 1 400 °C dans des moules en sable. Une fois les pièces formées solidifiées dans les moules, elles suivent différentes traitement (décochage, grenaillage, meulage, usinage…) pour aboutir à leur forme définitive.

États des lieux chiffrés et objectifs

« L’activité mettait à rude épreuve les organismes, et ce, dans un environnement de travail fortement pollué », décrit Stéphanie Gueneley, contrôleuse de sécurité à la Carsat Nord-Est. En 2012-2013, la Caisse régionale accompagne l’entreprise, à travers un premier contrat de prévention, dans une phase d’investissement pour diminuer la pénibilité physique de certains postes et réduire l’exposition aux TMS. Malgré ces efforts, la pénibilité de l’activité, conjuguée à un vieillissement des salariés – sur les 17 salariés présents à la création de la Scop, 11 sont aujourd'hui partis à la retraite – a rapidement mis en péril la survie même de l'entreprise.

En parallèle, la difficulté à recruter et fidéliser les nouveaux arrivants menaçait la fonderie Rollinger d’une disparition de ses savoir-faire... L’effet n’a d’ailleurs pas tardé à se faire sentir, en particulier sur la qualité des produits. « En 2019, nous atteignions 20-25 % de pièces non conformes sur certaines séries », commente Graziella Ecclesia, la responsable QSE (qualité, sécurité, environnement), en charge de la qualité produit à l’époque. Cela nécessitait de multiples reprises en aval, sources de sollicitations supplémentaires pour les ouvriers, et d’exposition accrue aux TMS.

Les interventions successives du Centre interrégional de mesures physiques de l’Est (Cimpe) puis du Laboratoire interrégional de chimie de l’est (Lice) entre 2015 et 2018 ont permis d’établir des états des lieux chiffrés et objectifs en matière de risque chimique. « La métrologie avait confirmé la présence de silice cristalline aux opérations de modelage, moulage, décochage et parachèvement, d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) à la fusion, à la coulée et au décochage, de formaldéhydes au noyautage, et de xylènes à la peinture », reprend Stéphanie Gueneley.

Ces constats successifs ont montré aux associés la nécessité impérative d’intervenir pour améliorer le procédé et les ont convaincus d’agir. Il est ainsi décidé en 2019-2020 de transformer l'ensemble du process : remplacement des fours, acquisition d’une ligne de moulage semi-automatisée – intéressante par ailleurs pour la fabrication de séries –, installation de réseaux d’aspiration calibrés à l’activité. Un projet ambitieux d’un coût de près de 1,5 million d’euros, avec une nouvelle participation de la Carsat dans le cadre d’un contrat de prévention.

Cela constitue un tournant dans la vie de l’entreprise. Depuis les fours, les poches qui contiennent la fonte en fusion sont transférées vers la coulée par une ligne d’amenée télécommandée. « On fait monter le four à 1 520-1 540 °C, explique Thomas Saucray, le responsable technique. Deux “petites” poches permettent d’alimenter alternativement la ligne des moules. » Et l’opérateur au poste bascule la poche à l’aide d’un volant circulaire pour verser la fonte dans un alignement de trous de coulée qui alimentent les moules où sont formées les pièces. Au-dessus de la ligne, une aspiration capte les fumées. Cette opération n’existait pas avant l’acquisition de la ligne : les moules, préalablement fabriqués dans un autre atelier, étaient posés au sol. Les poches étaient déplacées à l’aide d’un palan poussé à la main.

Nouvel outil mais même métier

Les réglages de la ligne semi-automatisée ont néanmoins nécessité près d’un an, avant de parvenir à un fonctionnement optimal. « Au début, nous avions des taux de rebut de 50 %, voire 70 %, sur certains produits, poursuit Graziella Ecclesia. Cela a pris du temps. » Aujourd’hui, les taux sont descendus à 10-12 %. « Et nous avons encore une marge d’amélioration pour arriver autour de 6 %. » Cette ligne apporte néanmoins une grande satisfaction aux salariés.

« Avant, j’étais au poste de mouleur. On travaillait à la pelle, au tamis, c’était archaïque, très manuel, et on portait beaucoup, explique Matthieu Grass, opérateur à la coulée. J’étais cassé en fin de journée, je ne faisais rien d’autre une fois rentré chez moi. Aujourd’hui, avec la ligne automatisée, c’est beaucoup plus plaisant : les pièces sont de meilleure qualité, on augmente la production, tout est plus moderne, et, quand je rentre chez moi, je peux m’occuper des enfants ou tondre la pelouse. C’est que du bonheur ! » S’il considère qu’il lui a fallu une bonne semaine pour prendre en main ce nouvel outil de travail, cela n’a pas fondamentalement changé son rôle. « Ça reste le même métier », estime-t-il.

Une fois les pièces formées et solidifiées, elles passent dans un tunnel de décochage rotatif où elles sont désolidarisées des moules. La rotation du tunnel sépare le métal du sable résiduel encore présent. Celui-ci est récupéré dans un convoyeur qui le rapporte vers les trémies de l’installation, appelée « la sablerie », en circuit fermé. « Auparavant, le décochage était effectué sur un plateau vibrant, relate Jérôme Théret, entraînant la mise en suspension de poussières de silice cristalline dans l’environnement de travail. » Deux réseaux d’extraction des polluants ont été installés dans l’atelier principal : l’un avec filtre pour les fours présentant un débit de 13 000 m3/h et l’autre pour le reste de l’atelier ayant un débit de 80 000 m3/h. L’atmosphère de travail est désormais bien moins empoussiérée et le personnel moins exposé.

En parallèle, les dirigeants ont décidé de supprimer certaines des activités, comme le moulage manuel. Cette activité s’avérait extrêmement pénible avec les outils utilisés. Le passage en moulage machine a permis de supprimer de très fortes contraintes physiques (ports de charges, manutentions manuelles) ainsi que l’exposition à la silice cristalline, le sable étant utilisé en grande quantité pour former les moules. « Avant, tout était noir, il y avait du sable partout, observe Marlène Ruffier, qui travaille à l’emballage après avoir occupé un poste à l’atelier de meulage. Ça a vraiment progressé. »

Des améliorations dans tous les ateliers

Il demeure un petit atelier de fabrication manuelle de moules pour des commandes spéciales de pièces sur mesure en petites séries. L’atelier peinture a également été supprimé, cette tâche ayant été confiée à une entreprise extérieure spécialisée. La suppression de certaines de ces opérations a ainsi permis à l’entreprise de se concentrer sur la phase de fabrication, avec un process plus moderne.

Tous les autres ateliers ont également bénéficié d’améliorations. Au meulage, chaque machine est équipée d’une aspiration à la source, et l’éclairage des postes a été amélioré. Au tri-contrôle qualité, un basculeur de bacs a été installé pour alimenter le poste sans effort pour l’opératrice. « Depuis 17 ans dans l’entreprise, j’ai vu beaucoup de changements ici, commente Angélique Sacré, contrôleuse au parachèvement. Et l’aménagement de mon poste, ça me change la vie ! »

À l’atelier montage des crémones, un effort sur l’éclairage naturel et artificiel a été mis en œuvre. Il y a également plus d’espace pour les circulations. Tout comme au poste emballage. La suppression de la fabrication des moules a en effet permis de gagner de l’espace dans l’atelier. Cela a également contribué à mener un gros effort sur le rangement, et à améliorer la sécurité dans les circulations. « Ici, le poste de travail est beaucoup plus agréable depuis son réaménagement, c’est plus lumineux, plus spacieux, ça n’a plus rien à voir avec avant », se réjouit Marlène Ruffier.

Une réflexion sur les flux est également menée à chaque modification de l’espace de travail, pour essayer de faciliter la marche en avant des pièces, même si pour l’heure, des allers-retours sont encore observés dans le process. Et comme le résume bien Stéphanie Gueneley, « on ne peut que constater que tout ce qui a été fait en neuf ans constitue un bond colossal pour une entreprise de cette taille ».

En savoir plus

À découvrir aussi