Pour tout musicien qui joue d’un instrument à cordes frottées comme le violon, l’alto, le violoncelle ou la contrebasse, le chevalet n’a aucun secret. En revanche, chez les non-initiés, beaucoup ignorent que le chevalet ne désigne pas que le support qu’un peintre utilise pour poser sa toile. Il s’agit aussi de cette petite pièce en bois qui sert à maintenir le bon espace entre les cordes et la table d’harmonie de l’instrument, et qui transmet les vibrations des cordes à la table afin d’amplifier le son. Un élément fragile et indispensable qui doit, selon Nicolas Despiau, le gérant de Despiau Chevalets – l’un des quatre leaders mondiaux de la fabrication de chevalets –, être changé régulièrement par les luthiers.
180 m3 sont en moyenne débités chaque année.
Après de nombreuses années dans des locaux historiques peu adaptés, Nicolas et son frère Pierre-Jean Despiau ont pris la décision de déménager, en 2020. Un changement radical, qui s’accompagne aussi d’une réflexion de fond sur la prévention des risques professionnels. Les nouveaux locaux sont neufs, mais toujours imprégnés de l’histoire familiale. « Trois générations nous séparent », déclare Nicolas Despiau devant la photo grand format ornant le mur de son bureau. Son grand-père pose, dans les années 1920, avec ses employés, devant des grumes de la scierie qu’il a fondée. JeanLouis, le père des actuels dirigeants, reprend en 1968 la scierie située dans le centre-ville de Gimont, dans le Gers. Musicien avant tout, il joue de l’alto et du violon et se passionne pour les chevalets, qu’il décide de fabriquer, en 1984.
Des plaquettes à l'infini
« Du moyen et du haut de gamme », précise Pierre-Jean qui a rejoint son père en 1986, après avoir fait l’École du bois. Bientôt, les deux frères et leur sœur font partie de l’aventure, jusqu’à ce qu’en 2015, cette dernière quitte le navire. Les frères souhaitant développer la société et améliorer les conditions de travail, se lancent dans la conception d’un nouveau site, dans la zone industrielle de Gimont. Là, ils imaginent 2 500 m2 de locaux (contre 1 200 m2 précédemment) tout en jaune et noir. « C’est bien simple, nous sommes partis d’une page blanche », raconte Nicolas Despiau. « Nous avons toujours travaillé à la production, nous savions très bien ce dont on n’avait plus envie », complète son frère.
La matière première provient des érables sycomores. Et, plus précisément, de ceux qui poussent entre 700 et 900 mètres d’altitude, sur des terrains pauvres, en Bosnie, Croatie, Serbie ou Slovénie. Ceux qui intéressent les frères Despiau ont plus de 200 ans. Mais, à cet âge, ils souffrent souvent de la maladie du cœur noir, rendant leur cœur inutilisable. Pour répondre aux exigences de qualité – un chevalet de violoncelle par exemple pèse 23 g et doit supporter une pression de 57 kg –, seule une part infime de l’arbre peut être prélevée.
UNE DÉMARCHE VERTUEUSE
Dans leurs nouveaux locaux, Pierre-Jean et Nicolas Despiau ont voulu s’inscrire dans une démarche environnementale vertueuse, en récupérant les déchets de bois pour chauffer les ateliers et les séchoirs. « Ça a été très compliqué à mettre en place, remarque Pierre-Jean Despiau. Car nous récupérons de la sciure, des chutes et des écorces, aussi bien sèches qu’humides que nous compressons. » Au total, avec 90 tonnes de déchets produits chaque année, 90% des besoins énergétiques sont couverts. Le bois peut être mis à sécher dans un séchoir à l’extérieur du bâtiment. La chaleur produite par les pompes à vide utilisée pour la préhension des pièces est récupérée pour le séchage du bois.
Dans l’atelier, les troncs de sycomore sont stockés, puis le bois débité tous les 50 cm. Il est refendu en petites plaquettes de façon à apprécier le fil du bois. Cette activité génère du bruit mais, grâce à des panneaux acoustiques placés sur tous les murs et au plafond, il a été très largement réduit. « Je suis intervenue une fois le bâtiment construit mais avant les aménagements intérieurs, explique Christine Roulaud, contrôleuse de sécurité à la Carsat Midi-Pyrénées. Nous avons identifié le bruit comme potentiellement important et fait intervenir le centre de mesures physiques pour réaliser des mesures et conseiller les dirigeants. » Le résultat va « au-delà de nos espérances », souligne Pierre-Jean Despiau. Grâce aux panneaux, les temps de réverbération sont en effet particulièrement bons, de même que les mesures de décroissance du son.
Une scie à ruban manuelle trône au milieu de l’atelier. Non loin, deux scies à ruban automatiques ont été entièrement imaginées par Pierre-Jean Despiau : « Elles se servent de la lecture optique et de l’intelligence artificielle pour se positionner correctement et découper les plaquettes en fonction de la qualité du bois », explique ce dernier. « L’objectif était d’éloigner l’opérateur du risque, complète la contrôleuse de sécurité. La scie ne se met en marche que lorsque l’opérateur est sorti de la cage qui l’entoure. » Seul petit bémol : cette machine ne va pas aussi vite qu’un opérateur aguerri. Une deuxième scie automatique a donc été achetée, permettant de pallier la perte de production.
Toutes les machines – de découpe, de ponçage – générant des poussières de bois sont reliées à un système d’aspiration centralisé asservi. Il a été finalisé avec l’aide technique de la Carsat. « En fonction du nombre de machines en marche, des clapets sont ouverts ou fermés, précise Emmanuel Blin, contrôleur de sécurité au centre de mesures physiques. Le réseau est ainsi très efficace et toujours adapté à la demande. » Les moteurs et la centrale d’aspiration ont été installés à l’extérieur pour limiter le bruit dans le bâtiment.
Une démarche d'amélioration continue
Les chevalets, une fois découpés et poncés, sont soumis à un contrôle qualité et un marquage pour être classés selon quatre niveaux de qualité, allant de A à D. Pour bien lire le fil du bois lors de cette opération minutieuse, les opérateurs ont besoin de la lumière naturelle. Pour ce faire, les nombreuses fenêtres du bâtiment ont été dotées de pare-soleil en tôle microperforée pour laisser entrer la lumière naturelle tout en limitant les risques d’éblouissement. « En été, c’est très bien, explique un opérateur. Mais cet hiver, nous avons découvert qu’il y avait une lumière rasante que nous n’avions pas identifiée lors de la conception. Nous avons dû nous arrêter de trier les chevalets, car nous étions éblouis. » Des stores ont été commandés pour résoudre ce problème.
Ces postes sont également dotés de sièges ergonomiques, leur table est réglable en hauteur et chacun peut bénéficier, s’il le souhaite, d’appuie-bras et de repose-pieds. « Nous sommes sur un marché de niche, souligne Emmanuel Blin. Cela demande de l’adaptation. La quasi-totalité des machines de production ont dû être adaptées pour répondre à l’activité, de même que les postes de travail. » Avec, toujours, le souci d’améliorer les conditions de travail des seize salariés.
« Le temps consacré à la réflexion et aux échanges avec l’équipe avant le dépôt du permis de construire a été primordial pour permettre aux nouveaux locaux de répondre à la majorité de leurs attentes. Les deux dirigeants intègrent maintenant de manière autonome une démarche continue d’amélioration des conditions de travail », conclut Christine Roulaud.
FICHE D'IDENTITÉ
Nom : Despiau Chevalets
Lieu : Gimont (Gers)
Activité : fabrication de 250 000 chevalets/an à partir d’érables sycomores de plus de 200 ans
Effectif : 16 personnes
Chiffre d’affaires : 1,8 million d’euros (avant Covid)