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Patrick Fournié : « Souvent, le diable se cache dans les détails »

Formateur à l’Aftral (Apprendre, se former en transport et logistique), Patrick Fournié connaît bien l’importance de la prévention dans les formations pour le transport routier de marchandises. Il revient sur les défauts d’arrimage, responsables de nombreux accidents, ainsi que sur les responsabilités des différentes parties.

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Grégory Brasseur, Damien Larroque - 03/06/2022
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Patrick Fournié, formateur à l’Aftral

Travail & Sécurité. En tant que formateur à l’Aftral, vous intervenez à la fois auprès des conducteurs et des chefs d’entreprise en transport routier de marchandises. Quels types de formations dispensez-vous ?

Patrick Fournié. Pour exercer le métier de conducteur de poids lourds, outre le permis C ou CE, il faut une qualification initiale que l’on obtient via une formation initiale minimale obligatoire (Fimo) ou un titre professionnel (TP) qui doit faire l’objet d’un recyclage tous les cinq ans par le biais de la formation continue obligatoire (FCO). Dès mon arrivée en 2003, j’ai dispensé chacune de ces formations au sein de l’Aftral (anciennement AFT-Iftim). Dans le même temps, j’animais des formations pratiques à destination des déménageurs, comprenant un large volet sécurité, notamment sur les bonnes pratiques en matière de manutentions manuelles. Désormais, je prodigue également aux futurs chefs d’entreprise les enseignements de l’attestation de capacité de transport de marchandises, référentiel qui permet d’acquérir les connaissances nécessaires à la gestion d’une société de transport. D’une durée de six semaines, ce stage prépare à l’examen annuel de l’attestation de capacité (AC). Il traite les sujets juridiques, les aspects réglementaires du métier de conducteur, mais aussi la gestion d’une entreprise avec notamment le calcul des coûts de revient. J’y aborde également la prévention des risques professionnels.

Quels points de prévention abordez-vous plus particulièrement ?

P. F. L’idée est de fournir toutes les informations nécessaires à la mise en place d’une démarche de prévention efficace, de l’évaluation des risques à la gestion de projet en passant par la rédaction du document unique. J’insiste sur l’importance du protocole de sécurité (PDS), sorte de plan de prévention (PDP) dédié aux opérations de chargement, déchargement, circulation, évacuation et arrimage, qui vise à simplifier la relation entre le prestataire et le donneur d’ordres. Mais, contrairement au PDP qui est établi conjointement par les deux parties, aujourd’hui, le PDS est rédigé par la seule société d’accueil qui le porte à la connaissance du transporteur.

J’ai aussi l’occasion de faire la promotion de la prévention dans mes activités de consultant en santé et sécurité au travail (SST). Je suis en effet en charge d’accompagner les entreprises pour mettre en place la démarche de prévention transport routier et logistique dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui concerne tout autant le transport de voyageurs que le transport de marchandises. Dans ce cadre, je dispense des stages pour les dirigeants et la formation action APTRL (animateur prévention transport routier et logistique) aux salariés qui participent à la politique de santé et sécurité au sein de leurs entreprises. Durant cet apprentissage, le futur animateur doit réaliser le diagnostic SST et apprendre à gérer des projets de prévention TMS (troubles musculosquelettiques), risques routiers, risques psychosociaux… La formation APS (acteur prévention secours) est assurée par mes collègues. C’est une démarche globale de prévention des risques qui s’adresse à tous les niveaux de l’entreprise, de la direction à l’animateur sécurité en passant bien évidemment par les salariés.

L'Aftral

Le groupe Aftral (Apprendre et se former en transport et logistique) propose des formations préparant à tous les métiers du transport et de la logistique, dispensées au sein de ses différentes écoles, allant du niveau CAP à bac+6, en passant par le bac professionnel.

Vous vous êtes spécialisé, en particulier, dans les questions relatives à l’arrimage. Pourquoi cet intérêt pour cette opération ?

P. F. De nombreux accidents recensés dans le secteur du transport de marchandises sont liés à des défauts d’arrimage. Il s’agit soit de basculements du chargement dans le camion ou sur la chaussée pendant le transport, soit de chutes de marchandises sur les opérateurs à l’ouverture des portes, avec des conséquences plus ou moins graves. Comment expliquer ce constat ? J’y vois deux raisons qui sont d’ailleurs liées. La première, l’imprécision du Code de la route qui dit simplement qu’un chargement doit être arrimé afin d’assurer la sécurité sans toutefois donner d’autres indications. La seconde est la méconnaissance de la norme européenne EN 12 195-1 qui présente les règles de dimensionnement à respecter pour un arrimage sûr, et ce pour les différentes composantes de l’opération que sont le blocage, l’arrimage par frottement et l’arrimage direct. La norme détaille les aspects techniques, les calculs de stabilité de la charge en fonction des forces physiques en présence et les moyens de retenue à utiliser suivant les contraintes imposées par la cargaison.

Justement, qui est responsable de l’arrimage ?

P. F. Dans l’inconscient collectif, l’arrimage est de la responsabilité du transporteur. Mais le donneur d’ordres a aussi des obligations depuis l’évolution du contrat-type général en 2017. Dans une majorité des cas, à savoir les envois à partir de 3 tonnes, c’est bien l’expéditeur qui est responsable du chargement, du calage et de l’arrimage. Attention, si l’envoi est en dessous de 3 tonnes, ces opérations restent la responsabilité du transporteur. Une obligation de contrôle échoit toutefois toujours au donneur d’ordres. Il devrait donc y avoir en permanence chez ce dernier des professionnels capables tout autant de réaliser l’arrimage que de le contrôler. Cette réalité est bien trop souvent ignorée et la prise de conscience reste malheureusement tardive. Il n’est pas rare que l’on appelle les formateurs que nous sommes après un incident ou un accident, quand il y a eu une perte de marchandises sur la route, que les experts de l’assurance sont là, que la direction a peur des représailles… C’est à ce moment que certains prennent conscience de leurs responsabilités dans la mise en place des procédures d’arrimage. Beaucoup d’entreprises partent du principe que les conducteurs ont peu d’incidents et qu’ils savent faire… Ce qui n’est pas complètement faux, ils connaissent leur métier. Il suffit parfois d’un apport de connaissances complémentaire pour qu’ils modifient leur pratique. Souvent, le diable se cache dans les détails : une sangle sous-dimensionnée ou abîmée, une erreur dans la méthode de sanglage mise en œuvre… peuvent, en cas de coup de frein ou d’évitement, conduire à la catastrophe.

Au final, quelles sont les bonnes pratiques en matière d’arrimage ?

P. F. La question est vaste et on ne peut répondre qu’au cas par cas. De manière simple, je dirais qu’il faut d’une part s’équiper de carrosserie renforcée XL et utiliser la capacité de retenue de cette carrosserie, d’autre part, avoir un plancher propre et poser systématiquement des tapis antidérapants en caoutchouc, et, enfin, utiliser des accessoires d’arrimage conformes. Bien réalisés, ces trois éléments participent à l’efficacité de l’arrimage. En outre, selon la norme, il faut bloquer, caler et sangler la marchandise de manière à l’empêcher de bouger dans toutes les conditions de conduite. C’est encore plus vrai pour le transport de matières dangereuses. Tous les conducteurs routiers en ont entendu parler. Il suffit donc bien souvent aux entreprises de faire monter en compétences leurs salariés pour éviter des accidents. Il faut voir aussi que, selon les statistiques de 2019, dans le secteur du transport routier de marchandises, 9 accidents sur 10 ont lieu autour du camion arrêté, chez le donneur d’ordres. Sur ces 9 accidents, 52 % sont liés aux manutentions manuelles, 16 % sont des chutes de plain-pied, 14 % des chutes de hauteur. Aujourd’hui, la recommandation R 512 de 2021 de la Cnam précise le PDS concernant les opérations de chargement, déchargement et sanglage/arrimage. Cette recommandation insiste sur la nécessité d’imposer une rédaction commune du PDS, qui indique qui fait quoi et comment, par le donneur d’ordres et le transporteur. Comme c’est le cas pour l’écriture des plans de prévention définissant les règles d’intervention des prestataires.

REPÈRES

1995-1997. Service militaire en gendarmerie.

1997. Intègre l’entreprise Rivalier grâce à laquelle il passe un CFP (certification de formation professionnelle) poids lourds et super lourds à l’AFT-Iftim et au sein de laquelle il exerce trois activités : déménagement, transport de marchandises général et transport de conteneurs.

Depuis 2003. Formateur à l’Aftral (nouveau nom de l’AFT-Iftim).

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